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27/12/2010

Deux femmes (un déjeuner à la Rotonde)

Entre Montparnasse et Vavin, la Rotonde est au Dôme (*) ce que, à la Closerie des Lilas, la brasserie est au restaurant : un cousin émancipé, aussi cultivé mais plus libre, en souvenir probablement du temps où Modigliani s'y affrontait à Picasso (**).

Entre deux rendez-vous, deux manifestations ou bien de passage entre Montparnasse et Saint-Michel, c'est une halte sûre. A midi, la formule plat, dessert (choix entre deux plats et deux desserts), boisson et café à 19 euros est imbattable.

Un jour, une rouelle d'agneau crème à l'ail, un autre un filet de lieu en croûte de sésame - une demi San Pe. Au dessert, on choisit le lundi entre un cheesecake et une mousse aux fruits rouges, le mardi entre un far breton et une mousse aux marrons. Côté vins, on trouve pour cette formule un Côte du Rhône, un Cheverny (de chez Salvard) et un Côte de Provence tout à fait honorables.

Hors piste, au dîner, les spécialités de la maison - Saint-Jacques (***) ou viande de Salers, le tartare ou le bar - sont de solides classiques. Quant aux desserts : Baba au vieux rhum ambré, figues rôties au Banyuls glace vanille, mille-feuilles préparé minute à la vanille bourbon surtout, c'est bien simple, ils ravissent.

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(*) L'été, une tagliatelles aux langoustines (un dialogue de sourds) ou une assiette de sardines avec un verre de Pouilly (une pause américaine) reste au Dôme un plaisir de choix.

(**) On peut encore y voir des portraits de Jeanne Hébuterne qui, par peintres interposés, y fut opposée à Olga, la compagne du barcelonais, au concours artistique de Paris en 1919.

(***) En recette de saison, les Saint-Jacques à la bordelaise sont un régal.

17/12/2010

Survivre (retour à L'Ourcine)

On ne survivrait pas longtemps à la crise sans consolation gastronomique digne de ce nom au rang desquelles il faut compter un dîner à l'Ourcine. Quand on a quasiment fait l'ouverture de ce restaurant de quartier, au bas d'Arago, et qu'on le retrouve quatre ans plus tard, après une échappée barbare, au meilleur de sa forme, on est ravi que ce succès confirme ce que la fidélité doit au talent (*).

Un verre de Côte du Rhône blanc pour commencer - offert par la maison. Ce n'est ni un Condrieu ni un Château Grillet (ici, on fait pour l'essentiel dans une simplicité de bon goût), mais c'est rond, souple, parfait pour attaquer quelques rondelles de saucisse sèche - ou mieux, une mousse aux Saint-Jacques, légère et onctueuse.

Faute de ravioles d'araignées de mer, émulsion crémeuse à la citronelle, on se rabat sur un velouté de potirons juste crémé au lomo ibérique, qui fait mieux qu'un second rôle et rivalise même avec celui de l'épicerie-restaurant, un peu plus haut sur Claude Bernard (**). Un verre de Saumur, nerveux, pour équilibrer les substances.

On se retrouve face-à-face ensuite avec un classique de la maison : les noix de Saint-Jacques bretonnes rôties. On les a connues aux endives, un soupçon noyées dans leur jus (et on a donc dû en sauver quelques unes) mais, ce soir-là, elles sont ciselées, servies de surcroît avec une purée de panais dont le moelleux ferait presque la leçon à Robuchon.

Un bouchon de chocolat pour finir. C'était très bon, c'est devenu excellent. Sylvain Danière, qui fut second de Camdeborde, monte en puissance tandis qu'à ses côtés, Nakanashi, veille sur des cuissons au poil et des finitions au cordeau. Même façon d'officier d'ailleurs, concentrée, que Yosuke Suga, à L'atelier de la 57ème (***).

Et puis, survivre pour survivre, ce serait ballot de passer la crise pour mourir de froid. Un Armagnac fera donc l'affaire pour remonter d'Arago à Cluny sans succomber à l'hiver.

