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23/10/2007

Un tour du monde express (8) Retour à Columbus par San Francisco et Washington. Cultiver notre jardin ?

Avant l'escale de Washington, où je serai amené à repasser bientôt, il faut passer par San Francisco, nouvelle porte des Etats-Unis - plus libérale en tout cas que ne l'est Chicago. Les services de l'immigration du Midwest, tout comme les services consulaires de l'ambassade des Etats-Unis à Paris d'ailleurs, ne brillent pas particulièrement en effet par leur ouverture d'esprit en matière de moeurs : pour eux, la norme américaine faisant simultanément référence et foi, hors du mariage, point de salut. Je suis en outre ici dans une situation semi-résidentielle entrecoupée de nombreux voyages qui suscite la curiosité et, une fois n'est pas coutume, la bienveillance de l'officier afro-américain qui s'occupe de mon cas.

Le même officier a auparavant, dans une salle à part, cuisiné et sans doute repoussé une armée de jeunes chinois qui tentaient d'immigrer. Ici aussi, vis-à-vis il est vrai davantage du Mexique que de la Chine (pour la Chine, ce sont plutôt les capitaux qui inquiètent), l'immigration, avec 700 000 nouveaux arrivants chaque année, est un sujet sensible, qui divise le camp républicain lui-même autour d'arguments classiques : les besoins de l'économie et les enjeux de l'identité. Non sans visée politique pour les plus avisés d'entre eux - c'est du moins ce qu'a voulu faire Bush, avec Rove. Une stratégie conservatrice dans l'air du temps - voyez Sarkozy chez nous avec la communauté issue de l'immigration maghrébine -, qui n'est d'ailleurs pas sans vertu tant il faut créer des modèles au sommet pour susciter du mouvement, et de la promotion, à la base.

A Columbus, capitale, au centre du pays, des fonctions administratives, universitaires - la plus grosse université américaine y a établi son siège - et des affaires à travers les sièges sociaux des grandes compagnies de la finance et des assurances, la vie semble à nouveau paisible, à l'abri des tumultes du monde. Le temps oscille entre une avalanche de soleil d'automne et une cascade de puissants orages. L'automne, ici, est d'une beauté saisissante. C'est comme si l'été finissait pour de bon dans un incendie visuel de grandes flammes orangées, tirant tantôt sur le rouge et tantôt sur le rose, qui embrasait tout, les arbres et les taillis, les forêts et les allées, les parcs et les jardins.

Parfois pourtant, un crépuscule blafard vient draper tout cela d'une atmosphère vaguement inquiétante de fin du monde. Prise en étau qu'elle est entre les grands froids de la pointe Nord et les chaleurs écrasantes qui remontent du grand Sud, la capitale de l'Ohio semble le point névralgique de l'affolement contemporain du climat. A la fin octobre, il fait ainsi couramment près de 70° Fahrenheit (plus de 20° Celsius) ici - une température douce qui favorise la récupération des contrées au climat chaud et humide traversées au cours de ce périple de 45 000 km.

Un "Welcome home" malicieux, du côté d'Hoolridge, salue notre retour au-dessus du jardin - un jardin qui semble, du coup, en pleine croissance automnale. De lectures de jeunesse - je reviens à la préface d'Aden Arabie et à Tristes tropiques -, j'avais retenu la vanité des voyages : il suffisait peut-être de lectures bien choisies et d'un peu d'empathie pour décrypter le monde et notre condition. Et puis la prétention des voyageurs qui se mettaient si peu, sinon en danger, du moins en cause, m'agaçait - voyez ce qu'il en est des réseaux diplomatiques et autres ghettos d'expatriés sous toutes les latitudes un peu exotiques : les antipodes absolus d'une altérité que l'on trouve au contraire, avec un peu d'attention et le sens de l'écart, si aisément à côté de soi (serait-ce là une des clés du succès rencontré par le roman de Muriel Barbery ?).

