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21/08/2009

A propos de la réforme de la santé aux Etats-Unis (1) "GOP Miniverse" ou le syndrôme de la forteresse assiégée

L'expression a été lancée par Rachel Maddow sur MNSBC l'autre soir, dans un échange avec Bill Maher, au plus fort des affrontements autour de la réforme de l'assurance santé menée par l'administration Obama, alors que les sondages commencent à indiquer, y compris au sein de l'électorat démocrate, un infléchissement du support populaire à cette mesure, qui figure pourtant parmi les éléments essentiels du contrat proposé par la nouvelle équipe au pays.

Elle désigne le retour en force de la minorité républicaine agissante et de sa capacité à faire dérailler les débats sur le sujet en manipulant les fondamentaux de la culture américaine. D'une appréhension du monde basée sur des faits, on bascule dans une diabolisation apeurée de l'adversaire qui rend tout dialogue impossible. Un mini-univers conservateur qui fait figure de forteresse assiégée par une modernité perçue, de façon totalement irrationnelle, comme un ensemble de menaces vitales.

Plusieurs sondages récents font ainsi état d'un écart de 20 à 30 points entre d'un côté les auditeurs de Fox News, la chaîne réactionnaire de référence, de l'autre ceux de CNN et de MNSBC réunis. Des éléments fondamentaux de la réforme, concernant par exemple le libre choix de l'assurance, la protection des plus âgés ou des plus faibles ou encore le droit à l'avortement, sont délibérément tronqués et instrumentalisés dans l'arène médiatique pour faire des Town Halls tenus ces derniers jours à travers le pays pour discuter de la réforme un véritable cauchemar pour les élus démocrates.

Il faut voir, sur la chaîne en question, le O'Reilly Factor pour le croire : chaque contre-thèse défendue y fait désormais l'objet d'une inscription simultanée sur l'écran pour mieux faire passer le message de la menace d'une remise en cause radicale des principes fondamentaux qui régissent les valeurs éternelles de la société américaine profonde. Words That Work : on reconnaît au passage très bien les techniques d'un certain nombre d'officines spécialisées dans la fabrication de l'opinion à Washington DC, capables d'indentifier par sondage en temps réel les mots et expressions qui font mouche au cours d'une intervention publique.

Au-delà de cette émission de combat, il ne se passe guère un moment de la journée sans que la chaîne s'abstienne, d'une façon ou d'une autre, de faire référence à la réforme en cours sous un angle mettant en évidence les graves conséquences dans la vie de l'Américain moyen d'une telle réforme si elle venait à passer au Congrès.

Plus c'est gros, plus cela a de chances de passer. Dernière trouvaille en date : plusieurs élus républicains sont même montés au créneau aujourd'hui pour demander que, compte tenu de son importance spéciale du point de vue à la fois des ressources financières requises et du rôle que le Gouvernement est appelé à jouer dans cette affaire, le seuil de majorité nécessaire au Sénat soit relevé à 75 voire 80 sénateurs, au lieu des 60 normalement requis pour faire passer une réforme sans blocage de l'opposition. Dans un système institutionnel déjà fort  peu propice à la réforme, on imagine les conclusions qu'il faudrait tirer d'un tel changement, pour l'heure fantaisiste, des régles du jeu.

La recette de ces combats est connue et mise en oeuvre de longue date, avec succès, par l'industrie de l'armement qui oppose régulièrement aux faits dramatiques découlant du libre usage des armes dans le pays la réaction émotionnelle de ceux qui, principalement issus du Midwest et du Sud, parlent non des carnages qu'égrène inlassablement l'actualité, mais d'un mode de vie synonyme de liberté qui serait gravement menacé par Washington. C'est Paris tirant sur la chasse dans le Sud-Ouest, ou Bruxelles réglementant à la louche sur les fromages - en plus musclé.

07/09/2007

Persoweb (3) Découvertes

Un dernier mot à ce sujet pour partager avec vous quelques découvertes parmi les blogs nominés au concours, blogs que vous pouvez retrouver en cliquant sur le logo Persoweb ci-joint. 600 blogs ont été passés en revue par le jury et 30 ont été retenus, soit 5 blogs sélectionnés dans chacune des 6 catégories, chaque catégorie devant au final élire un blog au terme du scrutin qui prend fin aujourd'hui.

