23/08/2009
Bel canto, buona pasta (pour Bellini)
On n'entend rien à l'Italie si l'on ne comprend rien ni à l'opéra, ni aux pâtes ni, accessoirement, à la Sicile. Puisqu'il fallait un plat qui fût à l'honneur du compositeur de Catania, on inventa donc la pasta alla norma et l'on fit bien."Je veux quelque chose qui soit tout à la fois une prière, une invocation, une menace et un délire " disait Bellini à son librettiste, Felice Romani.
Rien de délirant pourtant dans la pâte en question (et c'est en quoi il faut fuir les restaurants italiens chics, en faisant quelques exceptions ici ou là, par exemple pour Dell'Orto du côté de Notre Dame de Lorette, ou pour la très regrettée Bauta du côté de Montparnasse). De fait, dans les éléments de base d'une bonne pasta alla norma, il faut compter des ingrédients soigneusement choisis, un peu d'application et un minimum de patience.
Pour les ingrédients, Barzini, dont les étales de fruits et légumes s'étirent sur les hauts de Broadway, fera fort bien l'affaire : on y fait non seulement ses courses tard, mais aussi d'agréables rencontres. On y trouve de magnifiques aubergines, des tomates bien rouges, de taille moyenne, venues du Canada, des oignons parfaitement dorés et des échalottes bien sûr, mais aussi, fait suffisamment rare aux Etats-Unis (tout comme en France, d'ailleurs) pour être signalé, une somptueuse ricotta fraîche.
Au rang des questions majeures, celle du choix de la pâte juste pour une sauce donnée reste malheureusement trop souvent sous-estimée. On peut, dans le cas qui nous occupe, hésiter, entre les linguine n°7 ou n°8 de chez De Cecco : les n°8 ", un soupçon plus fines, conviennent à merveille en permettant une meilleure imprégnation des pâtes avec la sauce.
Les aubergines sont coupées en dés et jetées dans une poêle assez large où elles reviennent dans un fond d'huile d'olive, bientôt suivis des petits oignons. Epelées et coupées en petits morceaux, les tomates suivent. Le tout, rehaussé d'une pincée de red pepper (un équivalent américain acceptable du peperoncino), peut mijoter aisément pendant une heure -une heure et demi.
La poêle est recouverte pendant l'essentiel de la cuisson de façon à faire suffisamment fondre les aubergines. Puis l'on retire le couvercle pour permettre cette fois à la sauce, à feu vif puis de plus en plus doux, de se concentrer davantage, de perdre en jus et de gagner en sucs. Les ingrédients ont alors fusionné et l'on obtient un mélange dont le fondu, un peu lourd, de l'aubergine s'équilibre à merveille avec la fraîcheur plus vive des tomates.
Après quelques courtes minutes de cuisson, les linguine sont mélangées à la sauce. On sert le tout dans de belles assiettes à pâtes, blanches, creuses et entourées d'un large rebord, qui permettent aux pâtes de conserver à la fois leur chaleur au sortir de la cuisson et leur texture. On dépose sur le sommet de chaque assiette de pâtes chaudes deux ou trois cuillérées de ricotta fraîche. Celle-ci, d'une consistance analogue à une faisselle, finit par se dissoudre progressivement dans les pâtes. Le parmesan est naturellement tout à fait inutile ici.
Ce plat est accompagné d'un Saint-Estèphe (Lilian Ladouis, 2003) mais, en vertu de l'axiome de l'appariement des terroirs, un Chianto classico de chez Mitchell's, plus léger, un peu plus vif et avec plus de fruit rendrait le mariage parfait.
Le bonheur gastronomique se passe fort bien de la guerre des gangs. N'en parlez pas à Little Italy qui pourrait bien, pour le coup, jalouser cette manière à la fois simple et inspirée. Le plat est un authentique régal. A faire suivre, plus tard, d'un amaretto légèrement glacé, sur l'air de Casta Diva pour retrouver, à défaut du délire, un peu du recueillement qui sied aux bonnes choses.
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Les Amerloques, Upper West Side, 320 W 88th Street. Sur invitation. Note pour ce plat : 16,5.