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(*) N'essayez pas, à propos, d'y amener des Américains un jour de canicule. Ils résisteront difficilement à l'absence de climatisation, hallucineront de découvrir qu'un verre d'eau peut exister sans glaçons avant que ce mélange de produits rudes et de cuisson brute ne les achèvent pour de bon, bref, tout cela finira en salades.

(**) Passez un autre soir aux Papilles, c'est, entre le Luxembourg et la rue d'Ulm, une adresse plus que recommandable.

(***) Il est vrai que Suga ajoutait à son art, tout de supervision, une puissance rituelle ensorcelante. Du Japon, à peu près tout m'échappe. Mais ce mariage des traditions française et japonaise, de l'inventivité et de la cérémonie, de l'inspiration et de la précision, de l'agencement et du goût, est sans doute l'une des hybridations les plus remarquables qu'ait produit ce début de siècle.

01/12/2010

A propos des vaches (un dîner à la Ferrandaise)

La vie est pleine d'aventures trépidantes. Il ne faut jamais parler du Massif Central au déjeuner avec Miss Bo Bun dans un (fort bon) boui-boui asiatique de l'avenue de Breteuil. Le soir, on se retrouve à dîner à la Ferrandaise (8, avenue de Vaugirard dans le VIème).

La Ferrandaise est une race de la chaîne des Puys qui a failli disparaître. On en zigouille bien encore une ou deux de temps en temps, mais sans rompre l'équilibre auquel veille le parc naturel d'Auvergne. Combien de temps encore avant de virer veggie ? Il me semble d'un coup, entre une vraie philosophie bio - disons, un plan terroir inventif - et un panoramique bovin sur le Puy de Dôme, que la question, dorénavant, se pose (à l'occasion, lisez aussi Duteurtre : je ne dis pas que les écrivains normands sont voués à parler des vaches, mais enfin il a fait là-dessus, au moment de la crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine, un texte singulier).

Après quelques hésitations, la tarte gratinée au bleu d'Auvergne (1), aux poires infusées à la sauge finit par s'imposer contre l'oeuf bio coulant, fondue de poireaux et pommes de terre, écume de lard. Belle assiette, aussi concentrée que colorée. Un délice que préparait déjà avec justesse un velouté de fenouille et panais en guise d'amuse-bouche.

Si vous avez peur de tomber sur un cochon de lait qui se serait pris pour un fauve (un traumatisme antillais) sans avoir pour autant réussi le concours de cochon sauvage (un délice calédonien), optez pour la pièce de veau de lait, fondue de poireaux et mikado de betteraves.

Du mikado, on peut discuter : c'est créatif, mais croquant (2). Demandez une purée maison en sus, on ne vous la refusera pas (c'est ce que n'a toujours pas compris ce grigou de caviste auvergnat bio de Port Royal, qui préférerait mourir que de remplacer une bouteille corrompue). Mais du veau : non. Cuisson à la fois rosée et croustillante sur les angles de la pièce.

Belle bête, les amis, qui affronterait le toreador à la fourchette avec presque plus d'audace qu'à l'Opportun. D'ailleurs, il fut un temps où le patron, Gilles Amiot, faisait entrer son veau entier par la porte du restaurant au beau milieu du déjeuner. Effet garanti, mais un peu encombrant en cuisine.

Là-dessus, laissez-vous tenter par la suggestion d'un Beaumes de Venise : c'est un vin généreux, rond, avec ce qu'il faut de puissance et de fruit. Bonne amplitude en bouche, avec de la tenue et de l'équilibre sur le veau. C'est parfait et ça vaut bien, dans les Madiran, un Bouscassé ou un Montus (que l'on trouve même au Beacon's Wine de Broadway, entre Citarella et le marché... bio de la 72ème : ça finit par être contagieux, cette affaire). Belle carte des vins par ailleurs, notamment en Bourgogne blancs et Vallée du Rhône.

