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29/09/2007

Un tour du monde express (3) Paris-Normandie

Lyon, avec ses Vélo'v, avait bien un peu d'avance au flanc de ses collines, celle qui prie, celle qui travaille - et celle, plus récente du coup, qui pédale. Du boulevard Arago à l'avenue de Ségur, de la rue Soufflot à celle de Sévigné et des grands boulevards aux ruelles dérobées, on peut enfin traverser Paris à vélo. Quel plaisir ! De circuler librement bien sûr - pour ainsi dire sans entrave - mais, plus encore, d'une certaine dématérialisation du transport. Bouddhisme du Petit Vehicule : nous voilà libérés des liens et des contraintes de la propriété, disponibles pour pousser un peu plus loin les frontières de nos territoires ordinaires.

Il en va de même de notre nouveau rapport, nomade, à l'information et à la communication. S'il y a bien un plaisir à prendre de nouveau la presse française au kiosque au lieu de la consulter en ligne (il faut encourager tous ceux qui ne l'ont pas encore fait à s'abonner au Monde.fr, sans doute l'une des réussites françaises les plus remarquables sur ce créneau), c'est l'inverse qui prévaut pour l'accès à internet : dans les grandes villes du monde, les cybercafés sont les vraies oasis.

C'est ce que j'ai éprouvé, en arrivant aux Etats-Unis : il est alors plus important de pouvoir se connecter quotidiennement que de faire deux repas par jour. Refuges du voyageur, ces lieux sont aussi des auberges espagnoles de la pensée - chacun, avec son outillage, y bricole ses opinions, ses plaisirs et ses liens. Ils ressemblent aussi à des communautés improbables sans cesse recomposées au gré du temps qu'il fait et de celui qui passe : touristes des quatre coins du monde, fans de jeux video, citadins égarés, étudiants en retard, consultants en mouvement - nomades de toutes sortes.

Si la rue fait grise mine, la cuisine des quartiers - à Rambuteau, sur Quinet, à Raspail et Arago en passant par Denfert - rehausse tout cela des couleurs de saison et de saveurs retrouvées, au gré de retrouvailles chaleureuses. Les antipasti de Little Italy gagnent à être connus, les ris de veau de l'Opportun n'ont rien perdu de leur superbe et le mille-feuille, à la Rotonde, est toujours un passage obligé. Avant de pousser chez Tschann, un peu plus loin, une dernière fois avant de repartir, pour les lectures des voyages à venir. On y attrappe en passant le dernier Barbery, Alabama Song, et puis l'étude de Loyer sur la diaspora française des années 40 à New-York ("la racaille" qui partait de Marseille avec Levi-Strauss, Soupault et Breton) et la dernière livraison du Débat qui semble, à bon droit, commencer de s'exciter sur le new deal en cours.

Paris, sans la Normandie ? Pour être digne des siens - autant que de l'Amérique ! - on ne saurait s'y soustraire. Un peu plus loin, en Pays de Caux, ce n'est pourtant pas mieux. Les premières vagues de froid guettent à l'angle des hêtraies et de "grands rideaux de pluie", à la Maupassant, traversent continûment la campagne normande. On est loin du Midwest, même si Chicago, elle aussi, ne va pas tarder à plonger dans un froid légendaire qui glace n'importe quel Américain à sa seule évocation. Des pelouses émeraude aux jardins plus sauvages, l'escapade cauchoise est toujours un ressourcement.

Ah ! Darcos, à Allouville, peut bien venir inaugurer une école, on a fermé la mienne, à Henri Cahan, derrière l'Inspection. En se faufilant dans les grandes pièces où se tenaient jadis les classes de CM1 et 2, se tenir au centre, là où les cloisons ont été abattues pour faire une salle de théâtre. Il pleut dehors, et dedans aussi bien. C'est comme une prière laïque, d'une infinie tristesse. Il faut écrire puisque tout disparaît. Il faut aussi partir, quand on n'est de nulle part.