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25/01/2009
Inauguration Day, au Docks (PS) Si par une nuit d'hiver... (le homard et la palourde)
12 est une note honorable sanctionnant un bon dîner qui, dans le cas du Docks, a souffert davantage d'une exigence poussée en matière de cuisine italienne que d'une faiblesse intrinsèque - le pour-soi de l'en-soi, en quelque sorte : ce n'est pas la pâte en soi (pas plus que la palourde) qui font question, c'est l'idiosyncrasie du goûteur.
Sur ce, rien de tel que de repasser furtivement le soir suivant au lieu dit pour vérifier la première impression. Faire simple. Un lobster roll, sorte de sandwich ouvert, composé d'une farce fraîche de homard et de concombre notamment, est un délice. Il est accompagné de French fries, qui faisaient encore récemment débat au bar en question - la décision du Congrès de les rebaptiser en Freedom fries le lendemain du discours de Villepin à l'ONU reste encore dans les mémoires à New York comme une sorte de cauchemar conjugué de l'intelligence et de l'humanisme.
Passons. La bouteille de Ketchup est inévitable, mais elle est ici aussi culturellement nécessaire que gastronomiquement superflue. Une Samuel Adams fera très bien l'affaire. L'endroit se confirme comme une adresse plus que respectable, aussi amicale au comptoir que familiale en salle - on vient en particulier y déguster de généreux homards, ou bien des Saint Jacques du Maine. Un petit côté Art déco à la fois sobre et soigné. Et une francophilie indéniable, qui transparaît à travers de belles affiches des années trente, l'une, la "Quinzaine du poisson", annonçant une exposition au Grand Palais (janvier-février 1933) sponsorisée par le Musée de la marine, l'autre faisant la promotion d'une association de pêcheurs - toutes deux en français.
Cette collation tourne autour d'une trentaine de dollars et tire le 12 vers le 14, sans hésitation, aussi bien pour la qualité de la cuisine (une cuisine sharp, dont il faut encore souligner l'économie de moyens, assez singulière aux Etats-Unis où il faut souvent montrer autant que faire) que pour le décor à la fois public et intimiste, ou encore l'ambiance chaleureuse.
Une adresse qui s'impose pour le dîner léger en celibataire d'un dimanche d'hiver et de travail, quand New York se laisse peu à peu envelopper d'une neige doucement envahissante - festive sur Broadway, presque immaculée sur West End, féérique sur Riverside, à deux pas de l'Hudson River dont on distingue à peine les flots dans le halo que forment les nuées de flocons devant les lumières du New Jersey. Obama évoquait ce dimanche depuis Baltimore, en route vers Washington, les temps difficiles qui attendent les Américains, sur les écrans de CNN, Wall Street s'enfonce un peu plus dans la crise. Mais c'est comme si cette neige, dans un climat froid qui se stabilise en douceur autour de zéro, redonnait à tout cela l'allure festive, rassurante, miraculeuse des nouveaux départs.
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Un autre soir, un dîner de retrouvailles (il a planché communication en Angleterre, elle lingerie à Hong-Kong). Une table parfaite, côté restaurant, surplombant le bar et la brasserie. Ambiance à la fois chaleureuse et calme, en milieu de soirée. Un Manhattan roll (tempura de crevettes, avocat, riz, assaisonnements divers) pour deux, et homard puttanesca - une merveille -, le tout accompagné d'une bouteille de Fumé blanc californien. Ni dessert, ni café. Un incontestable 14 qui confirme définitivement une adresse de référence dans ce quartier. Compter cette fois aux alentours de 130$ pour deux, pourboire inclus.
19:19 Publié dans Bonnes tables, La vie quotidienne à New York au temps d'Obama | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cuisine, voyages, restaurant new york, gastronomie, obama
21/01/2009
Inauguration Day, au bar (2) Au Docks (se concentrer sur les belles choses)
Cela fait longtemps que vous passez devant l'endroit, qui se trouve être à deux pas de la maison en remontant Broadway vers le nord. Vous y avez même fait un repérage un jour en passant, parce que rien ne vaut, en ces matières importantes et délicates, une prise de température personnelle. Un beau soir, pas plus tard que samedi dernier, vous vous y arrêtez pour de bon. Entre la salle, un peu surélevée et tout en longueur sur votre droite, la partie brasserie au centre et le bar - une organisation qui rappelle Lindey's, la brasserie qui, au beau milieu du Midwest, vous faisait office de cantine -, votre choix est fait. Vous filez au bar, vous savez bien que, si l'on y est parfois un peu plus à l'étroit, on y est aussi plus libre. C'est aussi pourquoi on y dit généralement plus de bêtises, avec une générosité qui n'est guère dupe d'elle-même, ce qui reste, à cette stricte condition près qui rend la bêtise praticable, un des droits fondamentaux de la personne humaine. En quoi tous les bars de la planète s'apparentent d'ailleurs à une sorte d'immense réserve naturelle.
