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26/02/2008

L'honorable commandant de la guerre John Mac Cain

A travers le débat démocrate d'Austin, c'est déjà à son rival républicain annoncé que s'adressait Obama, en l'interpelant sur sa "guerre de 100 ans" en Irak. Mac Cain ? Autant dire un revenant. C'est pourtant Huckabee qui, le premier, avait créé la suprise et commencé à déjouer les plans du GOP autour de Mitt Romney ou de Rudy Giuliani. Mais le premier n'a pas résisté au soupçon que suscitait son obédience mormone, et le second, que ses positions libérales en matière de moeurs fragilisaient déjà aux yeux des conservateurs purs et durs, en zappant les premières primaires dans les petits Etats a perdu en dynamique et gagné... en suffisance.

Au-delà de leurs erreurs de positionnement, il y a au reste quelque chose de plus profond dans l'échec cinglant de ces deux figures républicaines. Comme si elles avaient trop incarné une forme de puissance, qu'elle vienne des armes ou du business, voire une position dans laquelle le confort le disputait aux certitudes en des temps pourtant difficiles pour le peuple américain. Du volontarisme ? C'est indispensable, sans aucun doute, en ces matières ! Mais avec ce qu'il faut d'humanité, de compassion - voire de générosité.

Huckabee reste certes en course, au moins jusqu'au Texas, mais davantage pour témoigner de l'influence de la religion dans les milieux conservateurs que pour disputer la course. Reste donc Mac Cain qui, s'il survit aux histoires de relations dangeureuses tout récemment exhumées par le New York Times (il y a huit ans, l'équipe Bush l'avait déjà coulé par le fond avant la primaire de Caroline du sud en laissant entendre qu'il avait eu un enfant illégitime d'une afro-américaine), serait opposé à Obama si les choses, pour ce dernier, continuent sur leur lancée.

Le jeune pacifiste contre le vieux va-t-en guerre, l'inspiré de la réconciliation contre l'obsédé de la géopolitique, le jeunot contre le héros - l'avenir, en somme, contre le passé : ce serait gagné d'avance. Vu la sortie brutale à laquelle a été contraint Giuliani après la primaire en Floride au rebours du pronostic que l'on avait formulé ici, on ne se risquera guère à de nouvelles prédictions. Mais enfin, dans un pays qui préfère John Wayne à Luther King (quels commerces s'arrêtent encore de travailler dans le Midwest pour Martin Luther King Day ?), la partie contre le commandant Mc Cain ne paraît pas aussi facile qu'elle pourrait en avoir l'air.

Mac Cain est un type courageux qui s'est fait fort, quoi qu'il dût lui en coûter, et cela dès le début de la campagne, de dire la vérité, en tout cas ce qu'il pensait, sur un certain nombre de grands sujets du moment. Ce n'est pas tout à fait la même chose que de caresser l'opinion dans le sens du poil. Une indépendance d'esprit et une liberté de ton qui lui ont permis, comme pour Obama, de s'adresser aux électeurs indépendants et qui, simultanément, lui posent quelques soucis vis-à-vis des ultras de son camp pour lesquels il apparaît comme un centriste plus que comme un conservateur stricto sensu.

N'en déplaise à l'opinion publique, ici comme en Europe, ce que dit Mac Cain sur l'Irak est très loin d'être imbécile. Le chaos et la défaite américaine ne feront pas une nouvelle politique de progrès au Proche-Orient, bien au contraire. Sans parler de risques de l'exposition accrue de l'Amérique au terrorisme qui en résulterait. Une défaite tranquillement assumée après l'attaque au coeur de 9/11 ? Il n'y a sans doute qu'en Europe que le scénario paraît naturel ; et, chez les Démocrates, comme pour les accents protectionnistes retrouvés à l'approche du Midwest, on verra à l'usage, au-delà des propos d'estrade. Fierté patriotique et liberté économique, le sentiment d'une mission et la perspective de l'enrichissement sont ici des valeurs profondément enracinées chez les gens et transcendent les appartenances politiques.

Le commandant Mac Cain est un héros respecté de la guerre du Vietnam : il y avait été, on le sait, torturé pendant de longs mois, et il a été le seul des candidats républicains dans un débat de la fin de l'année dernière, à prendre clairement position contre tout usage de la torture. Mac Cain est, dans l'affaire irakienne, déterminé sans être aveugle. La stratégie déployée sur place avec le Général Petraeus va dans le sens qu'il appelait de ses voeux et qui, s'accorde-t-on des deux côtés, semble donner des résultats positifs ces derniers mois. Bref, il faudra à Obama encore un peu de souffle, après Austin. Mais il faudra, encore plus sûrement, être de nouveau en mesure de faire parler la poudre pour les duels à venir.