28/09/2007

Un tour du monde express (2) Barcelone (Barceloneta)

Pour une fois, on n'irait pas s'émerveiller avec Miro sur les hauteurs de Montjuic, descendre la Rambla le nez en l'air, passer chez Picasso ou au musée d'art moderne, à deux pas du Raval, rêver sur les toits de la Pedrera, flâner dans les jardins de l'Université ou tourner tout autour de la Sagrada Familia.

Non, on reviendrait là, sur cette pointe avancée de la ville vers la mer, dans une des maisons de pêcheurs rénovées de Barceloneta, non loin du Passeig de Borbo, entre Grau i Torras et le carrer Atlantida. On s'y reposerait doucement, au rythme du quartier, les vieilles gens qui s'y fondent et les touristes égarés qui n'y font que passer.

Depuis les balcons étroits ou mieux, de la terrasse, on apercevrait la mer au travers des antennes et des recoins de toits, enchâssés les uns dans les autres comme pour mieux faire bloc au-dessus des ruelles étroites où les femmes s'épient derrière les rangées de linge, quand les hommes font les fiers au milieu de la rue.

Plus haut de l'autre côté, au-delà des palais, on devinerait les belles villas de Sarria étourdies de soleil à l'heure de la sieste.

Autour du marché couvert - les rangées de poissons et les montagnes de fruits -, entre les bars antiques et les commerces de fortune, ça gueulerait bien un peu à tous les coins d'étales, mais on ferait comme chez nous. On traverserait les fêtes en zigzaguant entre estrades et scooters, on s'amuserait de manèges, on s'arrêterait sur les places. Et puis on capterait au détour d'une ruelle un air rafraîchissant venu du bord de mer.

Un peu plus loin, sur le Passeig Maritim, la ville trépidante reprendrait ses droits entre les restaurants chics et les cafés branchés, les bandes sur le sable et les footings sur la plage, au long de l'immense promenade qui, depuis le port, file sur le quartier olympique et dépasse Poble Nou jusqu'au bout de Diagonal. On pourrait même pousser jusqu'à l'aquarium, sur Port Vell, entre les requins perdus et les poissons-plantes.

Et puis le soir venu, on se régalerait de tapas - de jambon ibérique et d'aubergines confites, de pain à la tomate et de patatas bravas, de petites fritures, de gambas à la plancha, laissant pour une fois les Rioja pour l'Estrella, au bar de Jaica, entre les matches du Barça et la faune de passage. Je me sentirais fier, tu serais un peu ivre, on s'abandonnerait à cette corrida-là. Ce serait des jours d'attente, ce serait des jours heureux.

18:45 Publié dans Autour du monde | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Barcelone

25/09/2007

Un tour du monde express (1) Chicago-Paris

A Chicago, sur la route menant de Midway à Ohare International Airport, conversation à bâtons rompus avec Arunas, un Lituanien installé à Los Angeles. Arunas (qui, pour simplifier la tâche de ses interlocuteurs, se fait appeler "Mark"...) est un graphiste de trente-cinq ans qui se demande comment développer son affaire pour pouvoir vivre bientôt de ses rentes. Pour lui - un de plus -, la civilisation de George Bush s'écroule, là, sous nos yeux, dans une succession de mensonges et d'échecs, de mauvais diagnostics et de politiques destructrices. On manque bientôt de pétrole aux Etats-Unis, mais c'est sans doute pour prévenir une autre guerre plus terrible et promouvoir la démocratie que l'on est revenu en Irak.

"Stupid people" lance Arunas contre ses compatriotes en se demandant, à propos de du monde arabe, ce que les Américains peuvent bien avoir à nous apprendre dans ce qu'il voit, associé à l'Afrique et à l'instar de la façon dont les Américains perçoivent eux-même l'Amérique latine, comme notre "arrière cour", voire notre "chasse gardée". Pour tout Américain, il semble que le libéralisme appliqué à la géopolitique rencontre assez vite ses limites. L'autocritique est, cela dit, un sport très pratiqué, souvent de façon un peu convenue, parmi les Américains des côtes. Il en va d'ailleurs de même pour les Français qui s'expatrient là-bas ; c'est une façon, pour chacun, d'ouvrir ses frontières et de faire un peu de place à l'autre.

