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17/02/2011

Le Tiers-Etat ou l'Internationale ? (Bienvenue chez Allard)

On s'arrête chez Allard pour l'endroit autant que pour la cuisine. Vieille brasserie familiale presque centenaire, le restaurant qui fait l'angle entre les rues de l'Eperon et Saint-André des Arts est tout en longueur.

Il s'organise comme une sorte de labyrinthe - des illustrations d'époque rappellent qu'il y eut ici des initiés - au long duquel alternent de beaux bars en zinc, des couloirs étroits, des arrière-salles dissimulées, des recoins de toutes sortes et des places côte-à-côte entre de vieilles gravures et des miroirs décatis.

On imagine des débats subversifs et des chuchotements d'alcôve et on serait bien embêté de choisir entre une liaison illégitime et un complot révolutionnaire, mi-couleur populaire, mi-cuisine bourgeoise, qui donne à l'endroit un petit côté Tiers-Etat qui nous change du charme étrange de la segmentation.

Et puis, foin des préliminaires chichiteux : ce que la restauration contemporaine redécouvre avec le retour de la cuisine en salle, on le pratique ici depuis toujours : en entrant, on se retrouve nez-à-nez avec la cuisine entre le vestiaire et la caisse.

Bienvenue chez Allard.

Côté cuisine, sous la houlette de Didier Remay (1), on trouve des plats traditionnels de fort bonne facture. Le saucisson lyonnais, les veloutés de saison (il va tout de même falloir se calmer sur les potirons avant le retour du printemps) ou les huîtres sont suivis de la sole meunière, des cuisses de grenouille, de la poule faisane, de l'épaule d'agneau ou du rognon de veau - auquel on préfère, de loin, les ris de veau qui sont préparés ici aux morilles.

Le menu (à 34 euros) fait un bon dîner, solide sans être lourd, plaisant sans fioritures. La salade de mâche et betterave, copieusement assaisonnée mais sans gras ni sans acidité, est un délice. A suivre, un cassoulet toulousain (agneau, porc et canard) dont on se régale. RAS sur la tarte aux poires.

En fin de dîner, on passe sans transition du Tiers-Etat à l'Internationale. Entre une tribu panaméenne, une tablée chinoise et des camarades transalpins, on se remet à songer que la cuisine, plus qu'une affaire d'estomac, reste une affaire de coeur dans laquelle se mêlent le talent, l'amitié et le plaisir et dont le sens de la fraternité, dans ses meilleures réussites, n'est jamais totalement absent.

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(1) Après Madame Allard qui régnait sur les lieux dans les années cinquante, puis la restauration menée plus tard par Claude Layrac.

27/12/2010

Deux femmes (un déjeuner à la Rotonde)

Entre Montparnasse et Vavin, la Rotonde est au Dôme (*) ce que, à la Closerie des Lilas, la brasserie est au restaurant : un cousin émancipé, aussi cultivé mais plus libre, en souvenir probablement du temps où Modigliani s'y affrontait à Picasso (**).

Entre deux rendez-vous, deux manifestations ou bien de passage entre Montparnasse et Saint-Michel, c'est une halte sûre. A midi, la formule plat, dessert (choix entre deux plats et deux desserts), boisson et café à 19 euros est imbattable.

Un jour, une rouelle d'agneau crème à l'ail, un autre un filet de lieu en croûte de sésame - une demi San Pe. Au dessert, on choisit le lundi entre un cheesecake et une mousse aux fruits rouges, le mardi entre un far breton et une mousse aux marrons. Côté vins, on trouve pour cette formule un Côte du Rhône, un Cheverny (de chez Salvard) et un Côte de Provence tout à fait honorables.

Hors piste, au dîner, les spécialités de la maison - Saint-Jacques (***) ou viande de Salers, le tartare ou le bar - sont de solides classiques. Quant aux desserts : Baba au vieux rhum ambré, figues rôties au Banyuls glace vanille, mille-feuilles préparé minute à la vanille bourbon surtout, c'est bien simple, ils ravissent.

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(*) L'été, une tagliatelles aux langoustines (un dialogue de sourds) ou une assiette de sardines avec un verre de Pouilly (une pause américaine) reste au Dôme un plaisir de choix.

(**) On peut encore y voir des portraits de Jeanne Hébuterne qui, par peintres interposés, y fut opposée à Olga, la compagne du barcelonais, au concours artistique de Paris en 1919.

(***) En recette de saison, les Saint-Jacques à la bordelaise sont un régal.

01/12/2010

A propos des vaches (un dîner à la Ferrandaise)

La vie est pleine d'aventures trépidantes. Il ne faut jamais parler du Massif Central au déjeuner avec Miss Bo Bun dans un (fort bon) boui-boui asiatique de l'avenue de Breteuil. Le soir, on se retrouve à dîner à la Ferrandaise (8, avenue de Vaugirard dans le VIème).

