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12/11/2009

Andreotti ou la machinerie immémoriale du pouvoir (à propos de Il Divo de Paolo Sorrentino)

Un mur tombe et, quelques années plus tard, dans le cocktail d'abrutissement généralisé que produit la conjonction de la démoctarie soft et du divertissement planétaire, la Guerre froide apparaîtrait pour un peu comme un polar grotesque. On aurait presque oublié la violence de cet affrontement-là au sein des grandes démocraties occidentales si Paolo Sorrentino n'avait signé avec Il Divo une farce caustique et brillante, baroque et dense, autour de Giulio Andreotti, le dirigeant de la Démocratie Chrétienne qui domina la scène politique italienne de l'après-Guerre jusqu'au début des années 90.

Entouré d'une faction au sein de laquelle s'associent hommes d'église et hommes de main, politiciens véreux, membres de la fameuse loge P2 et entremetteurs de toutes sortes, Andreotti, plus de vingt fois ministre, sept fois président du Conseil, façonne l'Italie qui va des années de plomb aux procès "Mani pulite". Pris dans la toumente et impliqué dans nombre de ces procès, Andreotti nie en bloc assassinats politiques et liaisons mafieuses, notamment avec Toto Riina, lorsque l'homme de Corleone impose son emprise sanglante à Cosa Nostra et la stratégie de la terreur à la société italienne. Non seulement il sauve sa peau, mais il se fait encore nommer sénateur à vie.

Incarné à merveille par un Toni Salviano, impassible et voûté, cynique et lapidaire, le personnage d'Andreotti, qui fut tour à tour baptisé "le Renard", "Belzébuth", "l'Inoxydable", le "Petit Bossu" ou encore "le Pape Noir", révèle et incarne toute l'étendue de la lutte conservatrice pour préserver l'Italie de la menace communiste, dût-il en coûter quelques petits arrangements meurtriers entre amis. On dira que la justice n'a pas tranché, ou pas vraiment, et l'on fera bien de regarder l'affaire en détail dans une série d'acquittements qui rappelle étrangement les acquittements en chaîne des procès de Cosa Nostra avant l'irruption, puis la pulvérisation de Giovanni Falcone (1).

En réalité, le film de Sorrentino est à la fois moins et plus. Moins, parce que la densité de l'intrigue relatée sur un rythme de mitraillette et de musique rock ou électro ne laisse le plus souvent émerger que la face noire d'un homme qui confesse avoir substitué les archives à l'imagination - plus utile, comme ultime avertissement, pour maintenir une certaine qualité de silence. Plus, car en s'extirpant du même coup de la guangue des faits, le film fixe un peu de l'intemporalité machiavélienne inhérente à tout pouvoir.

Quoi ? Que l'on sache, ni Mendès ni Deniau, et Rocard pas davantage que Jospin n'ont été présidents de la République. Il n'y eut, de ce côté-ci de la passion politique, que Mitterrrand, son passé arriviste et louche, sa brillante incarnation de l'espérance populaire, ces accointances obscures et ses amitiés coupables. Le même constat vaut pour l'autre côté de l'échiquier politique transalpin (encore faut-il se souvenir que le PSI finit par sombrer lui aussi dans l'affaire) : un observateur de la vie politique italienne avance qu'aujourd'hui encore 99 % des Italiens ont, sinon de la sympathie, du moins de l'admiration pour Andreotti, son intelligence et son humour.

C'est aussi à partir de ces années-là que Berlusconi, qui sera lui aussi accusé sans suite sinon de turpitudes, du moins d'affinités similaires, émerge avec Forza Italia et impose progressivement son emprise à la vie politique transalpine en blanchissant du même coup, et ses affaires, et ses amis. La démocratie à l'italienne, what else ?

La vérité est qu'à partir d'un certain degré d'ambition, tout homme politique devient non seulement un tueur en puissance, au moins au sens figuré, mais aussi l'incarnation d'une forme d'immunité amorale dont le tribunal serait non celui, toujours imbécile, de l'agitation populaire mais celui, imparfait mais acceptable, de l'Histoire quand les passions se sont estompées. C'est toujours le problème avec les démocraties, il faut attendre que ça passe. Les démocraties populaires oubliaient les procédures et ne faisaient guère dans le détail (2) ; les démocraties libérales perdent la main en s'enferrant dans le détail des procédures.

Nous voici donc orphelins et cyniques, faisant de la nation une extrapolation du canton, du monde un cantonnement de scouts au milieu du cyclone et de la politique un repaire de sacristains, ou de salauds.