Pour autant, vous n'êtes pas au zoo mais au restaurant. Que l'on vous prenne pour un reporter comme le psychologue juif assis à votre gauche (vous êtes trop cool le week-end) ou pour un espion comme le déménageur arriéré de Columbus (et parfois inutilement mystérieux sur vos activités), il convient de passer à l'action (peut-être devriez-vous au passage en tirer la leçon et agir plus rapidement pour couper court aux rumeurs). La spécialité de l'endroit, ce sont les fruits de mer ; il n'y a que quelques poissons mais beaucoup de coquillages. Originalité, qui fait songer cette fois au japonais sur Castro, à San Francisco : c'est un chef japonais qui porte un soin maniaque à des couteaux de tueur en série, à l'extrémité du bar et à l'opposé de la cuisine, qui règne en maître non seulement sur les fruits de mer, mais aussi sur une sélection de japanese rolls qui ont l'air tout à fait recommandables.
Vous optez pour des linguine aux fruits de mer - un peu plus larges que les n°7 de De Cecco, l'étalon absolu en ce domaine, et c'est dommage parce que, techniquement, cela nuit un peu à la fluidité de l'ensemble, notamment au moment d'enrouler les pâtes. Celles-ci sont préparées avec des palourdes et cuisinées au vin blanc, l'option au vin rouge existe aussi, mais elle vous a toujours paru suspecte, comme la faute de goût qui consiste à associer du parmesan avec des pâtes aux fruits de mer - on se fait virer d'un restaurant sicilien de la côte pour moins que ça. Là-dessus, la barmaid black, au demeurant amicale, élégante et pro-Obama en dépit d'un positionnement plus libéral, se rattrappe de l'affaire du parmesan en vous proposant un verre de Fumé blanc californien, à la fois plus vif qu'un Pouilly fumé et presqu'aussi rond qu'un Chardonnay. Jolie découverte. La pâte est assez juste, al dente et sans fioritures.
Ce n'est pas extraordinairement bon, mais c'est bien, au sens pour ainsi dire platonicien du terme, c'est conforme à l'idée de pâte. Quand le monde menace de s'écrouler, se concentrer sur les belles choses et, alternativement, sur les bonnes.
Vous décidez, pour le deuxième dîner d'affilée, de terminer par une tarte au citron accompagnée de crème fraîche qui se révèle, façon cheesecake plutôt imposante mais, somme toute, plutôt correcte. Il n'y a pas de lemoncello, vous prenez un Disaronno - il faut ça pour faire face à l'offensive conjuguée du maître d'hôtel contre le Midwest (ça vous gêne de plus en plus ces sorties à la con, plus vous courez le monde, plus vous vous rendez compte que c'est universel, plus vous comprenez qu'on n'en sortira pas - et puis, vous y avez passé un peu de temps et rencontré des gens bien ; dans les bars, et même parfois au-delà, il faut une énergie considérable pour défendre ce qui nous est cher contre la foule), du psychologue juif contre le Texas et de tout le monde en coeur à propos de l'amerrissage extraordinaire de Sullenberger, à côté de la maison.
C'est reparti pour une longue diatribe contre la catastrophe Bush dont Katrina est le modèle et l'Irak l'enfer. En résumé, en poussant à peine, du temps de Bush, les avions atterrissaient au sommet du World Trade Center, du temps d'Obama, ils atterrisssent en douceur sur l'Hudson River. A quel point New York a souffert de ces huit années et l'Amérique de son image détruite à peu près partout dans le monde, il faut passer un peu de temps avec les gens pour le mesurer. Et mon voisin le psychologue de s'emporter d'un même mouvement contre le malheur de la Shoah, le statut de personnes tolérées qu'ont les Juifs d'Amérique dans l'esprit des Texans, le scandale Mugabe, le racisme de la France mais le bonheur de Paris, et le malheur de vieillir.
