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07/01/2008

Vers San Francisco (1) Territoires de l'entropie

Au-dessus des Grandes Plaines, c’est comme un désert de sel argenté, échancré par endroits des entailles brunes que creuse la végétation au bord des cours d’eau. Ici ou là, cela devient un lacis d’un noir profond qui se perd vers le sud. Sur des parcelles au carré, on voit des striures comme des lignes topographiques apparentes.

Parfois, ce blanc argenté que produit la conjonction de la neige et du soleil saisit tout l’espace. Ailleurs, le blanc et le noir se mêlent en un granit marbré qui finit par se dissoudre dans la terre là où elle a résisté au froid.

Sous l’uniformité des grandes droites qui barrent le paysage en tous sens et quadrillent la moindre parcelle de terre, sous cette uniformité, vue de loin, apparente, c’est une diversité infinie qui domine et qui oppose à la rigueur de la classification la variété de ses formes.

Triomphe ici de l’entropie, finalement masqué par un océan de nuages qui préserve, dans la brume, l’illusion d’un ordonnancement possible.

Plus au sud, au-delà d’une grande bande végétale aux allures de toundra qui prend toute la région en écharpe, on dirait un océan aveuglant et magnifique (que traverse soudain, plus bas, à une vitesse foudroyante, un appareil de l’US Air Force). C’est un mirage, mais qui paraît si vrai qu’on ne sait plus ce qui l’emporte du réel et de son double.

Les nuages, au début, c’est une large étendue de gros flocons serrés les uns contre les autres comme en un immense papier bulle opaque. Puis de grandes masses d’eau gonflent et grimpent, faisant sous l’appareil un relief défoncé et menaçant, comme des murs de vagues aux crêtes tourmentées qui viendraient de loin, figées dans un moment de suspension juste avant de s’abattre dans un bouillon d’écume qui se dissipent dans un brouillard irradiant.

Au-dessus de l’Utah, la civilisation ne cherche plus à sauver les apparences. Les cours d’eau s’enfoncent en de profonds ravins, abrupts et noirs. De grands cirques géologiques s’affaissent, submergés par des nappes de plis. On dirait qu’il n’y a personne là-dessous, et pas davantage dans les montagnes déchirées qui se dressent devant, vers l’Ouest.

Alors, les vents dominants s’inversent et secouent l’appareil en tous sens. Ici se signale la frontière physique d'une terre hostile qui semble vouloir happer, avec la neige, les nuages et le vent, ceux qui s’y aventureraient.

Après, c’est une sorte de no man's land montagneux brun et froid, entrecoupé parfois de longues transversales dont on se demande ce qu’elles peuvent bien relier.

Rien - un désert.

24/12/2007

Julien Gracq est mort (1) Soudain, un tressaillement

Quand je suis parti en Amérique, il y avait déjà eu la disparition de Jean-François Deniau - nous aurions pu travailler ensemble - de l'Abbé Pierre - nous avions déjeuné face à face, en silence, dans une étrange retraite - et de Ryszard Kapuscinski - l'auteur d'"Ebène" que glissèrent dans mes bagages des mains bienveillantes avant le premier voyage que je fis en Afrique, et qui m'émerveilla tant.

Souvent, avec le décès des figures que j'estime, comme avec le nom des acteurs et le titre des chansons qui me plaisent, je me perds. Je ne sais plus très bien où nous en sommes, pas même sûr qu'on soit vraiment mort. Celui-là me semble encore vivant quand il est enterré depuis vingt ans et cet autre, je découvre soudain qu'il est increvable. Mais je sais bien que, de l'information glanée au hasard sur une vie qui persiste dans un magazine people, ou du morceau d'éternité qu'a inscrit l'une de ses oeuvres en moi, c'est le second qui l'emporte et qui me rend, dans une certaine mesure, les contingences de la biographie relativement indifférentes.

J'apprends ce week-end, par un e-mail reçu tard dans la nuit, que Gracq est mort, à 97 ans.

Je tressaille.

J'étais trop jeune, je crois, quand je me suis plongé à la hussarde dans "La littérature à l'estomac" comme dans "En lisant, en écrivant". Ce furent des lectures ratées : on pressent bien qu'il y a quelque chose là-dedans qui, au milieu du bruit ambiant, est digne de notre attention. Mais c'est en vain, et c'est comme ça. Bien plus tard, après avoir repris mon coupe-papier avec révérence pour "Les eaux étroites", j'eus la même déception pour ce petit ouvrage auquel je reprochais, au fond, de ne pas savoir où il m'emmenait à travers cette excursion sur l'Evre.

Pourtant, là encore, je m'étais laissé conseiller l'ouvrage avant de partir et le livre commençait comme ceci : "Pourquoi le sentiment s'est-il ancré en moi de bonne heure que, si le voyage seul - le voyage sans idée de retour - ouvre pour nous les portes et peut changer vraiment notre vie, un sortilège plus caché, qui s'apparente au maniement de la baguette de sourcier, se lie à la promenade entre toutes préférées, à l'excursion sans aventure et sans imprévu qui nous ramène en quelques heures à noter point d'attache, à la clôture de la maison familière ?".