Ne reste plus que la culture, ou la religion. La culture ? Comme les autres, qui ne résistent guère à la tentation d'un surcroît d'immortalité à moins qu'ils n'aient rêvé par là d'un peu plus de lumière, Andreotti confesse qu'elle a été une vocation manquée. Ce recours de dernière instance, ce pourrait être alors celui du Jugement dernier. C'est le sens du puissant monologue d'Andreotti qu'imagine Sorrentino lorsque se déchaîne la vindicte publique. Un soliloque précis et inspiré, maîtrisé et d'une violence sourde en même temps, qui résonne comme la profession de foi immémoriale de tout Roi nécessaire face aux contingences de ce sombre apostolat.

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(1) Voir là-dessus l'excellente enquête de John Follain, The Last Gofathers, Inside the Mafia's Most Infamous Family, St. Martin's Press, 2009.

(2) On lira à ce propos avec intérêt, pour une évocation tragi-comique récente, Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia, Albin Michel, 2009.

10/11/2008

Obama, la transparence et l'obstacle ("Governing is grey" : entretiens avec Galston et Bolton)

A Washington DC l'autre jour, dans les bars, les rues, aux portes de la Maison Blanche, c'était la liesse, en particulier parmi les jeunes et les Afro-Américains. William Galston, un ancien de la bande à Clinton et un des meilleurs experts de la politique démocrate (1) n'en a pas moins raison : la période qui s'ouvre avec la transition et l'arrivée aux responsabilités de Barack Obama s'annonce particulièrement difficile. Sous la houlette de John Podesta, le patron du Center for American Progress, trois mille nouveaux conseillers vont peu à peu prendre les commandes du pouvoir à Washington dans une situation très tendue.

D'un côté, des promesses d'ampleur en matière d'assurance santé, d'éducation, de redressement de l'économie, d'environnement, de retrait des troupes d'Irak ; de l'autre, un déficit estimé en 2009 à 1,2 milliard de milliards de dollars. Une des politiques emblématiques du changement annoncé porte sur la réorientation de l'économie en un sens mieux adapté au changement climatique - ce fut même, accompagné par l'inspiration remarquable d'Al Gore, l'une des signatures d'Obama au cours de cette campagne.

Mais comment faire quand les déficits se creusent à une vitesse record et que, par exemple, l'industrie automobile américaine est au bord de l'effondrement ? En janvier, l'équipe Obama n'aura pourtant que quatre semaines pour adopter un nouveau budget. Et l'on parle déjà d'un nouveau "stimulus", ce qui fait dire par ailleurs, avec un brin de cynisme, aux commentateurs conservateurs de l'American Enterprise Institute que nous serions entrés dans l'ère de "l'effet Cialis" permanent.

Or, les défis sont très loin de n'être qu'internes. Les Russes n'ont guère attendu avant de mettre la pression sur le nouveau président aux portes de l'Europe sur la question des missiles. La Chine, que l'on s'imagine à jamais propspère et pacifique, n'a connu au cours du dernier siècle qu'une vingtaine d'années stables à la suite de décennies de chaos. Au Moyen-Orient, l'Afghanistan est une nouvelle priorité - mais qui, en Europe, au-delà des effets de tribune, apportera sa part à ce nouvel effort de guerre aux côtés des Américains ? Un retrait d'Irak aurait aussi des conséquences catastrophiques sur la stabilité de la région, en ouvrant notamment un boulevard à l'Iran, qui pourrait aussi bénéficier de la volonté de dialogue du nouveau président, et du temps que cette ouverture pourrait lui faire gagner.

Sur ces questions extérieures, l'ambassadeur Bolton, ancien envoyé de Bush pour faire le ménage aux Nations Unies et mettre en pièce le multilatéralisme, n'y va pas par quatre chemins. Pour lui, parce qu'elle marque la fin du mandat de Bush sans ouvrir pour l'heure une confrontation directe avec Obama, la période de transition qui s'ouvre porte même le risque d'une intervention éclair d'Israël sur les installations nucléaires en Iran.

"Campaining is black and white, dit Bolton, but Governing is grey" - sans aucun doute. On aurait d'ailleurs tort de prendre Obama pour un idéaliste : il a compris la portée de l'idéal, ou plutôt il a porté efficacement la nécessité de réintroduire l'idéal en politique (2), c'est chez lui un vrai ressort mais, plus profondément encore, Obama est un pragmatique. C'est un Américain et pour un Américain, au-delà de la ligne de démarcation entre progressistes et conservateurs, il y a une différence essentielle entre ce qui marche et ce qui ne marche pas, et c'est aussi le critère clé de l'évaluation de toute politique publique par les citoyens aux Etats-Unis.