Dans la catégorie "Expression artistique", pas de réel coup de coeur, mais un intérêt égal pour trois sites très différents - Les minutes célibataires, Grenier à grain et Everland - qui, chacun dans leur style respectif, portent une véritable identité graphique ou créative.

Côté "Loisirs et voyages", il y a un vrai plaisir à se plonger dans A Berlin et Sous nos pieds avec une prime, respectivement, à l'esthétique élégante de Berlin et au concept poétique des Pieds.

Dans la catégorie "Actualité - journalisme", un coup de coeur pour Le Blog du Chi - sans doute mon préféré sur l'ensemble de la sélection - qui associe liberté de ton et humour décapant, ainsi qu'un faible pour La tête dans le poste, sorte d'Arrêt sur image de la blogosphère.

La catégorie "Citoyenneté et vie quotidienne" fait s'arrêter sur Le rose et le noir, un regard à la fois lucide et entraînant, et surtout sur Le blog de Firmin, une aventure singulière qui n'est pas sans allure, peut-être l'une des plus émouvantes de l'ensemble.

Côté "IT/Techno", un faible pour le grain de folie de Narcissique Blog et pour le cachet trendy en diable et très professionnel de TrendsNow. Chez les "Juniors", un coup de coeur pour Tokyo Megaplex ; un faible aussi pour le côté terriblement ado de Mallo bmpg.

That's it. Avec un peu de temps en plus, il serait intéressant, de l'avis de plusieurs internautes, d'élargir la revue à l'ensemble des blogs présents au concours. Comme dirait Pirsig dans son Traité du zen et de l'entretien des motocyclettes (j'avais affiché la citation en khâgne, le moins qu'on puisse dire est qu'elle avait laissé tout le monde perplexe), "ce sont les meilleurs élèves qui échouent aux examens".

09/01/2007

Taisez-vous, Elkabbach ! (sur la fin du journalisme de papa)

Ainsi donc, si l'on en croit Jean-Pierre Elkabbach dans une récente tribune du Monde (4/01/2007), l'internaute contemporain se perdrait dans l'hyperinformation, en s'enfermant dans sa propre solitude...

Surtout, peu à même de décrypter l'actualité, il génèrerait par ses productions, autant que par ses nouveaux réflexes d'information, une "cacophonie intolérable", une confusion nuisible à la démocratie. Bref, c'est à "un formidable bond en arrière" que nous assisterions aujourd'hui au détriment du journalisme classique - journalisme présumé seul capable de guider les citoyens dans les débats qui comptent, et qui devrait tout au plus selon le président d'Europe 1, se montrer un peu plus à l'écoute du temps à travers la blogosphère.

Quelle erreur de jugement... A moins qu'il ne s'agisse que d'une tentative désespérée de reprendre la main sur un mouvement de fond qui échappe à la plupart des grands medias actuels - à quelques exceptions il est vrai remarquables (voir en particulier Libération, Le Monde ou Les Echos) ? A l'inverse d'un Rupert Murdoch - une leçon anglo-saxonne de plus -, Jean-Pierre Elkabbach n'a manifestement pas bien pris la mesure de la réalité du web d'aujourd'hui, et propose aux citoyens internautes une sorte d'association qui, en masquant mal son incompréhension, sinon sa morgue, signe d'emblée ses limites.

Oui, les grands medias et les journalistes n'ont plus le monopole du tri : la poste, on confirme, c'est fini. Plus exactement, ceux qui ont su bâtir une expertise technique reconnue, ou qui sont capables de développer une analyse originale du monde comme il va n'ont guère de souci à se faire - on pense notamment aux grands experts sectoriels et aux éditorialistes reconnus (voyez, parmi bien d'autres, les commentateurs affûtés que sont Barbier, Le Boucher ou de Kerdrel). Leur place demeurera - et demeurera essentielle en effet à une démocratie éclairée, courageuse et vivante. Il va sans dire que les autres ont plus de souci à se faire face à cette nouvelle concurrence des contenus issus de la société civile.

Car le niveau d'éducation général monte dans nos sociétés et, à côté des difficultés considérables que rencontrent bien de nos concitoyens les plus modestes à s'insérer avec succès dans le système scolaire - voire, le fameux bondyblog.fr ouvre de nouveaux espaces au journalisme citoyen -, une parole éclairée par les savoirs spécialisés ou la diversité des expériences de terrain - enseignants, voyageurs, cadres d'entreprises, responsables associatifs - a bel et bien pleinement trouvé sa place dans la cité.

