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29/06/2013

Crises et châtiments (Chalmin et le Cyclope)

Sollicité pour éclairer la crise devant un parterre d'honnêtes hommes, Philippe Chalmin ne se fait guère prier (*). Il met dans l'exercice une gourmandise professorale évidente qui se double d'un engagement démocrate-chrétien tranquillement assumé. On imaginerait mal, il est vrai, un engagement démocrate-chrétien qui ne le fût pas.

Donnant à tout cela un peu de profondeur de champ, l'historien-économiste de Dauphine remarque d'abord que les grandes crises économiques contemporaines (1933, 1974, 2008) ont un certain nombre de points communs. Elles touchent principalement le monde occidental, mettent fin à une longue période de prospérité et se traduisent par un impact violent sur les marchés.

D'autant plus violent à vrai dire que la prospérité qui précédait avait affaibli les défenses. "Le système financier mondial a une santé de fer" clamait ainsi Standard & Poor's en 2006... Un peu comme lorsque Irvin Fisher estimait, le 15 octobre 1929, que les actions avaient un atteint un plateau qu'elles ne pourraient plus redescendre. Ce qui rappelle la blague selon laquelle, quand des médecins font des erreurs, au moins ils ont la décence de tuer leurs patients ; quand un économiste fait une erreur, il les ruine.

Point d'idéologie de sortie à l'horizon pourtant dans la crise actuelle. La social-démocratie de marché fait en effet l'objet d'une large adhésion, plus ou moins mâtinée d'une indignation qui n'en remet pas sérieusement en cause les fondamentaux, à la différence des populismes qui ne sont pas beaucoup mieux armés mais qui pèsent davantage par un effet d'influence rhétorique latérale bien connu en politique.

Quelle issue, alors ? La guerre est le véhicule historique classique de sortie de crise. Mais elle reste, à grande échelle, dans le contexte géopolitique actuel, peu probable. Le progrès technologique ? Beaucoup a déjà été accompli dans le domaine des TIC, même si les NBIC confirment en parallèle un potentiel considérable, d'ailleurs encore trop souvent négligé dans notre pays malgré les travaux de la commission Attali et de quelques autres (**).

Idem pour l'énergie, qui tire aujourd'hui 50 % de la croissance américaine. Quant à la réduction de la dépense publique, qui s'établit à 56 % du PIB aujourd'hui dans notre pays, elle fait l'objet d'un assez large consensus. Y compris sur la difficulté politique de sa mise en oeuvre.

L'autre grande réponse historiquement disponible en réalité, c'est l'inflation, qui permet d'annuler les dettes plus sûrement que n'importe quelle instance multilatérale bien disposée. Philippe Chalmin remarque en effet que "le propre du capitalisme, c'est de ruiner les rentiers toutes les deux ou trois générations". Le problème - outre le fait qu'il s'agit là d'une réponse historiquement exclue en Allemagne -, c'est qu'on ne sait pas créer cette mécanique inflationniste.

C'est là où les choses se mettent à déraper. Citant Ratzinger renvoyant dos à dos dans "Carita civitate" l'Etat et le marché, Chalmin n'hésite pas à franchir le pas. Comme Ezechiel pourfendait les commerçants phéniciens de Tyr, la solution, selon lui, c'est... l'amour du prochain et la grâce du don. Parce qu'elle révèlerait une crise morale profonde, la crise serait une opportunité de retrouver les voies de la sagesse et de l'humilité.

De nombreux indices lui donnent en réalité sinon raison !, du moins confirmation que cette inspiration ou cette voie commencent à prendre forme dans un certain nombre de points de la planète et de secteurs de l'économie dont je ne crois pas qu'ils demeureront alternatifs longtemps, de l'entrepreneuriat social à l'économie positive en passant par l'économie de la gratuité ou de la fonctionnalité, le retour des écosystèmes locaux et la résurgence des solidarités communautaires.