Toutes choses égales par ailleurs, on est tenté de faire un parallèle avec 1981 (y compris d'ailleurs sur la question de l'installation des missiles en Europe), ou plutôt avec la période 1981-83, en France, et c'est cette fois Galston qui a raison : Obama peut changer, infléchir ses choix, adapter sa politique aux circonstances - et il le fera, comme beaucoup d'autres avant lui, à commencer par Clinton en 1992. L'essentiel est qu'il reste attentif à expliquer ses choix. Le monde dans lequel il prend les commandes est un monde menaçant et, pour nombre de ses équilibres, ou de ses déséquilibres, menacé. Obama a su se faire aimer, il lui appartient désormais de se faire respecter. Cela n'ira pas sans sacrifices - ceux-là mêmes, l'a-t-on suffisamment noté ? que le nouveau président élu a mis au centre dans son discours à Grant Park le soir de la victoire.

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(1) Voir aussi ses analyses sur le changement apporté par Bill Clinton en 1992 sur oliveretcompagnie (rubrique Institut Montaigne), à la suite d'un précédent entretien avec lui en décembre 2007.

(2) Voir aussi, toujours sur oliveretcompagnie (rubrique leadership), une analyse de la victoire d'Obama autour d'entretiens avec Brent Colburn et Mark Penn.

04/11/2008

New deal, épisode 2 (Obama, c'est plié, tout reste à faire)

A suivre les analyses de John King, le stratège spécialiste de la carte électorale américaine sur CNN, l'affaire est bel et bien entendue malgré les doutes entretenus jusqu'à la dernière minute autour de multiples biais dans les sondages - un classique, en même temps qu'une nécessité financière du côté des grandes chaînes pour maintenir le suspens, donc l'audience jusqu'au terme d'une bataille qui s'achève avec un indéniable regain de vigueur des deux côtés.

Sans doute aussi un effet de cette sorte de conjuration du sort malheureux des derniers candidats démocrates, en particulier Al Gore, dont l'organisation mise en place par Obama a très clairement tiré les conséquences : les élections sont des guerres que l'on gagne avec des machines de guerre. Les Républicains avaient là-dessus plusieurs années d'avance, ils vont en avoir à présent quelques unes à rattrapper.

Même en supposant en effet McCain vainqueur dans tous les "battleground states" le candidat républicain serait encore très loin de pouvoir réellement inquiéter son rival démocrate. Focalisé sur la guerre en Irak, le commandant McCain a perdu la guerre intérieure ; il est passé à côté du "new deal" en gestation dans le pays dont la crise n'a fait qu'accélérer la nécessité.

Deux ans d'une bataille extraordinaire qui signe, pour McCain une histoire qui s'achève, pour Obama une épopée, et un destin en marche. L'un est reste centre sur lui, l'autre a parle pour le pays. Chemin faisant, comme le note avec justesse Joe Klein dans Time, Obama s'est transformé : il avait la constance et l'inspiration - son arme principale dans ce double affrontement -, il a gagné en épaisseur et, au-delà d'un instinct incontestable, en rapidité de jugement. Il a pris aussi quelques cheveux blancs au passage.

Mais après avoir embarqué le pays dans cette aventure conjuguée de l'audace et de l'espoir, après avoir martelé chaque jour sur chaque parcelle du territoire américain la nécessité de changer, le plus dur va commencer après-demain. Il a déjà commencé à vrai dire, il est en gestation quand les promesses de campagne renvoient non à un changement exogène ou "top down" mais à une prise en mains par les gens de leur destin.

Il y a, cette campagne le rappelle avec assez force, un puissant bénéfice psychologique dans les révolutions annoncées. Il y a, symétriquement, une fois la fièvre retombée, une nécessité implacable du mouvement et de la responsabilité.

Ceci encore, en forme d'un arrêt sur image avant que les choses ne repartent de plus belle, si du moins elles ont la bonne idée de ne pas finir tragiquement : isolé au milieu d'une estrade de campagne balayée par la pluie, prenant dans ses bras avec bonté une vieille femme blanche toute fragile, cédant à l'épuisement derrière des lunettes de soleil en route vers une nouvelle étape de campagne ou à l'émotion aujourd'hui de la perte d'une grand-mère aimante, il y a aussi de belles images d'Obama au cours de cette campagne, des images qui portent et qui, au-delà de l'enjeu, sont autant de symboles qui portent simultanément une nouvelle posture et un nouveau lien

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PS : Je participerai cette semaine, à partir de demain soir, à plusieurs réunions-débats à Washington DC autour de l'élection, dont je m'efforcerai de rendre compte sur ce blog.

