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13/01/2008

L'angoisse du conservateur devant le point de non-retour (Dubya et les tontons flingueurs)

" Le gars qui disait si vous voulez un ami à Washington, prenez un chien, savait de quoi il parlait" confie Bush, désespéré, à Robert Draper dans "Dead Certain : The Presidency of George W. Bush" (Le Monde du 11/01). Outre qu'on ne voit pas pourquoi le précepte vaudrait exclusivement pour l'Amérique ou les commandants en chef, Bush se présente également comme un homme qui aimerait par-dessus tout "les Grandes Idées et les petits conforts" rapporte Lila Azal Zanganesh. C'est humain. Il cultiverait aussi une "vision" plutôt qu'une "pensée" - confidence troublante, cette fois, pour ceux qui pensent qu'il y a quelque vertu, et d'abord d'entraînement, à proposer une vision.

Un type qui n'est pas un imbécile, au fond, résume la journaliste, mais qui apparaît "incroyablement borné" - ce qui rend toute critique impossible autour de lui -, et dont la faille tragique serait une "inattention presque exubérante pour le monde extérieur"... Quant à son impopularité, Bush la vit comme un dirigeant... clairvoyant mais incompris, ou mal aimé - un cocktail qui, chez nous, voyez Juppé sur les retraites ou Villepin sur le contrat de travail, a tout de même la vertu de faire moins de dégâts.

Austin Powers à la Maison Blanche

La question fondamentale pour lui, c'est : "Le monde en va-t-il mieux du fait de votre leadership ?" Il le croit (trois ans après l'invasion de l'Irak, il restait persuadé qu'il y avait bien eu là-bas des armes de destruction massive et, l'an dernier, il résumait la situation d'un tonitruant : "On pète le feu en Irak"). Il s'appuie pour cela sur un "optimisme compulsif" ainsi que sur une pratique verticale du commandement ; participatif le modèle américain ? - voire.

Moments de détente dans cet océan d'incompréhension : le président se laisserait aller, de temps à autres, à imiter le Dr Evil du fameux Austin Powers. Vous auriez tort de trouver cela incroyable, choquant ou même ridicule (et, accessoirement, désopilant en vous faisant une "vision" de la scène) : tout dirigeant normalement constitué a besoin de ces soupapes de décompression pour faire face, en particulier dans les moments d'adversité, à ses hautes responsabilités et, forcément, quand ça sort, ça décalamine. Et puis, ça détend tout le monde. Surtout dans son équipe, où les postes des uns et des autres se jouent parfois à mains levés au cours des dîners, comme pour l'éviction de Rumsfeld à l'automne 2006.

L'invention de l'Axe du Mal

Tout cela, qui serait amusant au cinéma (le Dr Evil en nouveau Dr Folamour), est, dans la réalité, très inquiétant - et d'abord pour les Républicains. Il n'est que de consulter le New York Times du week-end (la technique, soit dit en passant, pour venir à bout sans trop de peine de cette imposante littérature du week-end, c'est d'en distiller la lecture dans les temps creux de la semaine, notamment lors des déjeuners chez Brown Bag) pour en prendre la mesure.

David Frum confie ainsi : "I am terrified that we can lose the election in 2008. We can lose in 2012, and it will take us half a dozen years to do the rethinking we need to do". Membre du célèbre think tank conservateur, l'Americain Enterprise Institute - où j'ai rencontré récemment Norman Ornstein, l'un des meilleurs spécialistes de la politique américaine (voir le compte rendu de mon entretien avec lui sur mon blog professionnel à la rubrique Institut Montaigne) -, Frum, un gars de Toronto (une ville merveilleuse, on ne le dira jamais assez) venu s'établir ici, monte ainsi au créneau pour la sortie de son manifeste : "Comeback : Conservatism That Can Win Again".

"Clean power"

Conseiller politique de Rudy Giuliani, Frum a été auparavant l'une des plumes du président Bush. Il est notamment à l'origine de la formule "Axis of Hatred" (l'axe de la haine) devenue, comme on sait, après un brain storming inspiré à la Maison Blanche : "Axis of Evil". Et rendue publique par W (prononcer "Dubya" en texan) lors du Discours sur l'état de l'Union, début 2002.