Prétexter des mauvais blogs pour décrédibiliser un mouvement intellectuel et social riche est un piètre procédé ; c'est un peu comme si l'on faisait le tour du kiosque le plus proche pour se faire une idée de la qualité de la presse actuelle dans notre pays : résultat garanti... Au demeurant, il en va des mauvais blogs comme de la mauvaise presse : la sélection fait généralement son oeuvre.

Et, contrairement à ce qu'énonce un point de vue manifestement dépassé par les événements, la blogosphère sait intégrer les régulations utiles... bien mieux que n'aurait pu le rêver la philosophie autogestionnaire des années 70. Oui, le web 2.0 dans ses meilleures réalisations, montre une capacité remarquable à s'autoéguler en s'appuyant sur ceux qui émergent en son sein comme des partenaires fiables, et auxquels se trouve ainsi délégué un rôle de modérateur qui, lui non plus, n'appartient plus en propre aux journalistes.

Cette émergence des savoirs s'accompagne de fait d'un progrès notable du sens critique des citoyens, dont les internautes, de ce point de vue, représentent plutôt un groupe pionnier, éclairé, réactif, capable de mobilisations fortes et efficaces, capable d'identifier, de commenter et de mettre en perspective très rapidement les contenus pertinents du point de vue de la société civile. Laissons donc la "sagesse des foules" aux auditeurs de la Une et d'Europe 1 réunis.

Là encore, disqualifier l'amateurisme de la blogosphère à travers l'utilisation que font certaines chaînes américaines de blogs de GI's constitue un raccourci grotesque... Qui donc a corrigé Dan Rather sur CBS News à propos du service militaire du président Bush ? Qui a protesté contre les propos d'Eason Jordan sur CNN ? Surtout, qui réintroduit dans le débat public des sujets oubliés par les medias traditionnels parce qu'ils ne sont pas vendeurs du point de vue du modèle économique de la presse installée, sous haute influence publicitaire ?

Il en va ainsi par exemple de l'intérêt d'un suivi continu, au sein de la blogosphère, des problématiques africaines (cf le Blog Africa d'Ethan Zuckerman) ou des développements de la citoyenneté en Chine à travers... l'émergence des blogs. Sur ces exemples positifs en plein essor - et tant d'autres expériences citoyennes de premier plan telles que Ohmynews en Corée ou Agoravox en Europe -, on consultera avec prodit le dernier ouvrage de Loïc Le Meur et Laurence Beauvais, "Blogs pour les pros".

On reprocherait également aux blogueurs de "ramasser" les contenus que d'autres ont bien voulu produire ailleurs... Mais quelle est au juste, là encore, la réalité de la presse institutionnelle d'aujourd'hui ? Comment fonctionne la boucle médiatique ? Selon quelles connivences souvent à peine voilées, quelles médiations mal assurées, quelle irrationalité stupéfiante parfois, quel modèle économique explicite ?

Quant au mythe de la gratuité, l'exemple spectaculaire des quotidiens gratuits parle de lui-même, Sylvain Attal a raison de le souligner (Le Monde du 6/01/2007). Un mouvement de fond est engagé, auquel en effet la publicité commence de s'adapter. Et la dissidence de Larry Sanger ne changera rien à l'expérience de référence de Wikipédia. Si les experts conservent leur place - et certes, nous avons plus que jamais besoin aussi de leurs éclairages, désaccords inclus (voir par exemple les récents débats scientifiques sur la question du réchauffement du climat) -, c'est désormais au milieu des interrogations et des témoignages portés avec vivacité par la "communication conversationnelle".

"Bienvenue, dit Ohmynews, dans le monde qui révolutionne la production, la distribution et la consommation de l'info. Dites bye-bye à la culture journalistique d'hier, celle du XXe siècle". On ne saurait mieux dire. Oui, la blogosphère est un "incroyable révélateur de notre époque", incontestablement marquée qu'elle est par "une prise de parole plus libre et moins codée". Nous vivons une nouvelle ère de la production des contenus comparable à l'invention de l'imprimerie. A travers la montée d'une concurrence stimulante, cette nouvelle ère signale la fin du journalisme de papa - un journalisme moribond, qui a au moins désormais trouvé son porte-parole, dont les accents sont au journalisme d'aujourd'hui à peu près ce qu'est la voix de Gaulle à la modernité du débat public. Ou, pour être tout à fait clair, Jurassik Park à la nouvelle vague.