La Ferrandaise est une race de la chaîne des Puys qui a failli disparaître. On en zigouille bien encore une ou deux de temps en temps, mais sans rompre l'équilibre auquel veille le parc naturel d'Auvergne. Combien de temps encore avant de virer veggie ? Il me semble d'un coup, entre une vraie philosophie bio - disons, un plan terroir inventif - et un panoramique bovin sur le Puy de Dôme, que la question, dorénavant, se pose (à l'occasion, lisez aussi Duteurtre : je ne dis pas que les écrivains normands sont voués à parler des vaches, mais enfin il a fait là-dessus, au moment de la crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine, un texte singulier).

Après quelques hésitations, la tarte gratinée au bleu d'Auvergne (1), aux poires infusées à la sauge finit par s'imposer contre l'oeuf bio coulant, fondue de poireaux et pommes de terre, écume de lard. Belle assiette, aussi concentrée que colorée. Un délice que préparait déjà avec justesse un velouté de fenouille et panais en guise d'amuse-bouche.

Si vous avez peur de tomber sur un cochon de lait qui se serait pris pour un fauve (un traumatisme antillais) sans avoir pour autant réussi le concours de cochon sauvage (un délice calédonien), optez pour la pièce de veau de lait, fondue de poireaux et mikado de betteraves.

Du mikado, on peut discuter : c'est créatif, mais croquant (2). Demandez une purée maison en sus, on ne vous la refusera pas (c'est ce que n'a toujours pas compris ce grigou de caviste auvergnat bio de Port Royal, qui préférerait mourir que de remplacer une bouteille corrompue). Mais du veau : non. Cuisson à la fois rosée et croustillante sur les angles de la pièce.

Belle bête, les amis, qui affronterait le toreador à la fourchette avec presque plus d'audace qu'à l'Opportun. D'ailleurs, il fut un temps où le patron, Gilles Amiot, faisait entrer son veau entier par la porte du restaurant au beau milieu du déjeuner. Effet garanti, mais un peu encombrant en cuisine.

Là-dessus, laissez-vous tenter par la suggestion d'un Beaumes de Venise : c'est un vin généreux, rond, avec ce qu'il faut de puissance et de fruit. Bonne amplitude en bouche, avec de la tenue et de l'équilibre sur le veau. C'est parfait et ça vaut bien, dans les Madiran, un Bouscassé ou un Montus (que l'on trouve même au Beacon's Wine de Broadway, entre Citarella et le marché... bio de la 72ème : ça finit par être contagieux, cette affaire). Belle carte des vins par ailleurs, notamment en Bourgogne blancs et Vallée du Rhône.

En dessert, le café gourmand fera d'autant plus l'affaire que Ken Buisson, le chef, a démarré dans le métier comme pâtissier. Onctueux passion (palet fruits rouges et sorbet basilic), dacquoise au chocolat coco (mousse cacahuètes, émulsion chocolat). Mousse au chocolat (c'est à la fois onctueux, crémeux et léger) et sorbet passion (un sorbet mat qui ne fait pas d'esbroufe). Alternez les deux derniers.

En cas de livraison tardive, entre un sénateur et une femme de lettre, le restaurant prendrait presque  l'allure d'un tripot (chic) au temps de la prohibition. Laissez-vous tenter par l'eau de vie de coing du taulier. C'est un truc qui vient de Palladuc (63). L'eau-de-vie du coing, c'est un peu comme le calva de l'oncle Jean, mais en moins fruité et en plus brutal. Il faut bien ça pour affronter le froid glacial qui s'engouffre de travers entre Saint-Michel et Odéon.

Pour le reste, causette avec Gilles Amiot en fin de partie. Je suis bien d'accord avec lui (qui est pourtant félicité par Camdeborde aussi bien pour ses produits que pour son travail) : en France, le fooding, ça nous échappe un peu et, d'un autre côté, la cuisine de terroir manque le concept. Je sais, je me suis fait expliquer le sujet par l'égérie du mouvement lors d'un dîner cubain Midtown entre un éducateur inspiré qui se faisait traiter de sarkozyste dans les lycées de banlieue et une bande de politologues désemparés. Je ne vois qu'une solution : il faut qu'Anna muse.

Belle adresse. C'est bon, chaleureux et élégant. Ce restaurant a ouvert il y a cinq ans sur mon territoire et je ne l'avais pas vu. Je baisse. Il est temps de revenir, la vache.

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(1) C'est beaucoup mieux que celle du Petit café de la rue du Faubourg Saint-Antoine, mais ce n'est pas le sujet. Si vous êtes vers Bastille, que vous avez peu de temps et qu'une tarte chaude avec d'excellentes crudités vous tente, faites-y halte. La patronne, en plus, est adorable.

(2) Dans tous les cas de figure, les légumes ici, comme à Baons-le-Comte, sont bio.