Bref, rien de vraiment décisif dans ces lectures-là.

23/12/2007

Washington DC (2) Portrait d'un centre du monde en aimable bourgade de province

On se rend à Washington DC dans un centre du pouvoir, on y découvrirait presque, dans les méandres du Potomac, une bonne ville de province, assez tranquille, en dépit du fourmillement institutionnel qui y prévaut. Ce serait un peu comme Paris à Orléans... Comme on est loin de l'agitation newyorkaise, de la démesure de L.A., ou même, de la puissance orgueilleuse de Chicago.

Entre les entretiens que j'eus à y mener (dont je rends compte ici), sur le chemin entre deux rendez-vous, ou bien le soir entre deux compte rendus, j'ai saisi ce que j'ai pu de la ville entre mon QG, au Sofitel, sur Lafayette Square, juste à côté de la Maison Blanche, le centre de la ville et Georgetown.

C'est là, entre la présidence, que l'on aperçoit avec peine depuis l'Ellipse, et Capitol Hill e l'autre côté, que se concentre l'essentiel des pouvoirs institutionnels, reliés entre eux par Pennsylvania Avenue, le boulevard des lobbies. Autant le Congrès respire sur les hauteurs qui dominent de larges étendues de parcs, de places et d'avenues bien dégagées (la National Gallery of Art lui fait face de l'autre côté des Botanic Gardens), autant la Maison Blanche paraît à peine surgir de l'amas des bâtiments administratifs qui l'entourent.

Du côté de 17th Street, cela prend même l'allure d'une pièce montée baroque de colonnades et de terrasses empilées les unes sur les autres et, si c'est finalement avec grâce, c'est vraiment de justesse. Le pouvoir et l'influence structurent la ville ; ils la façonnent aussi au long de ces larges artères sobres et grises bordées de cabinets en tous genres, qui ne sont que rarement dérangées par les mendiants qui s'entassent contre le froid, un froid sec à cette saison encore ensoleillée, à la sortie du métro, à deux pas de la Bank of America.

Vers le sud ouest, en traversant le Potomac, on entre en Virgine : c'est un autre monde qui, une fois qu'on a passé le Pentagone, commence à plonger vers le Sud. Mais Alexandria, où quelques spin doctors de renom ont établi leur QG, est une banlieue assez terne, entre ses rues proprettes et ses condos ordinaires.

C'est une tout autre impression qui domine vers Georgetown, en remontant au nord ouest vers l'ambassade de France, une grande batisse assez médiocre aux allures de cité universitaire. Un peu plus loin Georgetown elle-même - la ville originelle - est au contraire un bourg résidentiel élégant et cossu qui s'incruste dans les bois. En plus prospères, les maisons y rappellent les maisons victoriennes de Washington Circle, un quartier à la fois plus proche du centre et plus multiculturel, entre la George Washington University et le Kennedy Center.

Quittant la ville de nuit à l'approche de Noël, c'est un écrin féérique qu'on laisse au-dessous de soi, couvert d'une passementerie de fines lueurs qui, aux intersections ou dans les bourgs, s'unisssent en d'étincelantes émeraudes. Etrange impression de quitter un lieu de villégiature dans lequel il faudrait d'ailleurs, me souffle-t-on, revenir au printemps. New York, Los Angeles, San Francisco font face à la mer avec superbe, et voyez aussi le mur que fait Chicago au bord du lac Michigan. Rien de tel ici : Washington se replie, se protège, se cache presque. Ce n'est pas qu'elle est un lieu vide, c'est qu'elle est un non-lieu qui échappe à sa propre représentation. Los Angeles excède son mythe, Washington le trompe.

Un centre du monde, cette improbable bourgade de province ?

28/08/2007

On ne joue pas perso sur le web

Juste un mot pour vous informer que ce blog vient d'être nominé par le jury Le Soir / RTL pour le concours "Persoweb" qui, pour la deuxième année consécutive, récompense une sélection de blogs personnels. Pour découvrir quelques blogs et participer au vote organisé sur le site Persoweb du 27 août au 7 septembre, vous pouvez cliquer sur le logo ci-pour. Ou ci-contre. Comme vous le sentez, en fait.

11/04/2007

Un homme à la mer (le holisme est-il soluble dans la blogosphère ?)

Ainsi que je l'ai laissé entendre ici ou là précédemment, il devenait difficile de continuer à mener de front sur un même support des contenus de nature très hétérogène, sur le fond comme sur la forme, en particulier des réflexions ouvertes et des récits plus personnels, et cela conjointement avec le développement de notes à vocation plus professionnelle.