Débarquant de Chicago à Paris, et au risque de la caricature, ce que l'on sent d'abord, c'est la province. Passage de Bercy, autour du Cour Saint-Emilion, à Port-Royal, entre Mouffetard et les Gobelins - ancien territoire de l'intime, où j'établis à nouveau mon quartier général. D'une enclave aux allures de vignoble aux airs faussement populaires de ce marché parisien - le plus cher de Paris, le plus goûté aussi des Américains en vadrouille (avant du moins que le dollar ne parte en quenouille, ce qui leur gâte toujours un peu le plaisir des retrouvailles) -, quelque chose s'impose comme une ambiance de village paisible qui s'ébrouerait dans les replis des quartiers, aux terrasses ensoleillées des cafés, dans les allées des parcs, au long des rues touristiques. Ce n'est pas une torpeur estivale, c'est un mode de vie qui s'ignore. On est toujours la province d'un autre lieu.

Ce que l'on retrouve d'abord, partout - dans les taxis, dans les rues, à la télévision (jusque pour la série la plus insignifiante que l'on aurait jadis dédaignée), à la terrasse des restaurants, dans les réunions de travail et les retrouvailles, c'est le plaisir de sa langue. Par la seule vertu de sa musique propre, elle fait basculer d'un monde inconnu à un univers familier. La célébration des objets a aussi sa place dans les retrouvailles. Le dernier Chevillard à L'arbre du voyageur, un magnifique Martini à L'arbre à lettres, les nouvelles mythologies... La réforme sous toutes ses coutures et la littérature dans ce qu'elle a de plus bouillonnant et de plus libre (je reparlerai, bien sûr, de Chevillard). Pour un peu, les objets de culture deviendraient ceux d'un culte retrouvé.

Il en va de même du système de la mode, des lignes d'une Tod's à la coupe d'un Paul Smith ; même impression du côté d'un tailleur du Sentier découvert à l'occasion d'une retouche express entre une convocation à l'ambassade et une réunion de travail avenue de Ségur : les tissus commandent par leurs lignes épurées la forme minimaliste des costumes. D'accord là-dessus avec la styliste de Raspail, il me semble aussi que l'élégance a toujours partie liée avec la sobriété.

Pour le reste, à part quelques belles trouées de soleil en fin d'après-midi sur le dôme du Panthéon, le temps semble gris - et les gens aussi, touristes compris. Est-ce l'étourdissement des promesses de changement tous azimuts, ou les premiers effets d'une tonitruante "faillite" annoncée ? Dans les apparences, toujours un peu subjectives, de l'atmosphère de la rue, le pays semble encore attentiste. Il donne l'impression de subir encore davantage la situation que de s'atteler à enclencher une nouvelle dynamique. Il est temps que les "nouvelles élites" mises au jour par Fouks et sa bande prennent plus franchement les rennes du pouvoir. Une affaire de génération, oui : cela fait vingt ans que ce monde-là nous fatigue sans nous entraîner.

09/09/2007

Autour de la guerre (1) B-17G : Disturbing the Universe

J'étais entré chez Tschann un après-midi, à court d'idées, mais avec l'envie de lire de bonnes choses. Je m'étais installé au beau milieu de la librairie et j'avais proposé à deux ou trois membres de l'équipe de me faire partager leurs coups de coeur. Ecoutant les uns, soupesant les autres, je faisais de grandes piles hétéroclites et désordonnées dans les coins en tentant de me faire l'idée la plus juste possible de la qualité des relations que nous pourrions, chacun de ces livres et moi, entretenir par la suite. Si, comme le dit Pierre Lepape, "la lecture est le plaisir le plus comparable au plaisir amoureux", cet après-midi-là confina sans aucun doute au libertinage, gravité incluse. Effet sans doute d'une trop grande distance prise dans les mois qui avaient précédé avec les livres, je voulais les embrasser tous, mais il fallait choisir. Entrant pour chercher de quoi lire, on se souvient soudain - le temps manque - que l'on va mourir. Au lieu pourtant d'en éprouver de la tristesse, c'est un supplément d'intensité que l'on ressent, comme un surcroît de monde.