PS : Faire parler la poudre ? Le clin d'oeil pourrait se transformer en nouveau drame. Dans la dernière lettre du Monde consacrée aux élections américaines, Patrick Jarreau fait lui aussi écho à l'inquiétude que j'avais formulée dans un post du 5 janvier ("Le Big Mo de Barack"). Il évoque le sujet en ces termes : " Le New York Times parle d'une "inquiétude étouffée" chez les partisans de Barack Obama. Risque-t-il le sort de Martin Luther King et de Robert Kennedy, assassinés à deux mois de distance, en 1968, cinq ans après John Kennedy ? En 1996, quand le républicain Colin Powell avait envisagé d'être candidat à la présidentielle, sa femme l'en avait dissuadé parce qu'elle pensait que l'extrême droite le tuerait plutôt que de laisser un Africain-Américain accéder à la présidence. Des policiers d'élite protègent nuit et jour le sénateur de l'Illinois. Comment savoir si le danger est élevé ou s'il appartient à une époque révolue ? Peut-on ne pas penser au défi que sa candidature lance à l'Amérique des ténèbres ?".

25/02/2008

OK Corral à Austin ? (Obama, Clinton et l'Amérique profonde)

Règlement de compte à OK Corral cinquante ans plus tard ? Depuis qu'en 1960 Kennedy a fait la différence avec Nixon grâce au débat télévisé qui a opposé les deux hommes - JFK a alors convaincu les trois quarts des 4 millions d'électeurs indécis et ne l'a finalement emporté que de 112 000 voix -, l'exercice est toujours un temps fort de la campagne présidentielle américaine. Plus près de nous, son importance a également été mise en évidence lors des primaires démocrates de 1984 à travers l'affrontement entre Gary Hart, qui avait axé sa campagne sur "une nouvelle manière de penser", et Walter Mondale, qui faisait une campagne plus classique. Tous se souviennent encore du fameux : "Where is the beef ?" (où est la viande) finalement lancé par un Mondale excédé par les propos sans substance de son rival, qui commença alors à sombrer après les succès pourtant notables qu'il avait engrangés lors du Super Tuesday.

"Where is the beef ?" C'est la question qu'anticipait les experts de CNN en tentant de préciser la stratégie d'Hilary Clinton avant le débat qui l'opposa, jeudi dernier, à l'Université d'Austin (Texas) à Barak Obama. Battue depuis une dizaine de primaires d'affilée, à cours de ressources, le sénateur de New York est en effet acculé à la victoire dans les toutes prochaines élections qui se tiendront, le 4 mars, dans l'Ohio et le Texas. A l'inverse, parti challenger, le sénateur de l'Illinois est porté par une grande vague qui traverse le pays, attirant les jeunes en masse, remobilisant la communauté afro-américaine et, finalement, gagnant tous les compartiments de la société américaine en empiétant même sur le coeur de cible de sa rivale, les femmes et les classes populaires notamment.

En dépit de quelques affrontements de fond jeudi, en particulier sur la couverture sociale et la politique étrangère, le débat d'Austin n'aura pourtant que peu changé la donne. Affrontements ? Voire. On est frappé par l'élégance et la courtoisie des échanges dans un débat télévisé américain comparé à la bataille rangée que donne généralement à voir, en France, un exercice du même genre. Ici d'ailleurs, on débat côté à côte - parlez-en aux diplomates et aux psychologues : c'est une posture qui implique davantage la coopération que le conflit -, on redouble de précautions oratoires avant d'expliciter un argument agressif contre son adversaire et, in fine, on se déclare honoré de débattre avec lui, on se dit un mot agréable et on se serre la main. Et nous serions, nous, le symbole de la civilisation contre une Amérique primaire ?

Condamnée à attaquer - ce à quoi elle se ne s'est résolue que dans la seconde moitié de l'exercice, poussée par les questions des journalistes -, Hilary Clinton a montré une indéniable pugnacité et une présence percutante, surtout au début. Bien que bousculé de-ci de-là - sur la portée de sa politique sociale, son approche diplomatique ou sa posture politique -, Barack Obama a su à la fois souligner les convergences avec sa rivale, imposer sa hauteur et répondre, lorsque c'était vraiment nécessaire, aux attaques d'Hilary Clinton. Il était en particulier tentant, face à son volontarisme ressassé en matière d'assurance santé, de renvoyer l'ancienne First Lady à son échec cuisant sur le sujet en 1994.

