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10/11/2008

Obama, la transparence et l'obstacle ("Governing is grey" : entretiens avec Galston et Bolton)

A Washington DC l'autre jour, dans les bars, les rues, aux portes de la Maison Blanche, c'était la liesse, en particulier parmi les jeunes et les Afro-Américains. William Galston, un ancien de la bande à Clinton et un des meilleurs experts de la politique démocrate (1) n'en a pas moins raison : la période qui s'ouvre avec la transition et l'arrivée aux responsabilités de Barack Obama s'annonce particulièrement difficile. Sous la houlette de John Podesta, le patron du Center for American Progress, trois mille nouveaux conseillers vont peu à peu prendre les commandes du pouvoir à Washington dans une situation très tendue.

D'un côté, des promesses d'ampleur en matière d'assurance santé, d'éducation, de redressement de l'économie, d'environnement, de retrait des troupes d'Irak ; de l'autre, un déficit estimé en 2009 à 1,2 milliard de milliards de dollars. Une des politiques emblématiques du changement annoncé porte sur la réorientation de l'économie en un sens mieux adapté au changement climatique - ce fut même, accompagné par l'inspiration remarquable d'Al Gore, l'une des signatures d'Obama au cours de cette campagne.

Mais comment faire quand les déficits se creusent à une vitesse record et que, par exemple, l'industrie automobile américaine est au bord de l'effondrement ? En janvier, l'équipe Obama n'aura pourtant que quatre semaines pour adopter un nouveau budget. Et l'on parle déjà d'un nouveau "stimulus", ce qui fait dire par ailleurs, avec un brin de cynisme, aux commentateurs conservateurs de l'American Enterprise Institute que nous serions entrés dans l'ère de "l'effet Cialis" permanent.

Or, les défis sont très loin de n'être qu'internes. Les Russes n'ont guère attendu avant de mettre la pression sur le nouveau président aux portes de l'Europe sur la question des missiles. La Chine, que l'on s'imagine à jamais propspère et pacifique, n'a connu au cours du dernier siècle qu'une vingtaine d'années stables à la suite de décennies de chaos. Au Moyen-Orient, l'Afghanistan est une nouvelle priorité - mais qui, en Europe, au-delà des effets de tribune, apportera sa part à ce nouvel effort de guerre aux côtés des Américains ? Un retrait d'Irak aurait aussi des conséquences catastrophiques sur la stabilité de la région, en ouvrant notamment un boulevard à l'Iran, qui pourrait aussi bénéficier de la volonté de dialogue du nouveau président, et du temps que cette ouverture pourrait lui faire gagner.

Sur ces questions extérieures, l'ambassadeur Bolton, ancien envoyé de Bush pour faire le ménage aux Nations Unies et mettre en pièce le multilatéralisme, n'y va pas par quatre chemins. Pour lui, parce qu'elle marque la fin du mandat de Bush sans ouvrir pour l'heure une confrontation directe avec Obama, la période de transition qui s'ouvre porte même le risque d'une intervention éclair d'Israël sur les installations nucléaires en Iran.

"Campaining is black and white, dit Bolton, but Governing is grey" - sans aucun doute. On aurait d'ailleurs tort de prendre Obama pour un idéaliste : il a compris la portée de l'idéal, ou plutôt il a porté efficacement la nécessité de réintroduire l'idéal en politique (2), c'est chez lui un vrai ressort mais, plus profondément encore, Obama est un pragmatique. C'est un Américain et pour un Américain, au-delà de la ligne de démarcation entre progressistes et conservateurs, il y a une différence essentielle entre ce qui marche et ce qui ne marche pas, et c'est aussi le critère clé de l'évaluation de toute politique publique par les citoyens aux Etats-Unis.

Toutes choses égales par ailleurs, on est tenté de faire un parallèle avec 1981 (y compris d'ailleurs sur la question de l'installation des missiles en Europe), ou plutôt avec la période 1981-83, en France, et c'est cette fois Galston qui a raison : Obama peut changer, infléchir ses choix, adapter sa politique aux circonstances - et il le fera, comme beaucoup d'autres avant lui, à commencer par Clinton en 1992. L'essentiel est qu'il reste attentif à expliquer ses choix. Le monde dans lequel il prend les commandes est un monde menaçant et, pour nombre de ses équilibres, ou de ses déséquilibres, menacé. Obama a su se faire aimer, il lui appartient désormais de se faire respecter. Cela n'ira pas sans sacrifices - ceux-là mêmes, l'a-t-on suffisamment noté ? que le nouveau président élu a mis au centre dans son discours à Grant Park le soir de la victoire.

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(1) Voir aussi ses analyses sur le changement apporté par Bill Clinton en 1992 sur oliveretcompagnie (rubrique Institut Montaigne), à la suite d'un précédent entretien avec lui en décembre 2007.

(2) Voir aussi, toujours sur oliveretcompagnie (rubrique leadership), une analyse de la victoire d'Obama autour d'entretiens avec Brent Colburn et Mark Penn.

25/02/2008

OK Corral à Austin ? (Obama, Clinton et l'Amérique profonde)

Règlement de compte à OK Corral cinquante ans plus tard ? Depuis qu'en 1960 Kennedy a fait la différence avec Nixon grâce au débat télévisé qui a opposé les deux hommes - JFK a alors convaincu les trois quarts des 4 millions d'électeurs indécis et ne l'a finalement emporté que de 112 000 voix -, l'exercice est toujours un temps fort de la campagne présidentielle américaine. Plus près de nous, son importance a également été mise en évidence lors des primaires démocrates de 1984 à travers l'affrontement entre Gary Hart, qui avait axé sa campagne sur "une nouvelle manière de penser", et Walter Mondale, qui faisait une campagne plus classique. Tous se souviennent encore du fameux : "Where is the beef ?" (où est la viande) finalement lancé par un Mondale excédé par les propos sans substance de son rival, qui commença alors à sombrer après les succès pourtant notables qu'il avait engrangés lors du Super Tuesday.