L'un d'eux me mit entre les mains "B-17G", ce petit livre de Pierre Bergounioux que je calais tant bien que mal dans la pile finale, et auquel j'ai repensé ces derniers temps en écoutant de vénérables Américains évoquer leur guerre en France. Ces deux-là - l'un a plus de quatre-vingt dix ans, l'autre quatre-vingt bien tassés, et tous deux tiennent une forme étonnante - ont eu de la chance. Ils en sont revenus et évoquent aujourd'hui cet épisode si intense et si lointain de leur vie avec une légèreté presque ironique, au sens de l'ironie du sort, qui masque mal, à la vérité, la gravité du souvenir de leurs morts (Holdridge par exemple a toujours refusé de mettre un pied dans un des cimetières américains de Normandie : on devine qu'une seconde fois, il en aurait été dévasté).

A l'origine de ce petit livre, il y a une photo. C'est une petite vignette, assez floue, qui apparaît sur la belle couverture noire de la nouvelle édition de l'ouvrage chez Argol, et qui représente la partie arrière d'un bombardier en vol. L'appareil a été touché et une fumée épaisse jaillit sur la gauche de la carlingue. L'avion est un B-17, un modèle G, la plus récente à l'époque des "forteresses volantes" qui furent présentées à Seattle en 1934 et qui pillonnèrent l'Allemagne dans les dernières années de la guerre. "Ce n'est pas à riposter, écrit Bergounioux, comme au cinéma, comme y songent les gosses, que j'ai pensé lorsque j'ai revu la Forteresse volante. C'est aux gosses qui se trouvaient à bord. Ils furent les protagonistes d'une mutation sans exemple ni précédent de la civilisation matérielle et morale et payèrent de leur vie ce privilège exorbitant".

Dans chaque appareil, dix hommes. Qui sont-ils ? s'interroge l'auteur. Le navigateur, par exemple, est-il d'origine juive, d'un père tailleur dans East Harlem qui lui aurait fait étudier le droit commercial ou les techniques bancaires ? Ou bien est-il d'ascendance écossaise, napolitaine, danoise, allemande ? " Ils sont dix à endosser leur équipement avec la peur au ventre et le souci de la contrôler, de refuser la moindre liberté au gosse qu'ils étaient à quelques heures d'ici et qui, s'il avait voix au chapitre, dirait non, se roulerait dans l'herbe en pleurant, s'enfuirait pesamment, sans espoir, à cause des grosses bottes qui pèsent aux pieds". Je repense aux propos d'Adam, l'autre soir, qui confie avoir échappé à la guerre en Irak au titre de sa participation à la réserve de l'US Air Force grâce à un certificat de convenance d'un oncle médecin : à guerre illégitime, dit-il, esquive déloyale. Cette guerre n'est pas plus populaire aux Etats-Unis qu'ailleurs.

Là, pas le choix. Et puis, pour le coup, ces jeunes types venus de tous les coins de l'Amérique sont reliés par "l'élement moral qui anima les adversaires du nazisme, la certitude de combattre le Mal, d'agir, chacun dans sa partie, et jusqu'à l'intérieur d'un bocal en Plexiglas suspendu dans les airs, au nom de l'humanité". Leadfoot, Butcher Shop, Shoo Shoo Baby... Il y aura sans doute une inscription ludique peinte sous la cabine, entre une pin-up et un canard sorti de Tex Avery. "Ils respirent une nouvelle fois la senteur verte, entêtante qui monte du pré". Trente tonnes de métal, de carburant et d'explosifs décollent bientôt. Le lourd appareil grimpe, prend son envol, puis son rythme de croisière dans la profondeur des cieux anglais. Il fait froid. A bord, combinaisons chauffantes et masques à oxygène sont de rigueur. L'appareil est équipé d'un viseur Norden qui, dit-on, permet de placer un bombe dans un tonneau de choucroute à une altitude de vingt mille pieds.