Trois conclusions pratiques en découlent selon Chalmin. La première est que l'Etat contribue à sa manière, normative et hiérarchique, à la société de défiance - un constat que les recherches de Algan, Cahuc et Zylberberg confirment. Deuxièmement, des réformes ambitieuses ne peuvent se concevoir dans notre pays sans un projet de société qui les porte. Pourquoi ce n'est pas le cas reste, à mon sens, un mystère. Troisièmement, il nous revient de re-communautariser les dépenses publiques - Rosanvallon et Blond ne disent pas fondamentalement autre chose là-dessus, chacun à leur manière.

J'ai connu Philippe Chalmin dans l'industrie minière. En tant que spécialiste des matières premières, il était moins inspiré et très écouté. Qui sait si, comme prophète de la sortie de crise, il aura moins de succès ? L'avantage avec l'humanisme, c'est qu'à la fin, tout le monde est d'accord.

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(*) Ce titre reprend celui du rapport Cyclope 2013.

(**) L'enquête de Monique Atlan et Roger-Pol Droit : "Humain - une enquête philosophique sur ces révélations qui changent nos vies", fait partie des références à recommander dans ce domaine.

02/06/2013

L'intelligence et le courage (un déjeuner avec Anne Méaux)

A l'invitation de Pierre Gadonneix, Anne Méaux intervenait récemment au Cercle Interallié devant le Harvard Club  de France sur le thème "communication et stratégie". De ses premières armes, la patronne d'Image 7 conserve une passion pour les affaires publiques que tous ceux qui ont voulu transformer le monde à vingt ans connaissent bien.

Sous des dehors désormais raisonnés, on devine en effet aisément ce que fut l'élan de la politique chez celle que Giscard d'Estaing, impressionné autant par sa fougue que par son premier prix de version latine, engagea à l'Elysée à ses côtés. Puis il y eut l'expérience libérale de la première cohabitation, à l'issue de laquelle nombre de jeunes conseillers partirent créer leur société de conseil en communication.

C'est la voie qu'elle choisit elle-même par un mélange d'indépendance et de désenchantement. "Ce qui manque le plus en politique, attaque-t-elle d'emblée, ce n'est pas tant l'intelligence que le courage". Au carrefour des marchés économique, financier, politique et médiatique, celle qui a su imposer Lakshmi Mittal en France veille ainsi, depuis lors, sur la communication de bon nombre de patrons du CAC 40.

Seulement voilà : elle fait le job aux côtés de ces dirigeants avec une liberté de pensée et de ton revendiquée qui est à la fois sa marque de fabrique et la clé de son efficacité. Pas question de se laisser embarquer dans l'argutie ou l'évitement, à l'heure où s'imposent partout la transparence et la suspicion.

Avec elle, on va à l'essentiel. Voilà quinze ans d'histoire institutionnelle résumés à deux figures : "le roi fainéant" et "l'agité du bocal", et un programme de communication présidentiel à deux notions : rigueur et justice - un discours de la méthode nécessaire, mais qui ne dit rien du projet. Aucune mise en cause par ailleurs du travail de Mediapart au moment de l'affaire Cahuzac. Les gauchistes d'hier ont souvent viré libéraux. Les vrais libéraux, inversement, ne rechignent jamais à une dose de subversion.

Ce qui frappe en réalité chez Anne Méaux, c'est la politique sans le militantisme, dans un domaine où il est toujours difficile de choisir entre la vérité et la puissance, le témoignage et l'action. Cela lui donne cette mobilité intellectuelle, cette liberté de mouvement même, que confèrent les engagements précoces à ceux qui ont su les importer, les transformer et les faire vivre par la suite dans leur vie professionnelle avec honnêteté, exigence, mais aussi avec indépendance à l'égard des coteries aussi bien que des convenances - et des esprits plus conservateurs pourraient en effet s'étouffer d'un certain nombre de ses propos.