"Where is the beef ?" C'est la question qu'anticipait les experts de CNN en tentant de préciser la stratégie d'Hilary Clinton avant le débat qui l'opposa, jeudi dernier, à l'Université d'Austin (Texas) à Barak Obama. Battue depuis une dizaine de primaires d'affilée, à cours de ressources, le sénateur de New York est en effet acculé à la victoire dans les toutes prochaines élections qui se tiendront, le 4 mars, dans l'Ohio et le Texas. A l'inverse, parti challenger, le sénateur de l'Illinois est porté par une grande vague qui traverse le pays, attirant les jeunes en masse, remobilisant la communauté afro-américaine et, finalement, gagnant tous les compartiments de la société américaine en empiétant même sur le coeur de cible de sa rivale, les femmes et les classes populaires notamment.

En dépit de quelques affrontements de fond jeudi, en particulier sur la couverture sociale et la politique étrangère, le débat d'Austin n'aura pourtant que peu changé la donne. Affrontements ? Voire. On est frappé par l'élégance et la courtoisie des échanges dans un débat télévisé américain comparé à la bataille rangée que donne généralement à voir, en France, un exercice du même genre. Ici d'ailleurs, on débat côté à côte - parlez-en aux diplomates et aux psychologues : c'est une posture qui implique davantage la coopération que le conflit -, on redouble de précautions oratoires avant d'expliciter un argument agressif contre son adversaire et, in fine, on se déclare honoré de débattre avec lui, on se dit un mot agréable et on se serre la main. Et nous serions, nous, le symbole de la civilisation contre une Amérique primaire ?

Condamnée à attaquer - ce à quoi elle se ne s'est résolue que dans la seconde moitié de l'exercice, poussée par les questions des journalistes -, Hilary Clinton a montré une indéniable pugnacité et une présence percutante, surtout au début. Bien que bousculé de-ci de-là - sur la portée de sa politique sociale, son approche diplomatique ou sa posture politique -, Barack Obama a su à la fois souligner les convergences avec sa rivale, imposer sa hauteur et répondre, lorsque c'était vraiment nécessaire, aux attaques d'Hilary Clinton. Il était en particulier tentant, face à son volontarisme ressassé en matière d'assurance santé, de renvoyer l'ancienne First Lady à son échec cuisant sur le sujet en 1994.

Pourtant, la question revient, lancinante, dans la bouche de nombre de commentateurs : "Where is the beef ?". Où est la substance, quel est le programme d'Obama, que veut-il faire au-delà de ses incantations de pasteur qui électrisent les foules et leur font reprendre en choeur le désormais fameux : "Yes, we can!" ? L'incapacité récente du sénateur démocrate du Texas Kirk Watson sur MSNBC à citer une réalisation concrète à l'actif du sénateur de l'Illinois a naturellement alimenté la polémique. Et voilà que les élites s'agitent de toutes parts, et cela d'autant plus que l'approche du scrutin dans des Etats comme l'Ohio, sinistré sur le plan industriel du fait de l'extension des accords de libre-échange, renforcent les accents populistes des uns et des autres. Ce jeune ambitieux, inspiré mais pressé, serait-il un imposteur ?

Au regard de l'état du pays et du fonctionnement du système institutionnel américain, rien n'est pourtant moins sûr. Avec les dernières élections, l'héritage de Rove, l'influence des néo-conservateurs et la conduite des affaires par Bush Jr, le pays a sans doute rarement été aussi divisé. Comment être en mesure d'entreprendre quoi que ce soit avant de tenter de le réunir au-delà des divisions - politiques, religieuse, sociales - qu'ont entretenu les stratèges ? Or, cette intuition socio-politique, la mécanique institutionnelle la valide : en dehors des crises majeures ou des périodes, très rares, de "united government", impossible de réformer quoi que ce soit à Washington sans un minimum de consensus. Faute de quoi le camp adverse et les lobbies concernés auront tôt fait de dynamiter les projets aussi bien au Congrès que dans les medias, et avec une efficacité redoutable.

Vos propositions nous font une belle jambe, rétorque en substance Obama à sa rivale, si, insuffisamment bâties sur un élan populaire, elles finissent, comme nombre d'autres idées géniales, au cimetière sur les rives du Potomac. Et mon job, ajoute-t-il, ce n'est pas d'ânonner les propositions incertaines, c'est de réunifier le pays dès aujourd'hui, à travers la campagne. Un pari risqué pour un électeur rationnel, mais une posture qui n'est ni sans fondement au regard du pays et des institutions, ni sans puissance compte tenu des résultats engrangés jusqu'alors : 1351 délégués à Barack Obama contre 1262 à son adversaire - l'investiture nécessitant d'en réunir 2025. Bien sûr, après les tout prochains scrutins, la question des "superdélégués" - ces cadres du parti créés dans les années 80 pour tempérer les ardeurs de la base - restera clé pour une "correction éventuelle" lors de la convention de Denver à l'été. Mais, après OK Corral ici, il est toujours risqué de ne pas se rallier au vainqueur.