25/09/2008

Sur Obama (4) Election ou rédemption ?

Premier réflexe lorsqu’il entre au Sénat, en janvier 2005 : former une équipe expérimentée. Pete Rouse, Karen Kornbluh, Samantha Power : quelques grandes figures de la mouvance démocrate rejoignent celui que New Statesman classe dans les « dix personnes qui peuvent changer le monde ». Obama participe à de multiples commissions : relations étrangères, santé, éducation, travail, retraites, sécurité nationale et anciens combattants. Sur le plan médiatique, il est cependant prudent et décline la plupart des quelque… trois cents sollicitations qui lui sont adressées chaque semaine. Il s’associe à des législations sur la grippe aviaire, sur la non-prolifération avec le sénateur Lugar, sur la moralisation de la vie politique avec Russ Feingold, il s’implique aux Nations Unies sur la question du Darfour. Peu à peu, il passe des questions intérieures vers les affaires internationales et voyage en Russie, au Moyen-Orient, au Kenya et en Afrique du Sud. Sur l’Irak, il présente un projet de retrait des troupes à partir de mai 2007 (Irak War De-Escalation Act). Au Kenya, il dénonce les rivalités ethniques dans le débat public et la corruption.

Son succès médiatique ne tarde pas à en s’en trouver conforté : « The Next President » titre Time Magazine en octobre 2006. Cela relève parfois d’une ferveur toute messianique. Un lecteur témoigne ainsi : « J’ai senti que dès que l’Amérique se réveillera de sa stupeur actuelle, ce qu’elle est certainement en train de faire, Obama pourrait être celui qui nous guidera le long de la route que nous avons oublié de suivre depuis si longtemps ». Avec lui, des questions qui étaient sorties du débat public comme la pauvreté et la redistribution des richesses ressurgissent parmi les démocrates progressistes. Certains expliquent la popularité d’Obama en utilisant l’image du test de Rorschach (psychodiagnostik) : sa personnalité serait suffisamment ouverte pour que chacun puisse y projeter sa propre histoire. Pour Eugene Robinson dans le Washington Post, son refus des alternatives trop tranchées (either-nor) « pourrait faire sortir la nation de ses divisions culturelles héritées des années 60 ».

Reste un risque : celui que sa forte popularité finisse par lui faire éviter tout sujet insuffisamment rentable, ou trop risqué, dans une approche commandée par le marketing politique. Parfois, on n’est pas loin de la magie, celle-là même dont parle le critique de cinéma David Ehrenstein en évoquant les « Nègres magiques » des grandes productions hollywoodiennes. Ainsi, pour Paul Street sur le site blackagendareport.com « Obama permet aux Blancs d’apaiser leur culpabilité et de ne pas se sentir racistes parce qu’ils votent pour un Noir, alors qu’ils veulent que rien ne soit fait pour lutter contre les injustices raciales ».

L’ascension d’Obama aurait-elle été trop rapide ? Cela réveille les craintes – certains, notamment au sein de la communauté noire, redoutent l’assassinat – et les critiques liées au manque d’expérience. Mais voyez les conseillers de Bush et « leurs siècles d’expérience » rétorque Obama, qui préfère mettre en avant les qualités de discernement et de clairvoyance. Côté conservateur, on se lâche. On rapproche Obama d’Osama, on fait remarquer que Barack rime avec Irak, on souligne la similarité de son deuxième prénom, Hussein, avec celui de l’ex-dictateur irakien... Robert Gibbs, son directeur de la communication répond : « On ne peut pas régler le problème de l’Irak en faisant campagne sur les deuxièmes prénoms des gens ». Ce qui est sûr, c’est qu’à lui seul Obama réveille l’intérêt des Américains pour le débat démocratique.

Une demi-douzaine de candidats noirs se sont déjà présentés pour devenir le premier président noir des Etats-Unis, de Jessie Jackson à Douglas Wilder sans qu’aucun ne soit parvenu à gagner l’investiture, peut-être en raison de la « skizophrénie raciale des démocrates » dont a parlé Salim Muwakkil (In These Times, 2 août 2007). C’est le 10 février 2007 qu’Obama se présente officiellement à l’investiture du parti démocrate pour l’élection présidentielle. Selon David Mendell (Obama : From Promise to Power), Obama suit, depuis qu’il est entré au Sénat, une stratégie bien établie avec l’aide de ses proches, notamment de David Axelrod, son bras droit et ami de longue date. Un objectif avait été établi par trimestre : mettre une équipe sur pied d’abord, puis se familiariser avec les hommes politiques de Washington, écrire son deuxième ouvrage et enfin lancer son Political Action Committee, un organisme privé permettant de récolter des fonds.