Le psychologue juif qui dit avoir cent quatre ans comme s'il sortait d'une lecture de la Torah ou d'un atelier maçonnique dit aussi que la question "pourquoi" est sans doute la plus stupide du monde, qu'il faut mille fois lui préférer "quoi" et "comment". Il a raison. Au-delà même de la Shoah et des malheurs du monde, dans un restaurant, c'est un angle d'attaque qui se defend.
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Docks - Oyster Bar & Seafood Grill - 2427 Broadway / 89 St (il en existe un autre sur East Side, mais enfin le West Side a pour lui la double supériorité de la culture et de la gastronomie). Compter environ $ 50 / personne pour ce dîner au bar. Note globale pour ce dîner : 12.
01:15 Publié dans Bonnes tables, La vie quotidienne à New York au temps d'Obama | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : cuisine, restaurants new york, voyages, obama, juifs
19/01/2009
Inauguration Day, au bar (1) A l'Ouest (l'erreur de Sartre)
En Amérique, dîner au bar est assez courant et donne généralement la possibilité de repas moins formels et plus conviviaux. Cela peut commencer au bar de Ouest, sur Broadway, un des restaurants gastronomiques de l'Upper West Side. Entre une porte glaciale (New York oscille autour des -10 ° ces temps-ci) et un restaurant bondé qui domine une cuisine largement ouverte sur la salle principale, le dîner s'engage, avec un peu de chance, avec des bouchées au fromage que vous offriront bien volontiers vos voisins au moment de l'apéritif, ou le barman si votre tête lui revient - ici comme ailleurs, un personnage clé et davantage pour la générosité du service que pour l'étude de la mauvaise foi - il fallait quand même avoir l'esprit tordu, "l'oeil torve et le regard perçant" comme dit tel commentateur, pour perdre de vue l'essentiel dans l'existence.
Après les mises en bouche, le Gravlax, servi sur un blini léger, fait un appetizer délicieux et frais, qui s'accommodera parfaitement de la vivacité d'un Pinot grigio (Kris, Veneto - 2005). La suite peut permettre de s'aventurer dans des options disons plus consistantes, tel ce risotto aux artichauts associant filets de caille et magrets de canard dans une sauce au vin très concentrée, à l'instar de celles qui vont avec les venaisons. Savoureux, pas si lourd - ce qui souligne au passage le talent de Tom Valenti pour les audaces inattendues de cette nouvelle cuisine américaine - et remarquablement servi par un Zinfandel (Peter Franus, Nappa Valley - 2005) que l'on préfèrera même, avec une indéniable longueur d'avance, et un brin de malice, au Saint-Estèphe de la carte, aussi prometteur en bouche que plat en finale.
Soyons fous, à l'approche de la passation des pouvoirs à la Maison Blanche, et à deux pas de la ruine qui suivra (ne lisez pas le dernier Attali, les fins insouciantes au bord du gouffre ont toujours fait les chapitres les plus profonds des manuels d'histoire), le dîner peut s'achever autour d'une plus qu'honorable Panna cotta à la mangue, succulente bien que la base de crème fraîche y soit un peu trop marquée. Autour de voisins qui évoquent, pêle-mêle, les bonheurs du quartier, les blackberrys en vogue, le 11 septembre et les amerrissages impeccables sur l'Hudson, on peut alors s'offrir un vin de dessert. Ce sera un Torcato (Maculan, Veneto - 2001), un poil trop sucré mais qui l'emporte, là encore, sur son concurrent direct à la dégustation (voir plus haut, sur la largesse d'esprit du barman), un Rivesaltes plus féminin, aux notes florales bien plus prononcées.
Allons, un verre aux brillants reflets d'or quand la conversation finit par naviguer entre Wall Street, Obama et les atterrissages en douceur, entre le bûcher des vanités et Inauguration Day, c'était bien le moins que la France se jetât à l'eau, ce soir-là, pour encourager l'Amérique.