Pourtant, la question revient, lancinante, dans la bouche de nombre de commentateurs : "Where is the beef ?". Où est la substance, quel est le programme d'Obama, que veut-il faire au-delà de ses incantations de pasteur qui électrisent les foules et leur font reprendre en choeur le désormais fameux : "Yes, we can!" ? L'incapacité récente du sénateur démocrate du Texas Kirk Watson sur MSNBC à citer une réalisation concrète à l'actif du sénateur de l'Illinois a naturellement alimenté la polémique. Et voilà que les élites s'agitent de toutes parts, et cela d'autant plus que l'approche du scrutin dans des Etats comme l'Ohio, sinistré sur le plan industriel du fait de l'extension des accords de libre-échange, renforcent les accents populistes des uns et des autres. Ce jeune ambitieux, inspiré mais pressé, serait-il un imposteur ?

Au regard de l'état du pays et du fonctionnement du système institutionnel américain, rien n'est pourtant moins sûr. Avec les dernières élections, l'héritage de Rove, l'influence des néo-conservateurs et la conduite des affaires par Bush Jr, le pays a sans doute rarement été aussi divisé. Comment être en mesure d'entreprendre quoi que ce soit avant de tenter de le réunir au-delà des divisions - politiques, religieuse, sociales - qu'ont entretenu les stratèges ? Or, cette intuition socio-politique, la mécanique institutionnelle la valide : en dehors des crises majeures ou des périodes, très rares, de "united government", impossible de réformer quoi que ce soit à Washington sans un minimum de consensus. Faute de quoi le camp adverse et les lobbies concernés auront tôt fait de dynamiter les projets aussi bien au Congrès que dans les medias, et avec une efficacité redoutable.

Vos propositions nous font une belle jambe, rétorque en substance Obama à sa rivale, si, insuffisamment bâties sur un élan populaire, elles finissent, comme nombre d'autres idées géniales, au cimetière sur les rives du Potomac. Et mon job, ajoute-t-il, ce n'est pas d'ânonner les propositions incertaines, c'est de réunifier le pays dès aujourd'hui, à travers la campagne. Un pari risqué pour un électeur rationnel, mais une posture qui n'est ni sans fondement au regard du pays et des institutions, ni sans puissance compte tenu des résultats engrangés jusqu'alors : 1351 délégués à Barack Obama contre 1262 à son adversaire - l'investiture nécessitant d'en réunir 2025. Bien sûr, après les tout prochains scrutins, la question des "superdélégués" - ces cadres du parti créés dans les années 80 pour tempérer les ardeurs de la base - restera clé pour une "correction éventuelle" lors de la convention de Denver à l'été. Mais, après OK Corral ici, il est toujours risqué de ne pas se rallier au vainqueur.

20/01/2008

Les nouvelles élites (2) Rupture ou fracture ?

Le piège des 35 heures

Le repli relatif de cette génération n'est pourtant pas synonyme de fermeture : l'ouverture, au contraire, est une valeur essentielle. "Nous sommes sans cesse confrontés à l'étranger, aux autres cultures. Cela fait partie de notre existence et ça nous aide à avancer" en développant "une vraie curisosité intellectuelle". L'une des vraies faiblesses de la France ne tiendrait-elle pas à son absence de curiosité ? s'interroge un quadra.

Les nouvelles élites croient au travail, condition de l'épanouissement individuel. D'où parfois une critique progressiste de la diminution du temps de travail : "La gauche est tombée dans un piège à travers les 35 heures, en oubliant que la capacité de travail des gens est leur seule fortune quand ils n'ont pas de patrimoine". Mais cela n'empêche pas une attention accrue à la qualité de vie. Au fond, dit l'un, " je ne recherche pas le pouvoir pour l'argent, je recherche l'argent pour la liberté".

Cette génération, résument les auteurs, vit dans l'idée "que le fait d'avoir des amis, une vie affective, du temps pour aller au cinéma, tout cela est nécessaire pour construire l'individu et le rendre plus intelligent dans l'exercice de sa fonction". Avec un peu d'ouverture sur le monde, on ne saurait mieux dire.

