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28/09/2007

Un tour du monde express (2) Barcelone (Barceloneta)

Pour une fois, on n'irait pas s'émerveiller avec Miro sur les hauteurs de Montjuic, descendre la Rambla le nez en l'air, passer chez Picasso ou au musée d'art moderne, à deux pas du Raval, rêver sur les toits de la Pedrera, flâner dans les jardins de l'Université ou tourner tout autour de la Sagrada Familia.

Non, on reviendrait là, sur cette pointe avancée de la ville vers la mer, dans une des maisons de pêcheurs rénovées de Barceloneta, non loin du Passeig de Borbo, entre Grau i Torras et le carrer Atlantida. On s'y reposerait doucement, au rythme du quartier, les vieilles gens qui s'y fondent et les touristes égarés qui n'y font que passer.

Depuis les balcons étroits ou mieux, de la terrasse, on apercevrait la mer au travers des antennes et des recoins de toits, enchâssés les uns dans les autres comme pour mieux faire bloc au-dessus des ruelles étroites où les femmes s'épient derrière les rangées de linge, quand les hommes font les fiers au milieu de la rue.

Plus haut de l'autre côté, au-delà des palais, on devinerait les belles villas de Sarria étourdies de soleil à l'heure de la sieste.

Autour du marché couvert - les rangées de poissons et les montagnes de fruits -, entre les bars antiques et les commerces de fortune, ça gueulerait bien un peu à tous les coins d'étales, mais on ferait comme chez nous. On traverserait les fêtes en zigzaguant entre estrades et scooters, on s'amuserait de manèges, on s'arrêterait sur les places. Et puis on capterait au détour d'une ruelle un air rafraîchissant venu du bord de mer.

Un peu plus loin, sur le Passeig Maritim, la ville trépidante reprendrait ses droits entre les restaurants chics et les cafés branchés, les bandes sur le sable et les footings sur la plage, au long de l'immense promenade qui, depuis le port, file sur le quartier olympique et dépasse Poble Nou jusqu'au bout de Diagonal. On pourrait même pousser jusqu'à l'aquarium, sur Port Vell, entre les requins perdus et les poissons-plantes.

Et puis le soir venu, on se régalerait de tapas - de jambon ibérique et d'aubergines confites, de pain à la tomate et de patatas bravas, de petites fritures, de gambas à la plancha, laissant pour une fois les Rioja pour l'Estrella, au bar de Jaica, entre les matches du Barça et la faune de passage. Je me sentirais fier, tu serais un peu ivre, on s'abandonnerait à cette corrida-là. Ce serait des jours d'attente, ce serait des jours heureux.

18:45 Publié dans Autour du monde | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Barcelone

25/09/2007

Un tour du monde express (1) Chicago-Paris

A Chicago, sur la route menant de Midway à Ohare International Airport, conversation à bâtons rompus avec Arunas, un Lituanien installé à Los Angeles. Arunas (qui, pour simplifier la tâche de ses interlocuteurs, se fait appeler "Mark"...) est un graphiste de trente-cinq ans qui se demande comment développer son affaire pour pouvoir vivre bientôt de ses rentes. Pour lui - un de plus -, la civilisation de George Bush s'écroule, là, sous nos yeux, dans une succession de mensonges et d'échecs, de mauvais diagnostics et de politiques destructrices. On manque bientôt de pétrole aux Etats-Unis, mais c'est sans doute pour prévenir une autre guerre plus terrible et promouvoir la démocratie que l'on est revenu en Irak.

"Stupid people" lance Arunas contre ses compatriotes en se demandant, à propos de du monde arabe, ce que les Américains peuvent bien avoir à nous apprendre dans ce qu'il voit, associé à l'Afrique et à l'instar de la façon dont les Américains perçoivent eux-même l'Amérique latine, comme notre "arrière cour", voire notre "chasse gardée". Pour tout Américain, il semble que le libéralisme appliqué à la géopolitique rencontre assez vite ses limites. L'autocritique est, cela dit, un sport très pratiqué, souvent de façon un peu convenue, parmi les Américains des côtes. Il en va d'ailleurs de même pour les Français qui s'expatrient là-bas ; c'est une façon, pour chacun, d'ouvrir ses frontières et de faire un peu de place à l'autre.