Hemingway a bien tenté l'expérience, mais c'était dans un B-25 Mitchell en mission sur la France. Et puis, souligne Bergounioux, "Hemingway est trop vieux. Le vif de l'expérience, sa hauteur, sa fraîcheur virginale - moins cinquante degrés - lui échappent. Elles requièrent des êtres pareillement frais, qui s'ignorent eux-mêmes, des cieux inviolés et mortels". Non, ce gars-là, qui a dix-neuf ans, "il a peur, il a froid, il n'arrive pas à penser". Ceci encore sur la littérature et la vie : "C'est toujours ainsi qu'il en va. La réalité, lorsqu'elle pulvérise l'idée qu'on s'en faisait, qu'elle nous rappelle son existence, sa royauté, sa puissance, c'est invariablement avec pertes et fracas. Pour l'accueillir et, s'il se peut, la projeter par le moyen du langage articulé, sur du papier, il y a deux préalables, qui sont de l'éprouver en personne et d'être sans prévention ni but précis, sans passé ni projets pour l'avenir, d'avoir moins de vingt ans donc. C'est des premières expériences que les récits tirent leur substance. Ensuite, on s'assagit. La vue baisse. Les artères s'encrassent. L'ankylose gagne".

Au-dessus de tout cela, dans le vacarme assourdissant des moteurs qui hurlent leur puissance, les souvenirs d'enfance remontent. Ce jeune type, les mains agrippées à la mitrailleuse, "il a forcé la porte invisible. Il parcourt avec des bottes de sept lieues l'antique domaine des Dieux". Il peut nommer les choses, refaire le monde presque, d'un autre point de vue. "Tous les hommes devraient enfiler un jour une combinaison fourrée et faire un stage de dix minutes à vingt-quatre mille pieds. C'est d'un oeil différent qu'ils verraient la terre, l'agitation microscopique dont elle est le théâtre. De leur séjour en altitude, ils rapporteraient le léger décalage, la réticence à quoi se ramène, pour l'essentiel, la sagesse".

C'est vers la même époque que Dyson, le physicien, qui aimait rien tant que monter sur un arbre un livre entre les mains, s'interrogeait sur les temps proches où nous pourrions, précisément, en prenant un peu plus de hauteur sur le monde, nous rapprocher d'un sentiment "d'unité cosmique". Dyson fut sollicité par la base de Wyton pour trouver une solution aux pertes humaines effarantes dans ces bombardiers, en l'air. Pour lui, la trappe d'évacuation était trop étroite : d'un pouce. Un pouce manquant, et des milliers de jeunes types "brûlés vifs dans leur appareil transformé en torche". Après quoi, Dyson s'en va rejoindre les équipes de Fort Alamos, au Nouveau-Mexique, "pour libérer les forces infernales dans le noyau de l'atome". Disturbing the Universe. Le cauchemar l'emporta sur la poésie.

L'escadrille passe la côté hollandaise. Elle approche. Bientôt, on va commencer à écraser les usines d'armement allemandes sous les bombes. Mais, en dessous, la DCA commence à canarder. Surtout, les bombardiers sont pris en chasse par l'aviation nazie. Un premier bombardier, positionné plus bas dans la formation, tombe. Aucun des types avec lesquels on avait, la veille, passé la soirée, n'a évacué. On se tait. "Lorsque, à l'automne 1943, la 8ème armée se rendit à Schweinfurt, où l'on fabriquait des roulements à billes, puis à Augsbourg, sur les usines Messerschmitt, un pilote rescapé déclara qu'il aurait pu se passer de navigateur. A l'aller comme au retour, la route était jalonnée par les bûchers funéraires des avions abattus qui brûlaient au sol".