Fracture générationnelle

"Quand avons-nous cessé d'écrire l'épopée ?" s'interrogent les quadras en s'empressant de mettre ses aînés en accusation. La génération précédente n'aurait pas joué son rôle de passeur. Ni pères (affairés), ni repères (dissous) : il n'y aurait pas eu de guides. De fait, la génération de Mai 68 s'est construite sur sa contestation de la société patriarcale, et donc son refus de la transmission.

Première génération sans héritage ? Ce vide, qui aurait dû être libérateur, donne le vertige aux alterélites. Première génération post-moderne donc, qui vit avec l'idée qu'à peu près toutes les formules ont été essayées avant elle. Ce désengagement, parfois mâtiné d'impuissance et de cynisme, serait d'ailleurs entretenu par la génération 68. Certaines idées, lance un témoin, ont pourtant conservé leur intérêt, comme le partage ou la solidarité.

Deux populations paraissent, en tout état de cause, exclues de cette concentration des responsabilités par les aînés : les jeunes et les femmes, ces deux catégories étant en compétition avec les groupes issus de la diversité avec, bien sûr, des effets de cumul dont Rama Yade représente aujourd'hui l'emblème.

Nouvelle humanité ?

Pour cette nouvelle génération, il y a en fait la crainte d'être squeezée entre celle de 68 et celle qui vient derrière et qui a aujourd'hui aux alentours de vingt ans. Car si les nouvelles élites partagent une mémoire commune avec leurs aînés, leurs cadettes échappent totalement à cet univers de références. Bref, les 20-25 ans intriguent et désarçonnent.

Les interprétations sont ouvertes : s'agit-il d'une génération pragmatique, dégourdie, avec de la fluidité, ou bien d'un groupe s'assimilant à des fonctionnaires, plus soucieux de leurs droits que de leurs devoirs et motivés par la sécurité qui s'imposerait en des temps difficiles ? Ainsi parfois, "la peur pour leur équilibre personnel fait qu'ils préfèrent fonctionner à bas régime".

Ultime lecture : pour les 30-45 ans, les 20-25 ans sont les premiers specimens d'une nouvelle humanité. Mais c'est alors aussi une génération qui, née dans le système, pourrait aussi trouver le ressort de le contester de nouveau. Ainsi la dernière présidentielle a-t-elle dynamisé sur le plan politique les 15-20 ans qui affirment aujourd'hui une confiance retrouvée et une volonté d'action.

De leur côté, les nouvelles élites ont-elles les moyens de changer les choses ?

17/01/2008

Les nouvelles élites (1) Mao, Sarko, boulot

Apostrophe

Dans un projet d'article pour Le Monde, j'avais, juste après l'élection de mai, insisté sur le fait que ce qui me semblait essentiel à l'issue de l'élection présidentielle, c'était qu'elle consacrait l'émergence d'une nouvelle génération - une génération qui, dans tous les domaines, aspirait à prendre le pouvoir. C'est par là que commence Fouks et son équipe dans "Les nouvelles élites - Portrait d'une génération qui s'ignore" (Plon) : "L'élection, dit-il, vient de révéler le fait générationnel en France : elle va permettre à une nouvelle génération du pouvoir d'exister".

Comme je l'ai fait pour le dernier ouvrage de prospective d'Attali (cf Brève histoire de l'avenir), je voudrais ici rendre compte assez largement de cet ouvrage qui, pour les gens de ma génération, me semble marquer, comme on dirait dans les officines gauchistes, un moment de conscientisation particulier sans lequel on comprend mal, je crois, tant la lassitude sociale-démocrate que l'émergence du phénomène Sarkozy. Je vous propose de le faire avec vous, d'une façon largement ouverte au dialogue, aux analyses croisées, à l'esprit critique - il ne manque guère par ici -, à l'apostrophe sinon à l'invective, et cela aussi bien avec la génération qui précède qu'avec celle qui suit. Si tout le monde s'y met, ça nous promet une belle discussion, sur un terrain qui semble un peu plus digne d'intérêt que le clinquant du moment.

Génération diverse

Yade, Mignon, Bertrand, Dati, Wauqiez, Kociusko-Morizet : il y a eu sur ce point une incontestable audace de Sarkozy tandis qu'au PS, comme dans l'administration, ce sont toujours les statuts laborieusement acquis (au prix d'un recyclage des vieilles idées en guise de créativité souligne Daniel) et l'avancement à l'ancienneté qui prévalent. En même temps, c'est un renouvellement qui dépasse la seule question de l'âge : ce gouvernement intègre, de fait, des personnalités issues de la diversité, des gens de droite et de gauche, des professions libérales et non seulement des fonctionnaires, bref, c'est un autre paysage du pouvoir, plus proche du visage divers de la société.