En dessert, le café gourmand fera d'autant plus l'affaire que Ken Buisson, le chef, a démarré dans le métier comme pâtissier. Onctueux passion (palet fruits rouges et sorbet basilic), dacquoise au chocolat coco (mousse cacahuètes, émulsion chocolat). Mousse au chocolat (c'est à la fois onctueux, crémeux et léger) et sorbet passion (un sorbet mat qui ne fait pas d'esbroufe). Alternez les deux derniers.

En cas de livraison tardive, entre un sénateur et une femme de lettre, le restaurant prendrait presque  l'allure d'un tripot (chic) au temps de la prohibition. Laissez-vous tenter par l'eau de vie de coing du taulier. C'est un truc qui vient de Palladuc (63). L'eau-de-vie du coing, c'est un peu comme le calva de l'oncle Jean, mais en moins fruité et en plus brutal. Il faut bien ça pour affronter le froid glacial qui s'engouffre de travers entre Saint-Michel et Odéon.

Pour le reste, causette avec Gilles Amiot en fin de partie. Je suis bien d'accord avec lui (qui est pourtant félicité par Camdeborde aussi bien pour ses produits que pour son travail) : en France, le fooding, ça nous échappe un peu et, d'un autre côté, la cuisine de terroir manque le concept. Je sais, je me suis fait expliquer le sujet par l'égérie du mouvement lors d'un dîner cubain Midtown entre un éducateur inspiré qui se faisait traiter de sarkozyste dans les lycées de banlieue et une bande de politologues désemparés. Je ne vois qu'une solution : il faut qu'Anna muse.

Belle adresse. C'est bon, chaleureux et élégant. Ce restaurant a ouvert il y a cinq ans sur mon territoire et je ne l'avais pas vu. Je baisse. Il est temps de revenir, la vache.

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(1) C'est beaucoup mieux que celle du Petit café de la rue du Faubourg Saint-Antoine, mais ce n'est pas le sujet. Si vous êtes vers Bastille, que vous avez peu de temps et qu'une tarte chaude avec d'excellentes crudités vous tente, faites-y halte. La patronne, en plus, est adorable.

(2) Dans tous les cas de figure, les légumes ici, comme à Baons-le-Comte, sont bio.

02/08/2010

Esca (escae maximae esse*)

Escapade. Cela aurait pu être le Duke, une semaine plus tard, de l'autre côté de l'Amérique. Un joli souvenir. Los Angeles est une figure emblématique de l'époque pour laquelle j'ai un attachement particulier : on ne sait plus très bien lequel l'emporte du réel ou de son double. Mais, la côte Pacifique, c'est une incitation permanente à l'aventure, tandis qu'à New York on joue à domicile. Moins cool peut-être, mais aussi moins court. Escarmouche.

Non, quoiqu'un peu en avance sur le calendrier, le dîner chez Esca ferait, cette année, un très bon premier anniversaire. L'intérieur, chic, sobre et climatisé, est un refuge américain - autant dire un frigo accueillant par plus de 30°. On opte pour le jardin-terrasse aéré, presque luxuriant, à l'angle de la 43ème et de la 9ème avenue. Un rêve d'escarpolette. Oasis protégée ? Une fois que les pompiers sont passés, comme chaque soir, visiter en grandes pompes une des personnes âgées faisant une syncope dans l'immeuble du dessus (habité de fait par d'anciens locataires bénéficiant de loyers avantageux, du type loi 1948 à Paris) : oui. Escabeau.

Ici, on savoure la cuisine rustique de poissons et de fruits de mer d'origine napolitaine de Mario Batali. Menu dégustation pour l'occasion. Ça démarre avec une poignée de sashimis "extra crudo", vivaneau et maquereau - chair fraîche et ferme - avec une coupe de Prosecco (Flor, NV, Veneto). A suivre : Vongole al Forno, des moules au four dans une préparation de bacon et d'épices, sur un Kerner (Köfererhof 2008, Alto Adige) : escamotable.

