20/01/2008
Les nouvelles élites (2) Rupture ou fracture ?
Le piège des 35 heures
Le repli relatif de cette génération n'est pourtant pas synonyme de fermeture : l'ouverture, au contraire, est une valeur essentielle. "Nous sommes sans cesse confrontés à l'étranger, aux autres cultures. Cela fait partie de notre existence et ça nous aide à avancer" en développant "une vraie curisosité intellectuelle". L'une des vraies faiblesses de la France ne tiendrait-elle pas à son absence de curiosité ? s'interroge un quadra.
Les nouvelles élites croient au travail, condition de l'épanouissement individuel. D'où parfois une critique progressiste de la diminution du temps de travail : "La gauche est tombée dans un piège à travers les 35 heures, en oubliant que la capacité de travail des gens est leur seule fortune quand ils n'ont pas de patrimoine". Mais cela n'empêche pas une attention accrue à la qualité de vie. Au fond, dit l'un, " je ne recherche pas le pouvoir pour l'argent, je recherche l'argent pour la liberté".
Cette génération, résument les auteurs, vit dans l'idée "que le fait d'avoir des amis, une vie affective, du temps pour aller au cinéma, tout cela est nécessaire pour construire l'individu et le rendre plus intelligent dans l'exercice de sa fonction". Avec un peu d'ouverture sur le monde, on ne saurait mieux dire.
Fracture générationnelle
"Quand avons-nous cessé d'écrire l'épopée ?" s'interrogent les quadras en s'empressant de mettre ses aînés en accusation. La génération précédente n'aurait pas joué son rôle de passeur. Ni pères (affairés), ni repères (dissous) : il n'y aurait pas eu de guides. De fait, la génération de Mai 68 s'est construite sur sa contestation de la société patriarcale, et donc son refus de la transmission.
Première génération sans héritage ? Ce vide, qui aurait dû être libérateur, donne le vertige aux alterélites. Première génération post-moderne donc, qui vit avec l'idée qu'à peu près toutes les formules ont été essayées avant elle. Ce désengagement, parfois mâtiné d'impuissance et de cynisme, serait d'ailleurs entretenu par la génération 68. Certaines idées, lance un témoin, ont pourtant conservé leur intérêt, comme le partage ou la solidarité.
Deux populations paraissent, en tout état de cause, exclues de cette concentration des responsabilités par les aînés : les jeunes et les femmes, ces deux catégories étant en compétition avec les groupes issus de la diversité avec, bien sûr, des effets de cumul dont Rama Yade représente aujourd'hui l'emblème.
Nouvelle humanité ?
Pour cette nouvelle génération, il y a en fait la crainte d'être squeezée entre celle de 68 et celle qui vient derrière et qui a aujourd'hui aux alentours de vingt ans. Car si les nouvelles élites partagent une mémoire commune avec leurs aînés, leurs cadettes échappent totalement à cet univers de références. Bref, les 20-25 ans intriguent et désarçonnent.
Les interprétations sont ouvertes : s'agit-il d'une génération pragmatique, dégourdie, avec de la fluidité, ou bien d'un groupe s'assimilant à des fonctionnaires, plus soucieux de leurs droits que de leurs devoirs et motivés par la sécurité qui s'imposerait en des temps difficiles ? Ainsi parfois, "la peur pour leur équilibre personnel fait qu'ils préfèrent fonctionner à bas régime".
Ultime lecture : pour les 30-45 ans, les 20-25 ans sont les premiers specimens d'une nouvelle humanité. Mais c'est alors aussi une génération qui, née dans le système, pourrait aussi trouver le ressort de le contester de nouveau. Ainsi la dernière présidentielle a-t-elle dynamisé sur le plan politique les 15-20 ans qui affirment aujourd'hui une confiance retrouvée et une volonté d'action.
De leur côté, les nouvelles élites ont-elles les moyens de changer les choses ?
00:25 Publié dans Nouvelles élites | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : politique, générations, nouvelles élites, société, 20-25 ans, Mai 68
Commentaires
Voila, le même problème est vécu partout, la fracture entre l'élite, la gauche, et la jeune génération.
Écrit par : Mounir | 27/01/2008
Oui, mais le problème aujourd'hui en France est surtout dans le camp du PS car, après tout, l'extrême gauche, en se restructurant autour de l'anti-capitalisme et de Besancenot, retrouve un lien avec la jeunesse de contestation. Au PS, c'est plus critique, même autour de Royal.
En sens inverse, on peut évoquer l'exemple américain : aujourd'hui, Obama porte incontestablement les attentes de la jeunesse progressiste avec un élan certain.
A quels autres exemples pensez-vous Mounir quand vous dites que le même problème est vécu partout ?