En sens inverse, actant le fait que le vrai pouvoir est aujourd'hui économique, les hauts fonctionnaires désertent plus volontiers le service de l'Etat pour rejoindre le privé - et ce n'est certes pas ici qu'on se lancera dans l'habituel couplet anti-pantouflage. "C'est là, en effet, que s'initient et se développent les véritables dynamiques de changement". Après la "rétention chiraco-jospinienne" - une glaciation ? -, les forces vives se libèrent. "En cinq ans, rappelle Fouks, la moyenne d'âge du CAC 40 ets passée à cinquante-quatre à quarante-six ans". Si ce renouvellement générationnel a tant tardé pourtant, c'est que la génération d'avant, celle de Mai 68, "a préféré la rupture à la transmission, en favorisant les logiques d'establishment : les révolutionnaires d'hier sont devenus les conservateurs d'un système égoïste et dangereux".

Cela aurait commencé le 21 avril 2002 avec l'accession du Front National au second tour de l'élection présidentielle. "D Day" avec "D" pour défiance. Consécration d'une société de défiance généralisée. Ce serait au fond, écrivent les auteurs, "l'histoire d'un type un peu solitaire qui, sans nostalgie pour le passé, n'aurait pas une grande confiance dans l'avenir". Ce qui caractérise cette génération, c'est en effet la fin des idéologies qui avaient porté la génération d'avant. Un interviewé complète le propos : "Nous nous sommes, pour ce qui est de notre imaginaire politique, construits entre le 10 mai 1981 et le 21 avril 2002 avec, dans l'intervalle, le 11 septembre" - et le 9 novembre 1989 faudrait-il naturellement ajouter. Avec les affaires qui marquent le début des années 90 et l'ombre portée sur la fin du deuxième septennat de François Mitterrand, c'est aussi une période de désacralisation du politique.

Désespoir et bravitude

Cette génération (celle qui avait entre cinq et vingt ans en 1981) est aussi une génération sans histoire au sens où aucun événement fondateur, guerre ou révolution, n'est venu lui donner corps. Plus important encore, elle émerge, non pas dans un climat économique radieux, mais à l'époque des "trente piteuses", dans une société "où le travail n'apparaissait plus comme une valeur, mais comme une variable d'ajustement". "Le sida, la monogamie, la sécurité de l'emploi, c'est terne, mais c'est nous" dit un désespéré.

Dans cette "mix génération", ce qui prime, c'est la diversité. "Structurées par les différences, les alterélites mêlent les influences. Le rapport à la diversité structure donc leur vision du monde et leurs représentations. Vitesse, profusion, multiplicité sont les éléments avec lesquels elles ont dû apprendre à composer. De ce fait, les élites de 30-45 ans se fabriquent un nouveau mode de pensée et d'action, fait de croisements, de télescopage, d'hybridation".

L'ambition ? Elle s'est pour le coup ramené à la sphère familière : "le bonheur des gens autour, la famille, les collaborateurs", bref, le monde qui nous entoure, jusqu'à un singulier renversement des élans : "Nous sommes de parfaits égoïstes de façon collective, et de parfaits altruistes, de façon individuelle". Une valeur ? Dans un monde divers, c'est forcément la tolérance qui l'emporte. Avec la combativité qu'il faut pour tâcher simultanément de faire prévaloir ses idées. Ce qui compte, résume un jeune chef d'entreprise avec une inflexion plus managériale, c'est "le respect des valeurs, le goût de l'effort, la nécessité de se dépasser pour progresser".

13/01/2008

L'angoisse du conservateur devant le point de non-retour (Dubya et les tontons flingueurs)

" Le gars qui disait si vous voulez un ami à Washington, prenez un chien, savait de quoi il parlait" confie Bush, désespéré, à Robert Draper dans "Dead Certain : The Presidency of George W. Bush" (Le Monde du 11/01). Outre qu'on ne voit pas pourquoi le précepte vaudrait exclusivement pour l'Amérique ou les commandants en chef, Bush se présente également comme un homme qui aimerait par-dessus tout "les Grandes Idées et les petits conforts" rapporte Lila Azal Zanganesh. C'est humain. Il cultiverait aussi une "vision" plutôt qu'une "pensée" - confidence troublante, cette fois, pour ceux qui pensent qu'il y a quelque vertu, et d'abord d'entraînement, à proposer une vision.