Si, comme elle le dit, "la communication fait des merveilles, non des miracles", alors l'essentiel pour elle y est rigueur, travail et process. C'est une équation à laquelle un peu d'inspiration et de réseaux ne peut pas nuire. Une inspiration qui ne relèverait pas de la magie, mais de la pluridisciplinarité ; et des réseaux conçus, non comme de petits arrangements entre amis, mais comme un creuset de cercles vivants et divers.

Il reste que, selon elle, la communication ne fait pas une stratégie. Face à la pensée magique, dans un contexte où la communication s'érige partout en objet de communication en tant que telle, on voit bien la nécessité du recadrage. Le quoi ne se confond pas avec le comment, le point de départ n'est pas le point d'arrivée ; accessoirement, la prétention ne fait pas la compétence.

Mais, outre le fait que la qualité de sa déclinaison détermine en grande partie l'efficacité de sa mise en oeuvre, la qualité de la stratégie est aussi fonction de la capacité de l'organisation à la fois à s'immerger dans son environnement, à être irriguée d'idées porteuses et à entraîner le corps social de l'entreprise. Or, ce sont là autant de terrains naturels pour la communication.

06/05/2013

L'intégration ou le chaos (Arthuis et les Wisigoths)

Lorsque la Grèce a intégré l'euro, les décideurs économiques européens avaient conscience qu'elle n'était pas au niveau des standards de l'Union européenne. La fuite en avant de l'économie espagnole ou l'absence de contrôle prudentiel sérieux en Irlande ne faisaient pas davantage mystère. Mais c'est comme si pour Jean Arthuis, qui planchait dernièrement sur le sujet devant la fondation Concorde, "l'euro avait agi comme un anesthésiant".

Dans ce contexte, si la crise des subprimes n'a pas eu d'impact majeur sur l'Europe, la crise des dettes souveraines a agi, à partir de 2009, comme un puissant révélateur des déséquilibres des finances publiques à la fois au sein de la plupart des pays européens, mais aussi entre un Nord excédentaire et un Sud déficitaire. "L'addiction à la dépense publique" va alors de pair avec l'absence de réformes structurelles (financement de la politique familiale, droit du travail, inflation des normes, etc) et de discipline budgétaire pour créer une situation européenne bloquée, critique et incertaine.

Seule issue, selon l'ancien ministre des Finances qui fut chargé par François Fillon d'une mission sur l'avenir de l'euro : mettre en place un véritable gouvernement économique européen incluant tous les pays de la zone euro. Il s'agit, en d'autres termes, de faire de cette zone le coeur d'un véritable fédéralisme, sur le modèle américain dans lequel l'union budgétaire a préfiguré une union plus étroite entre ses membres.

Le mécanisme européen de stabilité, doté de 80 milliards, peut y aider à condition que chacun prenne bien la mesure de ses obligations, notamment de surveillance de ses partenaires eu égard aux règles du pacte de stabilité et de croissance élaboré pour accompagner la mise en place de la monnaie unique. "Je n'ai pas fait mon travail" avoue ainsi humblement celui qui dirigea la commission des finances du Sénat et qui ne prit la mesure que tardivement de cette obligation au contact des principales capitales économiques européennes.

Il y a chez Jean Arthuis un mélange redoutable, à la fois lucide et tranquille, de bon sens paysan et de maîtrise technocratique dans lequel le président du Conseil général de la Mayenne, ministre des finances, déploie un discours réformateur proprement français, simultanément conservateur et critique, prudent et révolutionnaire. "Il faut un séisme sans qu'il nous emporte. J'ai conscience que ça ne va pas être simple..." avoue-t-il.

En mesurant, de son fief mayennais, l'effet multiplicateur des conservatismes conjugués des cabinets et des terroirs, on dirait presque qu'il s'en amuse. En quoi Houellebecq a peut-être raison de dire que "La France, c'est pas mal quand on est vieux".