Le moins que l'on puisse dire est que le camp Giuliani prend ses distances avec l'administration Bush et, plus largement, avec une idélogie conservatrice qu'il estime être "intellectuellement épuisée". Exemple typique de ce besoin de renouvellement idéologique : la question de l'environnement. Frum confie là-dessus qu'après avoir vu l'émergence de cette question comme un prétexte pour accroître l'emprise de la réglementation fédérale, il en reconnaît aujourd'hui la portée - et l'importance dans l'opinion. D'où sa proposition d'instituer une taxe carbone pour encourager l'innovation dans le domaine des énergies propres.

C'est ainsi que se traduit l'expression américaine "clean power". A lire pourtant le spin doctor passé chez Giuliani, on ne peut s'empêcher de penser que la frayeur face à l'étendue du désastre gagne en effet les milieux conservateurs (voilà déjà longtemps, d'ailleurs, que les meilleurs hauts fonctionnaires de l'administration Bush sont partis se refaire une virginité ailleurs). Et que, sous la profession de foi environnementale, on peut aussi entendre l'envie de nettoyer, d'une tornade verte, la Maison Blanche.

29/09/2007

Un tour du monde express (3) Paris-Normandie

Lyon, avec ses Vélo'v, avait bien un peu d'avance au flanc de ses collines, celle qui prie, celle qui travaille - et celle, plus récente du coup, qui pédale. Du boulevard Arago à l'avenue de Ségur, de la rue Soufflot à celle de Sévigné et des grands boulevards aux ruelles dérobées, on peut enfin traverser Paris à vélo. Quel plaisir ! De circuler librement bien sûr - pour ainsi dire sans entrave - mais, plus encore, d'une certaine dématérialisation du transport. Bouddhisme du Petit Vehicule : nous voilà libérés des liens et des contraintes de la propriété, disponibles pour pousser un peu plus loin les frontières de nos territoires ordinaires.

Il en va de même de notre nouveau rapport, nomade, à l'information et à la communication. S'il y a bien un plaisir à prendre de nouveau la presse française au kiosque au lieu de la consulter en ligne (il faut encourager tous ceux qui ne l'ont pas encore fait à s'abonner au Monde.fr, sans doute l'une des réussites françaises les plus remarquables sur ce créneau), c'est l'inverse qui prévaut pour l'accès à internet : dans les grandes villes du monde, les cybercafés sont les vraies oasis.

C'est ce que j'ai éprouvé, en arrivant aux Etats-Unis : il est alors plus important de pouvoir se connecter quotidiennement que de faire deux repas par jour. Refuges du voyageur, ces lieux sont aussi des auberges espagnoles de la pensée - chacun, avec son outillage, y bricole ses opinions, ses plaisirs et ses liens. Ils ressemblent aussi à des communautés improbables sans cesse recomposées au gré du temps qu'il fait et de celui qui passe : touristes des quatre coins du monde, fans de jeux video, citadins égarés, étudiants en retard, consultants en mouvement - nomades de toutes sortes.

Si la rue fait grise mine, la cuisine des quartiers - à Rambuteau, sur Quinet, à Raspail et Arago en passant par Denfert - rehausse tout cela des couleurs de saison et de saveurs retrouvées, au gré de retrouvailles chaleureuses. Les antipasti de Little Italy gagnent à être connus, les ris de veau de l'Opportun n'ont rien perdu de leur superbe et le mille-feuille, à la Rotonde, est toujours un passage obligé. Avant de pousser chez Tschann, un peu plus loin, une dernière fois avant de repartir, pour les lectures des voyages à venir. On y attrappe en passant le dernier Barbery, Alabama Song, et puis l'étude de Loyer sur la diaspora française des années 40 à New-York ("la racaille" qui partait de Marseille avec Levi-Strauss, Soupault et Breton) et la dernière livraison du Débat qui semble, à bon droit, commencer de s'exciter sur le new deal en cours.