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Ouest - W80s, 2315 Broadway (entre 83 et 84 St.) est un restaurant chic et cher. Compter de $ 150 à 200 pour un dîner à deux (après 18h30 et une formule à $ 34 hors boissons). On dînera aussi avec plaisir dans la salle principale vers l'arrière du restaurant, en profitant de ses larges banquettes rondes de cuir rouge et de son ambiance grande brasserie (un peu moins bruyante dans les deux mezzanines que compte le restaurant). Note globale pour ce dîner : 13,5.
23:20 Publié dans Bonnes tables, La vie quotidienne à New York au temps d'Obama | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : obama, attali, politique, restaurants new york
23/11/2008
Pékin (2) Napoléon et le Garupa (l'accommodement du similaire)
"En Chine, nous glisse Aidong à l'heure de commencer les réjouissances, la cuisine est aussi sophistiquée qu'en France, elle demande beaucoup de préparation, et l'abondance des mets est une marque d'hospitalité vis-à-vis de nos hôtes".
Les repas officiels avec les industriels chinois qui nous reçoivent - l'un au Grand Hyatt, l'autre au Old Shanghaï - ont entre eux de multiples correspondances. Ils commencent souvent par de petites portions de porc confit accompagnés de légumes cuits à la vapeur. Des crevettes légèrement frites suivent volontiers, parfois avec des asperges au vert éclatant coupées en petits morceaux. Les Saint-Jacques, de teinte plus foncée que celle que nous leur connaissons d'ordinaire, ont aussi un goût marin plus prononcé ; elles peuvent être servies avec de petits calamars.
Puis vient la soupe de requin, parfois mêlée à une gelée de grenouille qui lui donne sa consistance si particulière, un peu gélatineuse. Met de choix en Chine, réservé aux hôtes de marques ou aux repas de fête, le concombre de mer présente une semblable texture de grosse gelée pour un goût finalement assez neutre. Cuit à la vapeur et accompagné d'une sauce au soyo, le garupa est un excellent poisson généralement servi avec sa peau, très fine. Il rappelle par une consistance ferme qui le rapproche un peu de la langouste, le Napoléon des îles du Pacifique. Un poisson entier peut alors être servi à tour de rôle aux convives, hérissé de petits morceaux de chair confits dans une sauce aigre-douce - un délice.
Après ces variations marines, le repas peut revenir au meilleur de ses saveurs terriennes - de minces côtes de porc nappées d'une sauce sucrée comme un aperçu de barbecue asiatique, ou des petits morceaux de poulet frits servis dans une sauce au citron. A suivre, des nouilles frites aux légumes, ou alors un riz épais, presque caramélisé, cuisiné dans des feuilles de lotus. Le repas se termine le plus souvent de fruits frais, parfois accompagnés de petits fours citronnés (cette imitation n'est pas ce que la Chine fait de mieux, mais cela relève en réalité moins de la recette que de la politesse) et précédés, à l'occasion, d'une soupe de tarot au lait de coco. Cela fait une cuisine plus riche que ne le sont quelques unes des ses consoeurs, thaïe ou vietnamienne, mais tout de même copieuse et relativement légère en même temps. Un thé au jasmin, une Tsingtao ou de l'eau aussi bien sont des boissons idéales pour accompagner de tels repas.
Bienveillance du regard, sophistication de la cuisine, sens de l'autre : on comprend mal, quoi qu'il en soit, pourquoi Jullien prétend aller chercher avec la Chine la plus grande extériorité possible par rapport à l'Occident (elle est bien plutôt au Japon). C'est sans doute qu'elle est chez lui, et de son propre aveu, davantage un paradigme technique qu'une expérience sensuelle. Mais c'est comme si du coup, en forçant les polarités, la pensée gagnait en raffinement ce qu'elle perdait en universalité. "Descartes ou la Chine" lançait Pascal : mais nous manquons quelque chose d'essentiel dans la fabrique moderne de cette étrangeté, dont la composante savante fait si étonnament écho au discours ambiant. En nous laissant aller à cette sorte d'élasticité des écarts, nous confondons la distance avec l'altérité. Cuisine du voyage - annexion impossible, évidence de la proximité : la Chine est monde, mais c'est bien de notre monde qu'il s'agit.
23:30 Publié dans Autour du monde, Bonnes tables | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : chine, gastronomie, culture, françois jullien, voyages