Débarquant de Chicago à Paris, et au risque de la caricature, ce que l'on sent d'abord, c'est la province. Passage de Bercy, autour du Cour Saint-Emilion, à Port-Royal, entre Mouffetard et les Gobelins - ancien territoire de l'intime, où j'établis à nouveau mon quartier général. D'une enclave aux allures de vignoble aux airs faussement populaires de ce marché parisien - le plus cher de Paris, le plus goûté aussi des Américains en vadrouille (avant du moins que le dollar ne parte en quenouille, ce qui leur gâte toujours un peu le plaisir des retrouvailles) -, quelque chose s'impose comme une ambiance de village paisible qui s'ébrouerait dans les replis des quartiers, aux terrasses ensoleillées des cafés, dans les allées des parcs, au long des rues touristiques. Ce n'est pas une torpeur estivale, c'est un mode de vie qui s'ignore. On est toujours la province d'un autre lieu.

Ce que l'on retrouve d'abord, partout - dans les taxis, dans les rues, à la télévision (jusque pour la série la plus insignifiante que l'on aurait jadis dédaignée), à la terrasse des restaurants, dans les réunions de travail et les retrouvailles, c'est le plaisir de sa langue. Par la seule vertu de sa musique propre, elle fait basculer d'un monde inconnu à un univers familier. La célébration des objets a aussi sa place dans les retrouvailles. Le dernier Chevillard à L'arbre du voyageur, un magnifique Martini à L'arbre à lettres, les nouvelles mythologies... La réforme sous toutes ses coutures et la littérature dans ce qu'elle a de plus bouillonnant et de plus libre (je reparlerai, bien sûr, de Chevillard). Pour un peu, les objets de culture deviendraient ceux d'un culte retrouvé.

Il en va de même du système de la mode, des lignes d'une Tod's à la coupe d'un Paul Smith ; même impression du côté d'un tailleur du Sentier découvert à l'occasion d'une retouche express entre une convocation à l'ambassade et une réunion de travail avenue de Ségur : les tissus commandent par leurs lignes épurées la forme minimaliste des costumes. D'accord là-dessus avec la styliste de Raspail, il me semble aussi que l'élégance a toujours partie liée avec la sobriété.

Pour le reste, à part quelques belles trouées de soleil en fin d'après-midi sur le dôme du Panthéon, le temps semble gris - et les gens aussi, touristes compris. Est-ce l'étourdissement des promesses de changement tous azimuts, ou les premiers effets d'une tonitruante "faillite" annoncée ? Dans les apparences, toujours un peu subjectives, de l'atmosphère de la rue, le pays semble encore attentiste. Il donne l'impression de subir encore davantage la situation que de s'atteler à enclencher une nouvelle dynamique. Il est temps que les "nouvelles élites" mises au jour par Fouks et sa bande prennent plus franchement les rennes du pouvoir. Une affaire de génération, oui : cela fait vingt ans que ce monde-là nous fatigue sans nous entraîner.

09/09/2007

Autour de la guerre (1) B-17G : Disturbing the Universe

J'étais entré chez Tschann un après-midi, à court d'idées, mais avec l'envie de lire de bonnes choses. Je m'étais installé au beau milieu de la librairie et j'avais proposé à deux ou trois membres de l'équipe de me faire partager leurs coups de coeur. Ecoutant les uns, soupesant les autres, je faisais de grandes piles hétéroclites et désordonnées dans les coins en tentant de me faire l'idée la plus juste possible de la qualité des relations que nous pourrions, chacun de ces livres et moi, entretenir par la suite. Si, comme le dit Pierre Lepape, "la lecture est le plaisir le plus comparable au plaisir amoureux", cet après-midi-là confina sans aucun doute au libertinage, gravité incluse. Effet sans doute d'une trop grande distance prise dans les mois qui avaient précédé avec les livres, je voulais les embrasser tous, mais il fallait choisir. Entrant pour chercher de quoi lire, on se souvient soudain - le temps manque - que l'on va mourir. Au lieu pourtant d'en éprouver de la tristesse, c'est un supplément d'intensité que l'on ressent, comme un surcroît de monde.