Paris, sans la Normandie ? Pour être digne des siens - autant que de l'Amérique ! - on ne saurait s'y soustraire. Un peu plus loin, en Pays de Caux, ce n'est pourtant pas mieux. Les premières vagues de froid guettent à l'angle des hêtraies et de "grands rideaux de pluie", à la Maupassant, traversent continûment la campagne normande. On est loin du Midwest, même si Chicago, elle aussi, ne va pas tarder à plonger dans un froid légendaire qui glace n'importe quel Américain à sa seule évocation. Des pelouses émeraude aux jardins plus sauvages, l'escapade cauchoise est toujours un ressourcement.

Ah ! Darcos, à Allouville, peut bien venir inaugurer une école, on a fermé la mienne, à Henri Cahan, derrière l'Inspection. En se faufilant dans les grandes pièces où se tenaient jadis les classes de CM1 et 2, se tenir au centre, là où les cloisons ont été abattues pour faire une salle de théâtre. Il pleut dehors, et dedans aussi bien. C'est comme une prière laïque, d'une infinie tristesse. Il faut écrire puisque tout disparaît. Il faut aussi partir, quand on n'est de nulle part.

09/01/2007

Taisez-vous, Elkabbach ! (sur la fin du journalisme de papa)

Ainsi donc, si l'on en croit Jean-Pierre Elkabbach dans une récente tribune du Monde (4/01/2007), l'internaute contemporain se perdrait dans l'hyperinformation, en s'enfermant dans sa propre solitude...

Surtout, peu à même de décrypter l'actualité, il génèrerait par ses productions, autant que par ses nouveaux réflexes d'information, une "cacophonie intolérable", une confusion nuisible à la démocratie. Bref, c'est à "un formidable bond en arrière" que nous assisterions aujourd'hui au détriment du journalisme classique - journalisme présumé seul capable de guider les citoyens dans les débats qui comptent, et qui devrait tout au plus selon le président d'Europe 1, se montrer un peu plus à l'écoute du temps à travers la blogosphère.

Quelle erreur de jugement... A moins qu'il ne s'agisse que d'une tentative désespérée de reprendre la main sur un mouvement de fond qui échappe à la plupart des grands medias actuels - à quelques exceptions il est vrai remarquables (voir en particulier Libération, Le Monde ou Les Echos) ? A l'inverse d'un Rupert Murdoch - une leçon anglo-saxonne de plus -, Jean-Pierre Elkabbach n'a manifestement pas bien pris la mesure de la réalité du web d'aujourd'hui, et propose aux citoyens internautes une sorte d'association qui, en masquant mal son incompréhension, sinon sa morgue, signe d'emblée ses limites.

Oui, les grands medias et les journalistes n'ont plus le monopole du tri : la poste, on confirme, c'est fini. Plus exactement, ceux qui ont su bâtir une expertise technique reconnue, ou qui sont capables de développer une analyse originale du monde comme il va n'ont guère de souci à se faire - on pense notamment aux grands experts sectoriels et aux éditorialistes reconnus (voyez, parmi bien d'autres, les commentateurs affûtés que sont Barbier, Le Boucher ou de Kerdrel). Leur place demeurera - et demeurera essentielle en effet à une démocratie éclairée, courageuse et vivante. Il va sans dire que les autres ont plus de souci à se faire face à cette nouvelle concurrence des contenus issus de la société civile.

Car le niveau d'éducation général monte dans nos sociétés et, à côté des difficultés considérables que rencontrent bien de nos concitoyens les plus modestes à s'insérer avec succès dans le système scolaire - voire, le fameux bondyblog.fr ouvre de nouveaux espaces au journalisme citoyen -, une parole éclairée par les savoirs spécialisés ou la diversité des expériences de terrain - enseignants, voyageurs, cadres d'entreprises, responsables associatifs - a bel et bien pleinement trouvé sa place dans la cité.

Prétexter des mauvais blogs pour décrédibiliser un mouvement intellectuel et social riche est un piètre procédé ; c'est un peu comme si l'on faisait le tour du kiosque le plus proche pour se faire une idée de la qualité de la presse actuelle dans notre pays : résultat garanti... Au demeurant, il en va des mauvais blogs comme de la mauvaise presse : la sélection fait généralement son oeuvre.