C'est sous un autre angle pourtant que je regarde aujourd'hui le jardin, tout de pelouse avec une poignée d'arbustes et quelques fleurs, autour de la maison. J'ai pris depuis lors un plaisir qui s'affirme aux voyages. Mais je découvre soudain en quoi le jardin nous civilise, combien les soins qu'il faut mettre à faire pousser et à protéger ce que nous y plantons nous entraînent à l'attention autant qu'à la patience, au travail comme à la méditation. Ce n'est pas tant, comme le suggère Voltaire, de s'occuper de ses affaires dont il s'agit ici, que de sentir, au contraire, combien cette occupation-là, ne serait-ce que quelques minutes par jour, nous relie au monde du vivant comme à la société des hommes. Avec plus de profondeur, à l'occasion, en traversant le jardin avec soin qu'en parcourant le monde en tous sens.

17/12/2006

What France needs (un déjeuner de gauchistes au Press Club)

Décidément, pour les Britanniques, la France n'a pas son pareil pour inventer des mots intraduisibles : après "ultra libéralisme", voici le nouveau venu, le "déclinisme" et ses "déclinologues" associés que Jean-Pierre Raffarin, on s'en souvient, avait, bien en vain, tenté de discréditer par sa "positive attitude" (grotesque de la politique, et de la communication, lorsqu'elles ne sont pas assises sur un projet).

Chef du bureau de The Economist à Paris, Sophie Pedder précise d'entrée de jeu que ce n'est pas elle qui a placardé Margaret Thatcher sur le drapeau tricolore de la couverture de son magazine, début novembre, sur le sujet. Mais elle n'en pense pas moins. Pour elle, la situation de la France des années 2006 s'apparente à celle qu'a connu la Grande-Bretagne de la fin des années 70 : un pays bloqué, verrouillé, structurellement incapable de se réformer. Dérapage des finances publiques, niveau critique de l'endettement, un chômage de masse (10% environ, mais 20% des plus jeunes) et un marché du travail profondément clivé entre insiders et outsiders, une élite bien peu représentative de la diversité du pays, des banlieues qui explosent : la faillite du "président le plus impopulaire" de la Ve République est sans appel.

La France n'est pourtant pas sans atouts. Une population active parmi les plus productives au monde (on y travaille environ 1500 heures par an contre 1800 aux Etats-Unis, mais la productivité horaire y est très performante), de grands groupes florissants, habiles à saisir les opportunités de la mondialisation, une démographie plus dynamique que ses voisins, des décideurs publics de qualité, des grandes écoles qui occupent un rang honorable sur le marché international de la formation de haut niveau, bref, la France est un pays de contradictions, bloqué par ses contradictions. Seuls les petits pays homogènes (irlande, Pays-Bas, Danemark...) seraient réformables ? Mais qu'ont fait l'Espagne et le Canada avec leur économie et leurs finances publiques ? s'interroge The Economist, qui conclut d'un trait : "It's a matter of leadership". En renvoyant à la prochaine présidentielle. Une élection qui, entre le positionnement ambigu de Ségolène Royal et l'interventionnisme bien peu "libéral" de Nicolas Sarkozy, laisse pourtant Sophie Pedder bien perplexe.

Christine Fontanet, qui fut en charge de la communication d'Alain Juppé lorsque celui-ci tenta de réformer les retraites (un déjeuner de gauchistes, en somme) rappelle que les réformes entreprises au Royaume Uni dans les années 80 n'ont été rendues possibles que par une communication en profondeur, pendant deux ans, à travers tout un réseau de comités locaux avant de lancer les réformes elles-mêmes. Comme disent les spécialistes d'IECI, un cabinet de vieux routiers malins, "c'est la démarche qui construit l'objectif". Chez nous, ça se passe encore un peu trop à la télé et pas assez sur le terrain pour créer une réelle dynamique réformatrice. Rocard parti depuis belle lurette, DSK balayé, Sarko irrecevable, Bayrou improbable - bref, la voie royale vers l'aventure. Je reste pourtant persuadé que Ségolène peut déverrouiller le système, contre son camp.