Écrit par : Olivier | 28/01/2008
Moi aussi, Olivier, j’aimerais bien que Sarkozy tienne ses promesses et obtienne des résultats. Mais l’autre vendredi matin (le 17 janvier) sur France-Culture, Alain-Gérard SLAMA a consacré sa chronique – malicieuse – à donner des exemples de ce qu’il attribuait à un début de chiraquisation du nouveau président.
Vous aviez bien vu en insistant sur l’arrivée d’une nouvelle génération mais je me demande si ce renouvellement signifie une renaissance.
Les soixante-huitards une fois dans les fauteuils des pouvoirs ont abandonné leurs idées libertaires. Ils ont fait des PDG très convenables, très classiques, très difficiles à déloger et on leur doit d’être où l’on est.
Sarkozy a fait un bon casting en mélangeant à des figures encore présentables quelques cavales et chevaux légers. Ils seraient donc par définition, pleins d’audace, d’idées, de projets, seraient sans souci de carrière, de durée, de frontières, adaptatifs, créatifs, réactifs… Espérons aussi qu’ils échapperont à la fatalité qui fait que, dès le pouvoir acquis, l’obsession est de le conserver, d’oublier les promesses, de slalomer entre les difficultés.
Chez nous, les réformateurs se réforment très vite. Mon espoir est que le grain de folie qui inquiète tant certains soit assez fort pour lui faire oublier cette loi sacro-sainte et assez maîtrisé pour qu’il en garde le contrôle.
Être mobile n’empêche pas l’immobilisme. Voyez Chirac : il allait plus facilement et souvent au Japon, pays de la modernité que dans son château en Corrèze et pourtant…
La méthode utilisée pour faire des réformes reprend l’habitude de toujours : réunion d’experts, cogitations intenses, conclusions et projet de lois. Les trois étapes canadiennes ne sont pas au rendez-vous (Consensus – Concertation – Adaptation). Le paquet fiscal, les régimes spéciaux, l’université, tous des sujets d’importance n’ont fait l’objet d’aucun véritable débat puisqu’ils étaient prêts avant même que le gouvernement soit formé. La précipitation est peut-être un signe de jeunesse mais pas de sagesse. Les propositions d’Attali, malgré leur intérêt, risquent d’en pâtir. La verticalité jacobine a montré ses limites. La réforme des banlieues obéit à la même habitude. Quand leurs habitants ont-ils été réunis, écoutés ? Quand a-t-on, avec eux, fait le tour de tout ce qui ne va pas, de ce qui doit être changé ?
Est-ce manifester le respect qu’ils réclament que de décider sans leur demander de s’exprimer ? Le travail en profondeur aurait demandé du temps. Il n’a pas été pris. La bonne volonté de Mme AMARA n’est pas en cause mais il y a une fatalité liée à une culture de gouvernement qui ne sait qu’imposer. Ces nouveaux ministres dont on aurait pu espérer qu’ils se démarqueraient de leurs prédécesseurs font les mêmes erreurs. Ils auront les mêmes résultats.
Écrit par : Daniel | 29/01/2008
Daniel,
Merci pour cette vive contribution ici et dans votre "Journal politiquement incorrect" que je prends toujours autant de plaisir à lire.
Mon propos n'est pas d'encenser Sarkozy ici, mais de souligner le changement de génération, l'état des lieux et les nouvelles pratiques qui vont avec. D'accord avec vous sur l'habileté du casting et les lacunes parfois de la méthode qui donne l'impression de se construire en marchant.
Réformes à demi engagées dites-vous ? Sans doute, mais que n'aurait-on dit si le président avait tenté de passer en force ; il aurait aussi condamné comme Chirac en 95 toutes ses possibilités d'action pour la suite.
Non, je trouve que l'on va aussi (et trop) vite à tirer sur le sarkozysme d'aujourd'hui qu'on l'a été à encenser le Sarkozy d'hier. La réalité est qu'il y a peu d'hommes politiques disponibles aujourd'hui pour tenter de faire bouger le système et que l'entreprise est indénibalement complexe en France.
Ce qu'avait souligné Attali là-dessus avant le rapport (dans sa Brève histoire de l'avenir), c'est qu'il y a une fenêtre d'opportunité intéressante une fois que l'on en aura fini avec les municipales et le probable (et dérisoire) succès socialiste d'un an-un an et demi avant les prochaines élections. C'est à l'issue de cette période qu'à mon sens il faudra juger l'action de l'actuel gouvernement.
Et puis avec un peu de chance - même si j'aime personnellement sa façon de casser les codes assez souverainement, y compris quand cela ne joue pas à son avantage -, le président se sera sans doute un peu calmé et aura retrouvé un positionnement plus conforme au pilotage de réformes difficiles qui vont demander autant de ténacité que d'habileté.
Là-dessus, je renvoie tous les esprits intéressés au rapport que nous finalisons avec l'Institut Montaigne sur le thème : "Communiquer la réforme" ! (à paraître en mars).
Écrit par : Olivier | 05/02/2008
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