L'un d'eux me mit entre les mains "B-17G", ce petit livre de Pierre Bergounioux que je calais tant bien que mal dans la pile finale, et auquel j'ai repensé ces derniers temps en écoutant de vénérables Américains évoquer leur guerre en France. Ces deux-là - l'un a plus de quatre-vingt dix ans, l'autre quatre-vingt bien tassés, et tous deux tiennent une forme étonnante - ont eu de la chance. Ils en sont revenus et évoquent aujourd'hui cet épisode si intense et si lointain de leur vie avec une légèreté presque ironique, au sens de l'ironie du sort, qui masque mal, à la vérité, la gravité du souvenir de leurs morts (Holdridge par exemple a toujours refusé de mettre un pied dans un des cimetières américains de Normandie : on devine qu'une seconde fois, il en aurait été dévasté).

A l'origine de ce petit livre, il y a une photo. C'est une petite vignette, assez floue, qui apparaît sur la belle couverture noire de la nouvelle édition de l'ouvrage chez Argol, et qui représente la partie arrière d'un bombardier en vol. L'appareil a été touché et une fumée épaisse jaillit sur la gauche de la carlingue. L'avion est un B-17, un modèle G, la plus récente à l'époque des "forteresses volantes" qui furent présentées à Seattle en 1934 et qui pillonnèrent l'Allemagne dans les dernières années de la guerre. "Ce n'est pas à riposter, écrit Bergounioux, comme au cinéma, comme y songent les gosses, que j'ai pensé lorsque j'ai revu la Forteresse volante. C'est aux gosses qui se trouvaient à bord. Ils furent les protagonistes d'une mutation sans exemple ni précédent de la civilisation matérielle et morale et payèrent de leur vie ce privilège exorbitant".

Dans chaque appareil, dix hommes. Qui sont-ils ? s'interroge l'auteur. Le navigateur, par exemple, est-il d'origine juive, d'un père tailleur dans East Harlem qui lui aurait fait étudier le droit commercial ou les techniques bancaires ? Ou bien est-il d'ascendance écossaise, napolitaine, danoise, allemande ? " Ils sont dix à endosser leur équipement avec la peur au ventre et le souci de la contrôler, de refuser la moindre liberté au gosse qu'ils étaient à quelques heures d'ici et qui, s'il avait voix au chapitre, dirait non, se roulerait dans l'herbe en pleurant, s'enfuirait pesamment, sans espoir, à cause des grosses bottes qui pèsent aux pieds". Je repense aux propos d'Adam, l'autre soir, qui confie avoir échappé à la guerre en Irak au titre de sa participation à la réserve de l'US Air Force grâce à un certificat de convenance d'un oncle médecin : à guerre illégitime, dit-il, esquive déloyale. Cette guerre n'est pas plus populaire aux Etats-Unis qu'ailleurs.

Là, pas le choix. Et puis, pour le coup, ces jeunes types venus de tous les coins de l'Amérique sont reliés par "l'élement moral qui anima les adversaires du nazisme, la certitude de combattre le Mal, d'agir, chacun dans sa partie, et jusqu'à l'intérieur d'un bocal en Plexiglas suspendu dans les airs, au nom de l'humanité". Leadfoot, Butcher Shop, Shoo Shoo Baby... Il y aura sans doute une inscription ludique peinte sous la cabine, entre une pin-up et un canard sorti de Tex Avery. "Ils respirent une nouvelle fois la senteur verte, entêtante qui monte du pré". Trente tonnes de métal, de carburant et d'explosifs décollent bientôt. Le lourd appareil grimpe, prend son envol, puis son rythme de croisière dans la profondeur des cieux anglais. Il fait froid. A bord, combinaisons chauffantes et masques à oxygène sont de rigueur. L'appareil est équipé d'un viseur Norden qui, dit-on, permet de placer un bombe dans un tonneau de choucroute à une altitude de vingt mille pieds.