28/05/2012

Reconstruire (2) Développer l'industrie : une autre politique est possible

Un essai sur l'industrie (1) qui commence par : "Pendant quarante ans, j'ai travaillé à la gestion d'une entreprise de dimension mondiale" mérite autant d'attention qu'un ouvrage d'histoire qui s'ouvrirait par : "Je le dis une fois pour toutes : j'aime la France avec la même passion, exigeante et compliquée que Jules Michelet" (2). Dans les deux cas, il faut s'y arrêter.

Dans un pays où, comme le rappelle Stéphane Israël, la part de l'industrie dans la valeur ajoutée est passée en dix ans de 22 à 16% du PIB (contre 30% pour l'Allemagne) (3) et où près de 300 000 emplois ont été détruits depuis la crise sans compter les plans sociaux en cours, un profond malaise et une casse sans fin se sont installés sous l'effet de l'adoption par notre pays du modèle que Jean-Louis Beffa qualifie de "libéral-financier". Un modèle qui, pour l'essentiel, se concentre sur la maximisation du profit des actionnaires à court terme au détriment de la prise en compte de toutes les parties prenantes sur le plus long terme.

Or, d'autres modèles sont possibles, souligne Beffa, "qui permettent une intégration à long terme des économies dans la mondialisation et la réconciliation des citoyens avec les entreprises". L'ancien patron de Saint-Gobain vise ici le modèle dit "commercial-industriel" incarné non seulement par l'Allemagne, mais aussi par des pays comme le Japon, la Chine, la Corée du Sud ou encore la Finlande. 

Au passage, Jean-Louis Beffa casse l'idée selon laquelle le monde serait aujourd'hui livré à la domination uniforme du libéralisme ; il existe au contraire une multitude de modèles - le modèle "rentier" et le modèle "autocentré" viennent compléter les deux types précédemment cités - dont la question clé est toujours d'optimiser dans un pays donné le rapport entre le cadre institutionnel, la culture nationale et le système productif.

Or, si l'industrie est l'élément essentiel de ce modèle, c'est que, comme le rappelle encore Stéphane Israël, celle-ci porte plus de 80% des dépenses de R&D et des exportations et commande l'essentiel de la demande de services adressée à l'économie. Un tel développement permettrait également de mieux intégrer la révolution écologique et notamment la transition énergétique en cours.

Un modèle commercial-industriel

L'analyse des modèles industriels s'articule selon Beffa autour de trois variables principales : la place accordée aux actionnaires dans la gestion des entreprises ; le système d'innovation ; et enfin les relations sociales. 

Le modèle commercial-industriel se caractérise à cet égard par trois choix essentiels.

Une politique mercantiliste fondée sur l'exportation tout d'abord. L'objectif est d'atteindre une balance commerciale positive dont la production de biens, au contraire de celles des services, est partout dans le monde un déterminant essentiel. L'Etat joue un rôle central pour stimuler la croissance des entreprises et, dans une certaine mesure largement compatible avec le libre échange, pour protéger les secteurs stratégiques.

Ce modèle s'appuie ensuite sur un marché du travail encadré ou, mieux encore, négocié. Comme on le voit dans le modèle allemand ou scandinave, les négociations entre patronat et syndicats visent en effet à rendre les entreprises compétitives sur le plan international. Dans le même temps, les syndicats associés à la stratégie par le biais de la cogestion, s'assurent que leurs concessions salariales sont compensées par un effort d'investissement en faveur de l'emploi, de la formation et de la technologie sur le territoire national.

La gouvernance des entreprises enfin y favorise le long terme. Dans les pays gouvernés par le modèle commercial-industriel, l'actionnariat des entreprises favorise le développement productif sur la longue durée en s'appuyant sur un arsenal législatif et réglementaire qui permet de protéger les entreprises contre les OPA hostiles. Il existe un relatif consensus entre l'Etat et les partenaires sociaux en vue d'éviter les déséquilibres issus de la mondialisation et de maintenir l'autonomie du pays.