Et, contrairement à ce qu'énonce un point de vue manifestement dépassé par les événements, la blogosphère sait intégrer les régulations utiles... bien mieux que n'aurait pu le rêver la philosophie autogestionnaire des années 70. Oui, le web 2.0 dans ses meilleures réalisations, montre une capacité remarquable à s'autoéguler en s'appuyant sur ceux qui émergent en son sein comme des partenaires fiables, et auxquels se trouve ainsi délégué un rôle de modérateur qui, lui non plus, n'appartient plus en propre aux journalistes.

Cette émergence des savoirs s'accompagne de fait d'un progrès notable du sens critique des citoyens, dont les internautes, de ce point de vue, représentent plutôt un groupe pionnier, éclairé, réactif, capable de mobilisations fortes et efficaces, capable d'identifier, de commenter et de mettre en perspective très rapidement les contenus pertinents du point de vue de la société civile. Laissons donc la "sagesse des foules" aux auditeurs de la Une et d'Europe 1 réunis.

Là encore, disqualifier l'amateurisme de la blogosphère à travers l'utilisation que font certaines chaînes américaines de blogs de GI's constitue un raccourci grotesque... Qui donc a corrigé Dan Rather sur CBS News à propos du service militaire du président Bush ? Qui a protesté contre les propos d'Eason Jordan sur CNN ? Surtout, qui réintroduit dans le débat public des sujets oubliés par les medias traditionnels parce qu'ils ne sont pas vendeurs du point de vue du modèle économique de la presse installée, sous haute influence publicitaire ?

Il en va ainsi par exemple de l'intérêt d'un suivi continu, au sein de la blogosphère, des problématiques africaines (cf le Blog Africa d'Ethan Zuckerman) ou des développements de la citoyenneté en Chine à travers... l'émergence des blogs. Sur ces exemples positifs en plein essor - et tant d'autres expériences citoyennes de premier plan telles que Ohmynews en Corée ou Agoravox en Europe -, on consultera avec prodit le dernier ouvrage de Loïc Le Meur et Laurence Beauvais, "Blogs pour les pros".

On reprocherait également aux blogueurs de "ramasser" les contenus que d'autres ont bien voulu produire ailleurs... Mais quelle est au juste, là encore, la réalité de la presse institutionnelle d'aujourd'hui ? Comment fonctionne la boucle médiatique ? Selon quelles connivences souvent à peine voilées, quelles médiations mal assurées, quelle irrationalité stupéfiante parfois, quel modèle économique explicite ?

Quant au mythe de la gratuité, l'exemple spectaculaire des quotidiens gratuits parle de lui-même, Sylvain Attal a raison de le souligner (Le Monde du 6/01/2007). Un mouvement de fond est engagé, auquel en effet la publicité commence de s'adapter. Et la dissidence de Larry Sanger ne changera rien à l'expérience de référence de Wikipédia. Si les experts conservent leur place - et certes, nous avons plus que jamais besoin aussi de leurs éclairages, désaccords inclus (voir par exemple les récents débats scientifiques sur la question du réchauffement du climat) -, c'est désormais au milieu des interrogations et des témoignages portés avec vivacité par la "communication conversationnelle".

"Bienvenue, dit Ohmynews, dans le monde qui révolutionne la production, la distribution et la consommation de l'info. Dites bye-bye à la culture journalistique d'hier, celle du XXe siècle". On ne saurait mieux dire. Oui, la blogosphère est un "incroyable révélateur de notre époque", incontestablement marquée qu'elle est par "une prise de parole plus libre et moins codée". Nous vivons une nouvelle ère de la production des contenus comparable à l'invention de l'imprimerie. A travers la montée d'une concurrence stimulante, cette nouvelle ère signale la fin du journalisme de papa - un journalisme moribond, qui a au moins désormais trouvé son porte-parole, dont les accents sont au journalisme d'aujourd'hui à peu près ce qu'est la voix de Gaulle à la modernité du débat public. Ou, pour être tout à fait clair, Jurassik Park à la nouvelle vague.