Hemingway a bien tenté l'expérience, mais c'était dans un B-25 Mitchell en mission sur la France. Et puis, souligne Bergounioux, "Hemingway est trop vieux. Le vif de l'expérience, sa hauteur, sa fraîcheur virginale - moins cinquante degrés - lui échappent. Elles requièrent des êtres pareillement frais, qui s'ignorent eux-mêmes, des cieux inviolés et mortels". Non, ce gars-là, qui a dix-neuf ans, "il a peur, il a froid, il n'arrive pas à penser". Ceci encore sur la littérature et la vie : "C'est toujours ainsi qu'il en va. La réalité, lorsqu'elle pulvérise l'idée qu'on s'en faisait, qu'elle nous rappelle son existence, sa royauté, sa puissance, c'est invariablement avec pertes et fracas. Pour l'accueillir et, s'il se peut, la projeter par le moyen du langage articulé, sur du papier, il y a deux préalables, qui sont de l'éprouver en personne et d'être sans prévention ni but précis, sans passé ni projets pour l'avenir, d'avoir moins de vingt ans donc. C'est des premières expériences que les récits tirent leur substance. Ensuite, on s'assagit. La vue baisse. Les artères s'encrassent. L'ankylose gagne".

Au-dessus de tout cela, dans le vacarme assourdissant des moteurs qui hurlent leur puissance, les souvenirs d'enfance remontent. Ce jeune type, les mains agrippées à la mitrailleuse, "il a forcé la porte invisible. Il parcourt avec des bottes de sept lieues l'antique domaine des Dieux". Il peut nommer les choses, refaire le monde presque, d'un autre point de vue. "Tous les hommes devraient enfiler un jour une combinaison fourrée et faire un stage de dix minutes à vingt-quatre mille pieds. C'est d'un oeil différent qu'ils verraient la terre, l'agitation microscopique dont elle est le théâtre. De leur séjour en altitude, ils rapporteraient le léger décalage, la réticence à quoi se ramène, pour l'essentiel, la sagesse".

C'est vers la même époque que Dyson, le physicien, qui aimait rien tant que monter sur un arbre un livre entre les mains, s'interrogeait sur les temps proches où nous pourrions, précisément, en prenant un peu plus de hauteur sur le monde, nous rapprocher d'un sentiment "d'unité cosmique". Dyson fut sollicité par la base de Wyton pour trouver une solution aux pertes humaines effarantes dans ces bombardiers, en l'air. Pour lui, la trappe d'évacuation était trop étroite : d'un pouce. Un pouce manquant, et des milliers de jeunes types "brûlés vifs dans leur appareil transformé en torche". Après quoi, Dyson s'en va rejoindre les équipes de Fort Alamos, au Nouveau-Mexique, "pour libérer les forces infernales dans le noyau de l'atome". Disturbing the Universe. Le cauchemar l'emporta sur la poésie.

L'escadrille passe la côté hollandaise. Elle approche. Bientôt, on va commencer à écraser les usines d'armement allemandes sous les bombes. Mais, en dessous, la DCA commence à canarder. Surtout, les bombardiers sont pris en chasse par l'aviation nazie. Un premier bombardier, positionné plus bas dans la formation, tombe. Aucun des types avec lesquels on avait, la veille, passé la soirée, n'a évacué. On se tait. "Lorsque, à l'automne 1943, la 8ème armée se rendit à Schweinfurt, où l'on fabriquait des roulements à billes, puis à Augsbourg, sur les usines Messerschmitt, un pilote rescapé déclara qu'il aurait pu se passer de navigateur. A l'aller comme au retour, la route était jalonnée par les bûchers funéraires des avions abattus qui brûlaient au sol".

Aux commandes de sa mitrailleuse 12,7 mm, Smith commence à riposter aux attaques qui montent vers l'appareil. Figé par le froid, emporté par le recul de la mitrailleuse, il a oublié ses cours de tir, tarde à ajuster les trajectoires, manque ses cibles - la meute des Focke-Wulf qui se rapproche, en esquivant les traceuses qui passent de part et d'autre. Ça crépite de partout. D'embardées en virages, les chasseurs reviennent bientôt dans l'axe. "Depuis que les chasseurs ont glissé sous ses yeux, il s'est écoulé quelques secondes, à peine, mais si chargées d'événements, de sentiments contraires, enchevêtrés, violents qu'elles équilibreraient, au trébuchet du temps, des jours, des mois de la durée où baignent, beaucoup plus bas, la terre simplifiée, sommaire, l'étain figé de la mer, les vieilles années". Après ? "Le pilote du chasseur est une vieille main. Il a dix ans de plus que la bande d'adolescents affolés qui cherchent désespérément à le voir et n'y arrivent pas".