Ce sont sur ces exemples forts que s'appuie Jean-Louis Beffa pour proposer des mesures permettant à notre pays de développer à nouveau l'industrie et l'emploi sur le territoire national dans le contexte de la mondialisation. Le développement de l'actionnariat salarié, la lutte contre le contrôle rampant, la relance des grands programmes d'innovation faisant toute sa place au secteur productif et en particulier aux PME ou encore l'adaptation de la politique fiscale à cet enjeu prioritaire sont quelques uns des ingrédients clés de l'arsenal industriel à mettre en place.

Une stratégie européenne

Or, comme le souligne Stéphane Israël, entre la France et le monde, il y a l'Europe. Le combat pour l'industrie doit donc conduire, dans le cadre de la stratégie "UE 2020", à infléchir le cadre européen largement influencé aujourd'hui par le modèle libéral-financier dans un sens plus favorable à l'industrie et à l'emploi en visant notamment une relance des grands projets structurants, une remise en cause de la politique de concurrence européenne et un rôle de la BCE plus favorable à l'activité. 

Ces mesures doivent également s'accompagner d'une lutte plus ferme contre les distorsions de concurrence (sociales, environnementales, monétaires) dans le cadre du G20 et d'une politique de conquête ambitieuse des grand marchés émergents.

On peut se réjouir à cet égard que, sans sous-estimer les efforts de rigueur à mettre en oeuvre mais au contraire en s'appuyant sur la discipline qui en découle, la conjoncture politique interne à l'Europe apparaisse aujourd'hui relativement plus favorable à une telle orientation qu'elle ne l'a été au cours des dernières années.

Il en va de même en externe du double point de vue de la coopération pour ne pas pénaliser la croissance mondiale et de la compétition pour cesser d'opposer aux politiques volontaristes  mises en oeuvre par les Etats-Unis, la Chine ou le Japon un angélisme destructeur. Une Europe puissance doit à présent s'affirmer avec force contre les mirages ravageurs d'une finance sans visage et d'un territoire sans projet.

Il y a encore dix ans - nous nous battions alors dans l'industrie auprès des pouvoirs publics ou autour des sites de production sans être entendu contre cette tendance catastrophique -, tout le monde ou presque voulait se débarrasser des usines sur le territoire national. L'industrie fait aujourd'hui de nouveau consensus. Il faut concrétiser cette chance historique de reconquérir le développement économique et l'emploi dans notre pays.

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(1) Jean-Louis Beffa : La France doit choisir, Seuil, 2012

(2) Fernand Braudel : L'identité de la France, Arthaud-Flammarion, 1986

(3) Stéphane Israël : Pour une nouvelle politique industrielle, Terra Nova, 2010

27/05/2012

Reconstruire (1) Bâtir la confiance : du conflit à la communauté d'intérêts

S'agissant de notre pays, le problème de la confiance était diagnostiqué de longue date. Alban, Cahuc et Zylberberg lui donnent opportunément une nouvelle vigueur (1). Sur l'échelle de la confiance mesurée par le World Value Survey, la France se classait en effet en 2007 au 58e rang sur 97 pays ; et seuls 22% des Français déclaraient, dans la même enquête, faire confiance aux autres. Selon les auteurs, "les Français ont le sentiment de vivre dans une société où la coopération est l'exception plus que la règle". Ils ajoutent : "Cette situation provient d'un système cohérent fondé sur la hiérarchie et le statut".

Primauté des relations sociales

Modèle social envié, infrastructures de qualité, douceur de vivre : notre modèle ne manque certes pas d'atouts mais il cache aussi, même si c'est avec de plus en plus de difficultés, un mal-être réel, profond et grandissant. Stress, angoisse, suicides, dépressions, conflits, découragement, manque de reconnaissance et de motivation : la liste des symptômes de ce malaise est, de fait, aussi longue que déprimante.

La défiance serait ainsi "au coeur de notre mal" en détruisant le lien social alors que toutes les recherches montrent que le bien-être est essentiellement fonction de la qualité des relations sociales. De l'immense machine à trier qu'est devenue l'école sous couvert de méritocratie jusqu'aux relations conflictuelles et corsetées qui marquent le monde du travail en passant par les réflexes corporatistes et les conflits d'intérêts, la défiance traverse la société, crispe les relations sociales et handicape le potentiel économique.