Un type qui n'est pas un imbécile, au fond, résume la journaliste, mais qui apparaît "incroyablement borné" - ce qui rend toute critique impossible autour de lui -, et dont la faille tragique serait une "inattention presque exubérante pour le monde extérieur"... Quant à son impopularité, Bush la vit comme un dirigeant... clairvoyant mais incompris, ou mal aimé - un cocktail qui, chez nous, voyez Juppé sur les retraites ou Villepin sur le contrat de travail, a tout de même la vertu de faire moins de dégâts.

Austin Powers à la Maison Blanche

La question fondamentale pour lui, c'est : "Le monde en va-t-il mieux du fait de votre leadership ?" Il le croit (trois ans après l'invasion de l'Irak, il restait persuadé qu'il y avait bien eu là-bas des armes de destruction massive et, l'an dernier, il résumait la situation d'un tonitruant : "On pète le feu en Irak"). Il s'appuie pour cela sur un "optimisme compulsif" ainsi que sur une pratique verticale du commandement ; participatif le modèle américain ? - voire.

Moments de détente dans cet océan d'incompréhension : le président se laisserait aller, de temps à autres, à imiter le Dr Evil du fameux Austin Powers. Vous auriez tort de trouver cela incroyable, choquant ou même ridicule (et, accessoirement, désopilant en vous faisant une "vision" de la scène) : tout dirigeant normalement constitué a besoin de ces soupapes de décompression pour faire face, en particulier dans les moments d'adversité, à ses hautes responsabilités et, forcément, quand ça sort, ça décalamine. Et puis, ça détend tout le monde. Surtout dans son équipe, où les postes des uns et des autres se jouent parfois à mains levés au cours des dîners, comme pour l'éviction de Rumsfeld à l'automne 2006.

L'invention de l'Axe du Mal

Tout cela, qui serait amusant au cinéma (le Dr Evil en nouveau Dr Folamour), est, dans la réalité, très inquiétant - et d'abord pour les Républicains. Il n'est que de consulter le New York Times du week-end (la technique, soit dit en passant, pour venir à bout sans trop de peine de cette imposante littérature du week-end, c'est d'en distiller la lecture dans les temps creux de la semaine, notamment lors des déjeuners chez Brown Bag) pour en prendre la mesure.

David Frum confie ainsi : "I am terrified that we can lose the election in 2008. We can lose in 2012, and it will take us half a dozen years to do the rethinking we need to do". Membre du célèbre think tank conservateur, l'Americain Enterprise Institute - où j'ai rencontré récemment Norman Ornstein, l'un des meilleurs spécialistes de la politique américaine (voir le compte rendu de mon entretien avec lui sur mon blog professionnel à la rubrique Institut Montaigne) -, Frum, un gars de Toronto (une ville merveilleuse, on ne le dira jamais assez) venu s'établir ici, monte ainsi au créneau pour la sortie de son manifeste : "Comeback : Conservatism That Can Win Again".

"Clean power"

Conseiller politique de Rudy Giuliani, Frum a été auparavant l'une des plumes du président Bush. Il est notamment à l'origine de la formule "Axis of Hatred" (l'axe de la haine) devenue, comme on sait, après un brain storming inspiré à la Maison Blanche : "Axis of Evil". Et rendue publique par W (prononcer "Dubya" en texan) lors du Discours sur l'état de l'Union, début 2002.

Le moins que l'on puisse dire est que le camp Giuliani prend ses distances avec l'administration Bush et, plus largement, avec une idélogie conservatrice qu'il estime être "intellectuellement épuisée". Exemple typique de ce besoin de renouvellement idéologique : la question de l'environnement. Frum confie là-dessus qu'après avoir vu l'émergence de cette question comme un prétexte pour accroître l'emprise de la réglementation fédérale, il en reconnaît aujourd'hui la portée - et l'importance dans l'opinion. D'où sa proposition d'instituer une taxe carbone pour encourager l'innovation dans le domaine des énergies propres.

C'est ainsi que se traduit l'expression américaine "clean power". A lire pourtant le spin doctor passé chez Giuliani, on ne peut s'empêcher de penser que la frayeur face à l'étendue du désastre gagne en effet les milieux conservateurs (voilà déjà longtemps, d'ailleurs, que les meilleurs hauts fonctionnaires de l'administration Bush sont partis se refaire une virginité ailleurs). Et que, sous la profession de foi environnementale, on peut aussi entendre l'envie de nettoyer, d'une tornade verte, la Maison Blanche.