Il arrive qu'en s'arrêtant au beau milieu d'une plaine de l'Indiana traversée de quelques nuages perdus, face à une brise légère, apercevant soudain le léger tremblement de la main d'un vieillard qui en est réchappé, ou achevant le livre de Bergounioux au creux d'une nuit silencieuse comme une tombe, il arrive qu'on se sente soudain saisi de cette pulvérisation en masse de la jeunesse américaine - des gars du Wyoming, du Dakota ou d'Alabama -, au-dessus de l'Europe. C'est comme un frisson glacial, presque un éclair douloureux qui traverse le torse. Mais ça ne dure pas très longtemps, en fait. Après tout, les morts sont les morts, non ?

07/09/2007

Persoweb (3) Découvertes

Un dernier mot à ce sujet pour partager avec vous quelques découvertes parmi les blogs nominés au concours, blogs que vous pouvez retrouver en cliquant sur le logo Persoweb ci-joint. 600 blogs ont été passés en revue par le jury et 30 ont été retenus, soit 5 blogs sélectionnés dans chacune des 6 catégories, chaque catégorie devant au final élire un blog au terme du scrutin qui prend fin aujourd'hui.

Dans la catégorie "Expression artistique", pas de réel coup de coeur, mais un intérêt égal pour trois sites très différents - Les minutes célibataires, Grenier à grain et Everland - qui, chacun dans leur style respectif, portent une véritable identité graphique ou créative.

Côté "Loisirs et voyages", il y a un vrai plaisir à se plonger dans A Berlin et Sous nos pieds avec une prime, respectivement, à l'esthétique élégante de Berlin et au concept poétique des Pieds.

Dans la catégorie "Actualité - journalisme", un coup de coeur pour Le Blog du Chi - sans doute mon préféré sur l'ensemble de la sélection - qui associe liberté de ton et humour décapant, ainsi qu'un faible pour La tête dans le poste, sorte d'Arrêt sur image de la blogosphère.

La catégorie "Citoyenneté et vie quotidienne" fait s'arrêter sur Le rose et le noir, un regard à la fois lucide et entraînant, et surtout sur Le blog de Firmin, une aventure singulière qui n'est pas sans allure, peut-être l'une des plus émouvantes de l'ensemble.

Côté "IT/Techno", un faible pour le grain de folie de Narcissique Blog et pour le cachet trendy en diable et très professionnel de TrendsNow. Chez les "Juniors", un coup de coeur pour Tokyo Megaplex ; un faible aussi pour le côté terriblement ado de Mallo bmpg.

That's it. Avec un peu de temps en plus, il serait intéressant, de l'avis de plusieurs internautes, d'élargir la revue à l'ensemble des blogs présents au concours. Comme dirait Pirsig dans son Traité du zen et de l'entretien des motocyclettes (j'avais affiché la citation en khâgne, le moins qu'on puisse dire est qu'elle avait laissé tout le monde perplexe), "ce sont les meilleurs élèves qui échouent aux examens".

01/09/2007

La fin de la sexualité ? (Bill, Anna, Larry et les autres)

Il y a six mois, l'Amérique s'attardait, fascinée, sur les derniers jours d'Anna Nicole Smith, mannequin et actrice décédée le 8 février à l'âge de 39 ans d'une overdose dans un hôtel de Floride. Anna Nicole s'était mariée à un riche milliardaire, très âgé, dont elle avait hérité une large partie de la fortune. Une procédure judiciaire commençait par ailleurs pour déterminer qui, des trois demandeurs, était le véritable père de sa petite fille, Dannielynn, qui vit le jour alors qu'Anna Nicole Smith perdait son fils, Daniel, âgé de 20 ans.