Pourtant, la situation n'est pas sans issue. Au-delà de la question de l'école, que l'on a déjà évoquée dans ces chroniques et sur laquelle on reviendra par ailleurs, les auteurs insistent tout particulièrement sur les mesures de nature à restaurer l'exemplarité des pouvoirs publics. Ils prônent l'entrée dans le droit français de la notion de conflit d'intérêts et un renforcement des pouvoirs d'investigation de la Commission pour la transparence financière de la vie politique, suivant en cela les recommandations formulées par des sources indépendantes telles que Transparency International.

Une démocratie plus vivante

Autre exception française, le cumul des mandats gagnerait à être interdit en s'appuyant notamment sur les recommandations assez strictes du Livre vert piloté par le haut-commissaire à la jeunesse, Martin Hirsch, en 2009. Un statut de l'élu, qu'il soit politique, associatif ou syndical, pourrait aider au processus. Au-delà de la clarification de l'intérêt public que cela permettrait, je vois surtout pour ma part dans cette mesure une occasion d'apporter plus de fluidité et de fraîcheur à la vie démocratique dans notre pays.  

Chefs et cadres d'entreprise, responsables associatifs, femmes engagées dans la vie socio-économique, jeunes générations formées au terrain ou à l'international, représentants de minorités sélectionnés pour des réalisations innovantes : l'implication de catégories plus diverses contribuerait grandement à construire une société plus participative dans laquelle la politique ne serait plus la chose de professionnels, les grands enjeux de réforme seraient largement partagés et les mesures proposées s'élaboreraient au plus près des dynamiques créatives à l'oeuvre dans la société. Des think tanks montrent là-dessus une voie qui devrait également permettre un développement plus audacieux de l'expérimentation et de l'innovation dans notre pays.

Un changement puissant

Des méthodes innovantes ont été élaborées dans le monde socio-économique pour bâtir la confiance entre les acteurs (2). Pour les avoir mises en oeuvre concrètement dans des environnements difficiles et exigeants, je peux témoigner de leur puissance, c'est-à-dire de leur capacité à fédérer pour agir collectivement de façon plus harmonieuse et plus efficace lorsqu'on les combine avec des responsables de qualité, une dynamique de projet et la capacité à faire vivre le lien entre la stratégie et le terrain.

Avec les adaptations qui s'imposent, elles ne sont pas hors de portée d'une approche politique plus large qui viserait à rassembler d'une façon qui viserait moins la prochaine échéance électorale que l'évolution du pays vers un degré supérieur de maturité et de coopération à partir d'un corpus sérieux et cohérent de réformes. Il s'agit en somme, comme le souligne Julie Coudry sur son blog, de passer du conflit d'intérêts à la communauté d'intérêts. L'expérience canadienne des années 90 associant réformes structurelles et légitimité citoyenne à partir d'une situation très dégradée des finances publiques représente à cet égard un exemple très intéressant de ce que l'on peut faire dans ce domaine.

"Il est impossible d'avoir confiance en autrui lorsque le manque d'exemplarité des dirigeants suscite l'incivisme. Rétablir la confiance dans nos dirigeants en faisant en sorte qu'ils soient le plus exemplaires possible est la première des nécessités" concluent les auteurs. Les premiers signes donnés par le nouveau gouvernement en termes de baisse des rémunérations de ses membres, d'exigence déontologique ou de relance de la négociation avec les partenaires sociaux semblent de ce point de vue aller dans la bonne direction.

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(1) Yann Algan, Pierre Cahuc & André Zylberberg, La fabrique de la défiance... et comment s'en sortir, Albin Michel, 2012

(2) Hervé Sérieyx & Jean-Luc Fallou, La confiance en pratique - Comment fait-on ? Des outils pour agir,  Maxima, 2010