Aux commandes de sa mitrailleuse 12,7 mm, Smith commence à riposter aux attaques qui montent vers l'appareil. Figé par le froid, emporté par le recul de la mitrailleuse, il a oublié ses cours de tir, tarde à ajuster les trajectoires, manque ses cibles - la meute des Focke-Wulf qui se rapproche, en esquivant les traceuses qui passent de part et d'autre. Ça crépite de partout. D'embardées en virages, les chasseurs reviennent bientôt dans l'axe. "Depuis que les chasseurs ont glissé sous ses yeux, il s'est écoulé quelques secondes, à peine, mais si chargées d'événements, de sentiments contraires, enchevêtrés, violents qu'elles équilibreraient, au trébuchet du temps, des jours, des mois de la durée où baignent, beaucoup plus bas, la terre simplifiée, sommaire, l'étain figé de la mer, les vieilles années". Après ? "Le pilote du chasseur est une vieille main. Il a dix ans de plus que la bande d'adolescents affolés qui cherchent désespérément à le voir et n'y arrivent pas".

Il arrive qu'en s'arrêtant au beau milieu d'une plaine de l'Indiana traversée de quelques nuages perdus, face à une brise légère, apercevant soudain le léger tremblement de la main d'un vieillard qui en est réchappé, ou achevant le livre de Bergounioux au creux d'une nuit silencieuse comme une tombe, il arrive qu'on se sente soudain saisi de cette pulvérisation en masse de la jeunesse américaine - des gars du Wyoming, du Dakota ou d'Alabama -, au-dessus de l'Europe. C'est comme un frisson glacial, presque un éclair douloureux qui traverse le torse. Mais ça ne dure pas très longtemps, en fait. Après tout, les morts sont les morts, non ?

07/09/2007

Persoweb (3) Découvertes

Un dernier mot à ce sujet pour partager avec vous quelques découvertes parmi les blogs nominés au concours, blogs que vous pouvez retrouver en cliquant sur le logo Persoweb ci-joint. 600 blogs ont été passés en revue par le jury et 30 ont été retenus, soit 5 blogs sélectionnés dans chacune des 6 catégories, chaque catégorie devant au final élire un blog au terme du scrutin qui prend fin aujourd'hui.

Dans la catégorie "Expression artistique", pas de réel coup de coeur, mais un intérêt égal pour trois sites très différents - Les minutes célibataires, Grenier à grain et Everland - qui, chacun dans leur style respectif, portent une véritable identité graphique ou créative.

Côté "Loisirs et voyages", il y a un vrai plaisir à se plonger dans A Berlin et Sous nos pieds avec une prime, respectivement, à l'esthétique élégante de Berlin et au concept poétique des Pieds.

Dans la catégorie "Actualité - journalisme", un coup de coeur pour Le Blog du Chi - sans doute mon préféré sur l'ensemble de la sélection - qui associe liberté de ton et humour décapant, ainsi qu'un faible pour La tête dans le poste, sorte d'Arrêt sur image de la blogosphère.

La catégorie "Citoyenneté et vie quotidienne" fait s'arrêter sur Le rose et le noir, un regard à la fois lucide et entraînant, et surtout sur Le blog de Firmin, une aventure singulière qui n'est pas sans allure, peut-être l'une des plus émouvantes de l'ensemble.

Côté "IT/Techno", un faible pour le grain de folie de Narcissique Blog et pour le cachet trendy en diable et très professionnel de TrendsNow. Chez les "Juniors", un coup de coeur pour Tokyo Megaplex ; un faible aussi pour le côté terriblement ado de Mallo bmpg.

That's it. Avec un peu de temps en plus, il serait intéressant, de l'avis de plusieurs internautes, d'élargir la revue à l'ensemble des blogs présents au concours. Comme dirait Pirsig dans son Traité du zen et de l'entretien des motocyclettes (j'avais affiché la citation en khâgne, le moins qu'on puisse dire est qu'elle avait laissé tout le monde perplexe), "ce sont les meilleurs élèves qui échouent aux examens".