Au-delà du drame et des rebondissements d'une enquête aux allures de série grand public, c'est bien la sensualité débordante d'Anna Nicole Smith qui explosait à l'écran et fascinait, chacun dans son coin, le public, en un déluge de formes généreuses et de robes échancrées, de sourires ravageurs et d'interviews suggestives, de regards provocateurs et d'abandons lascifs. Cette femme, aurait dit Céline, semblait pouvoir jouir à des profondeurs infinies. Telle une Marilyn, contemporaine et décadente, qui aurait brisé l'icône, Anna Nicole suggérait la sexualité dans une dimension presqu'animale, dont l'interview qu'elle donna à Larry King sur CNN, et que celui-ci finit par interrompre dans l'un de ses récits les plus trash, reste un point d'orgue. Il y avait pourtant, au détour d'une de ces images publiques, entre la fuite d'un regard ou une pointe fugitive de candeur, quelque chose encore d'une petite fille chez elle.

Dans un registre différent, le sénateur de l'Idaho Larry Craig est accusé, ces derniers jours, d'avoir sollicité une relation homosexuelle dans les toilettes pour hommes de l'aéroport de Minneapolis. Problème : c'est à un policier en civil chargé de démasquer les "comportements obscènes" qu'il fit des appels du pied. Erreur ou tentative d'en finir rapidement ? Craig a plaidé coupable (pour "conduite inappropriée"), avant de le regretter publiquement, en déniant catégoriquement tout penchant homosexuel. Craig s'était fait connaître pour s'être opposé à la législation contre la discrimination à l'emploi en raison de l'orientation sexuelle. Il avait aussi voté la loi "Don't act, don't tell" qui prévoit qu'un membre des forces armées en sera exclu s'il est impliqué dans une relation homosexuelle. Il est aujourd'hui au ban des cercles républicains après en avoir été un des principaux animateurs. Ces derniers jours, l'enregistrement de l'interrogatoire qui eut lieu après son arrestation était redonné in extenso sur MSNBC, donnant à nouveau l'impression, assez pénible au cours de sa diffusion, d'une rechute morbide de l'opinion dans une fascination tout hypocrite pour le moindre écart sexuel.

On repense également aux mésaventures au sommet de Bill Clinton. Connu pour ses aventures extra-conjugales de longue date (qui, semble-t-il, auraient fait hésiter Hilary à consentir au mariage), Clinton finit par se faire attrapper : on s'en souvient, ses relations avec Monica Lewinsky occupèrent le devant de la scène politico-médiatique pendant des mois, à travers ce qui apparaît comme le même mélange malsain de dureté puritaine et de fascination pathologique. Aux côtés des Démocrates et contre l'hypocrisie, notamment républicaine, qui associe des attitudes publiques aussi dures que les conduites privées sont parfois licensieuses, Larry Flint, le célèbre pornographe américain, éditeur du magazine Hustler, invite le public, forte récompense à l'appui, à lui apporter les preuves de relations coupables qu'auraient pu entretenir par le passé les élus du pays, pour tâcher d'en finir avec cette hypocrisie collective.

Condamnation publique, fascination privée. On excècre le stupre sur la place publique, mais on s'en gave à la première occasion dans l'ombre des alcôves. Mais qu'exorcise-t-on au juste à travers ces explosions médiatiques : les fantasmes enfouis de libidos endormies, ou bien, précisément - le fantasme n'est pas la réalité -, les derniers sursauts de la sexualité à laquelle, ultime perversion, il faudrait les atours de la scénarisation pour vibrer encore un peu ? Tout cela ressemble à un immense cirque, sans doute prétexte à sévère déstabilisation pour les plus cyniques, mais aussi puissant révélateur, ici, de l'état des désirs.

Si le sexe (la pulsion, l'immédiateté) est partout, la sexualité (la relation, la construction), elle, semble disparaître. Des écrans certes, d'où l'essor symétrique de la pornographie. Mais aussi de la vie paisible des banlieues résidentielles d'où, sans doute aussi, une part de ce consumérisme compulsif propre à la société américaine. On peut également se demander si une autre grande fascination de l'Amérique ne traduit pas non plus l'achèvement de cette déconstruction comme si - Make war, don't make love - à la fin de la sexualité, répondait aussi la libération de la violence.