On rentre bientôt dans le vif du sujet avec les Maccheroni alla Chittara, des spaghettis maison, un peu épais, parfaitement cuits dans une farce légère d'ourcin et de chair de crabe. Marin en diable, avec le parti pris là-dessus d'un rosé de Campanie (Aglianico Albarosa, Cantine del Taburno, 2009). Escalade. Puis, des Capesante - des Saint-Jacques avec une préparation de légumes méditerranéens et servies sur un rouge, un magnifique Vino Nobile di Montepulciano (Casale Daviddi, 2006, Toscana). Plus convenu.

Vient un saumon royal de la Yukon River dans une préparation à base de figues et de cresson, accompagné d'un Barolo Arborina (Renato Corino 2003, Piemonte). Pourquoi pas. Un peu de ricotta avec un filet de miel - un souvenir dévoyé de la conquête normande sans doute -, puis un assortiment de desserts servi avec un Moscato d'Asti (Saracco, Piemonte). Un' espresso. Escampette.

On reste sur un bon moment, qui le doit autant au spot qu'aux fourneaux. Un brin surcoté. Finalement, le plus dur en rentrant, ce ne sont pas les Pouilles, ce sont les marches. D'escaliers.

Rescapés.

 

(*) "Etre un grand mangeur". La formule est de Plaute.

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15/20 pour ce restaurant un peu trop cher pour ce qu'il est chic (pour une expérience gastronomique supérieure dans un registre similaire mais mieux maîtrisé, on reparlera de Falai). Rien n'oblige toutefois à opter pour le Tasting Menu et, intérieur ou extérieur, le lieu vaut malgré tout l'escale.

17/05/2010

Balthazar, un zoo art déco à Soho

Qu'importe la célébration, pourvu qu'on ait l'ambiance. Ce pourrait être la devise du Balthazar, dont la façade élégante et discrète fait l'angle entre Spring et Crosby Street, au beau milieu de Soho. C'est dire que la brasserie style frenchy années trente ouverte par Keith MacNally il y a une quinzaine d'années capte un peu des vibrations électriques du quartier.

On y retrouve du coup sans suprise une faune bariolée associant midinettes de sortie, business people venus du Financial District, tables familiales, dîners en amoureux ou réunions amicales. Du vieux bar tout en longueur jusqu'au fond de la salle et du bar à huîtres jusqu'à l'entrée prise d'assaut, c'est bruyant mais chaleureux, comme une Coupole dont on aurait resserré les murs, patiné les miroirs et adouci l'éclairage.

Aux fourneaux, Riad Nasr et Lee Hanson n'ont pas fait Harvard mais connaissent le credo : pas de stratégie gagnante sans excellence dans l'exécution. La cuisine, classique, est sérieuse et juste. Le crémant d'Alsace fait une très honnête attaque, vive, avec de la tenue. Suivent une frisée (sans caractère) et une assiette de grosses crevettes accompagnée du pain-beurre renommé de la boulangerie maison, qui fait d'ailleurs boutique à part côté Spring.

Un maître d'hôtel qui effraie le bébé par inadvertance et se rattrape en chantonant une comptine tout en recommandant le plat du jour avec sincérité ne peut pas être un type antipathique, surtout après qu'on a goûté au plat du jour en question. Suivez donc la reco et, si c'est samedi, optez pour les ribs. Un délice, cuisson lente, fondant à souhait (qui rappelle l'agneau confit du couscous de Port Royal : cette qualité de fondu ne se trouve qu'assez rarement), servi avec une bonne purée maison et deux ou trois légumes qu'on avait sous la main, histoire de.

Un verre de Gigondas, un autre de Corsica - dégustation préalable et, de nouveau, une recommandation carrée qui fait mouche sans ciller. Au dessert, profiterolles et tartelette rhubarbe-fraises. Un service précis, gentil et bien rythmé. Ici, on vient pour voir, on repart en habitué. Ça sent la cantine. Un déca, l'addition. Rien à redire.

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Balthazar, 80 Spring Street. Environ $220 pour ce dîner à deux, pourboire inclus. Note : 15/20