Il avait été convenu au cours de cette période d’éviter de faire des vagues au plan médiatique, de garder ses distances avec la presse pour contrôler son image et éviter la perception d’un homme politique « très à gauche ». Comme sous d’autres latitudes en effet, si une élection primaire se gagne aux extrêmités du parti, l’élection présidentielle se gagne au centre. Mais Obama est-il vraiment prêt ? L’ascension est certes rapide mais, ayant grandi dans les années 70, il incarne une nouvelle génération d’hommes politiques post-baby boom. Il est le citoyen universel, en phase avec la mondialisation. « L’Amérique du XXIe siècle est fascinée par ce que représente Obama. Il est peut-être, malgré lui, écrivent les auteurs, l’image dans laquelle une partie de la société aimerait se reconnaître. Au-delà de l’homme et de son programme, l’Amérique aime ce symbole. Elle aime ce qu’il dit d’elle. Elle a soif de cette rédemption qu’il incarne ».

24/09/2008

Sur Obama (3) La politique comme sport de contact

En 1996, une opportunité se présente lorsqu’un siège devient vacant au Sénat de l’Illinois dans la 13ème circonscription du South Side. Obama a alors 35 ans et sa carrière politique est lancée. Progressiste dans une assemblée à majorité conservatrice, il s’impose, au-delà des coups à prendre, par sa capacité à élaborer des compromis. Lorsque la majorité devient démocrate, il est nommé président de la commission de la santé publique et des services sociaux. Il fait passer, dès la première année, vingt-six projets de loi. Pour lui, les petites victoires sont préférables à la défense de grands idéaux qui ont peu de chance de voir le jour. Sa méthode ? « Un bon compromis, une bonne législation, c’est comme une belle phrase. Ou un beau morceau de musique. Tout le monde peut le reconnaître. Ils se disent : « Oh, ça marche. C’est sensé ». Cela n’arrive pas souvent en politique, mais ça arrive ».

L’ayant remarqué à l’occasion d’une collecte de fonds, John Kerry l’invite à prononcer le discours-programme (keynote speech) lors de la convention démocrate de Boston le 27 juillet 2004 (c’est dans les mêmes circonstances qu’un autre présidentiable, Bill Clinton, avait été lancé en 1988). « Ne gâche pas tout mon pote » lui avait lancé Michelle alors que Barack lui confiait sa nervosité avant de prendre la parole. Tonnerre d’applaudissements, louanges médiatiques : du jour au lendemain, Obama s’est révélé à l’Amérique.

Après avoir échoué pourtant en 2000 dans la course à l’investiture démocrate pour la Chambre des Représentants, Obama tente de nouveau sa chance en 2003 pour un poste au Sénat cette fois. Les autres candidats démocrates semblent plus qualifiés que lui, et on lui prédit quelques difficultés dans les zones rurales du sud de l’Etat où, comme le suggère un journaliste, « la réaction courante face à une personne de couleur est de remonter les vitres de sa voiture ». Obama a cependant de la chance : ses concurrents démocrates, puis son adversaire républicain, Jack Ryan, se décrédibilisent. Le jeune candidat triomphe, y compris en défendant le libre-échange auprès d’un auditoire de syndicalistes (« Tous ces gars portent des Nike et achètent des Pioneer. Ils ne veulent pas que les frontières soient fermées. Ils veulent juste s’assurer que leurs familles ne seront pas détruites » confiera-t-il à ceux qui lui reprochent alors cette position).

Le 2 novembre 2004, il gagne avec plus de 70% des voix contre 27% à son adversaire et devient le troisième Noir à siéger au Sénat depuis l’époque de la Reconstruction (à la fin du XIXe siècle) : c’est la victoire la plus écrasante de toute l’histoire électorale du Sénat américain. On a même vu des fermiers blancs arborer le badge « Obama », d’autres attendre pour lui serrer la main : « Je connais ces gens, ce sont mes grands-parents » explique Obama. Il apparaît de fait comme un candidat « exotique », en tout cas non menaçant vis-à-vis des Blancs, et relativement inclassable, peu marqué idéologiquement. Quatre électeurs républicains sur dix ont voté pour lui et neuf Afro-Américains ont voté pour lui alors que son adversaire était noir lui aussi. « Ce que nous avons montré, souligne Obama en reconnaissant qu’il a eu de la chance, c’est que nous pouvons être en désaccord sans être ennemis ». En tout cas, il reçoit dans la foulée une avance de 1,9 millions de dollars pour écrire d’autres livres après ses mémoires, il peut alors rembourser tous ses prêts et acheter une maison à Hyde Park.