Ce blog a donc démarré une phase de réorganisation, qui s'étalera probablement jusqu'à la fin avril. Cela ne devrait pas affecter la poursuite de la publication des notes - tout au plus la ralentir un peu comme c'est le cas depuis quelques jours, mais apportera à leur agencement quelques modifications substantielles.

L'objectif de ces trois ou quatre derniers mois a été de créer, puis de développer un espace de communication propre à la faveur d'une période de transition privilégiée. Cet objectif atteint (pm. avec en cumul, depuis la création de ce blog fin 2006, environ 6000 visites dont 45% de visiteurs uniques, et près de 20000 pages consultées), il est à présent d'assurer une plus grande cohérence interne et une meilleure lisibilité des contenus.

A ce stade, la réflexion n'a pas encore pleinement abouti. L'architecture d'ensemble pourrait toutefois se clarifier autour d'une redistribution des contenus entre trois blogs distincts, chacun avec sa charte éditoriale et graphique propre (dans les limites, pour ce dernier point, des fonctionnalités que propose le système développé par Blogspirit).

L'un, "New world, new deal" (American Notebook), devrait conserver son statut de carnet de bord, se caractérisant par une curiosité et une réflexion ouverte sur les changements en cours et la recherche de réponses neuves à cette "nouvelle donne". Il continuera, dans cette perspective, à s'intéresser en particulier aux questions politiques ou de société, en faisant un sort à des lectures, essais ou romans, qui me paraîtront apporter un éclairage utile.

Je n'ai pas encore statué sur le fait de savoir si les rubriques dédiées à la communication ou au management y seront maintenues. Si c'est le cas, ce sera alors sous un angle personnel s'autorisant une plus grande liberté de ton que cela n'est généralement d'usage dans le monde professionnel . Il aura, comme les deux autres blogs, chacun sous un angle propre, l'expérience américaine en cours pour fil conducteur.

Un deuxième blog devrait réunir les récits de nature plus personnelle, sur un mode résolument plus libre - ce principe s'appliquant aussi bien aux sujets retenus qu'aux formes expérimentées. Ces récits, qui seront agencés par thèmes et s'inspireront notamment de divers épisodes biographiques, seront regroupés sous des intitulés généralement plus exotiques que ce ne sera le cas sur "New world, new deal".

Si ce dernier se définit comme un carnet de bord essentiellement axé sur les contenus, le second blog s'apparentera alors à un atelier plus personnel, volontiers plus intimiste, plus attentif aux questions de forme aussi - une sorte de "plaisir du texte" si l'on veut, qui représente sans doute la part la plus ludique et la plus créative de l'ensemble.

Un troisième blog enfin, en cours de finalisation, aura vocation, quant à lui, à servir de support à une activité de consulting en réunissant l'essentiel des contributions consacrées à la communication et au management - j'entends ici, pour l'essentiel, sous ce terme générique les questions de ressources humaines abordées non sous l'angle de l'administration des politiques sociales, mais sous celui du pilotage humain des organisations.

Il s'agira ici sur le fond à la fois de capitaliser sur l'expérience acquise ces douze dernières années dans ces domaines, tout en poursuivant une réflexion ouverte sur les évolutions qui me sembleront riches de nouveaux développements pour l'entreprise, notamment en matière de leadership, de conduite du changement et de gestion des crises. Quant à la forme, je m'y abstiendrai naturellement de notations trop personnelles (les notes de management qui y seront reclassées seront ajustées en ce sens) tout en m'efforçant d'y préserver une approche singulière associant la réflexion et l'action, aspects opérationnels et plus exploratoires.

Je n'exclus pas, chemin faisant, que l'un ou l'autre de ces trois blogs finisse par dessiner la base d'une publication distincte, qui pourrait ainsi prendre la forme, selon le cas, d'un carnet de voyage, d'un récit ou même d'un manifeste. Nous verrons bien à l'usage.

Voilà, quoi qu'il en soit, pour les grandes lignes d'une réorganisation qui n'aura donc pas pour effet de supprimer des contenus en cours de route, mais de les organiser différemment, en les développant chacun selon leur logique et leur finalité propres : faire réfléchir, divertir, proposer.

Pour avoir commencé de l'expérimenter concrètement, il me faut ici préciser, sur un plan plus technique, que cette réorganisation s'accompagnera de modifications involontaires liées à l'architecture de la plateforme sur laquelle, après avoir envisagé différentes hypothèses, j'ai choisi, pour l'heure, de continuer à développer cet ensemble de blogs (sans écarter pour la suite une migration, au moins partielle, vers une autre plateforme dans une logique éditoriale).

Il s'agira, pour l'essentiel, de la suppression de certains commentaires, que je ne peux malheureusement pas importer sur un autre site en même temps que les notes, et de la reprise antidatée d'articles qui ne peuvent en effet, avec le transfert en cours, conserver leurs dates de publication initiale. Quant aux éventuelles "redites", elles devraient être évitées, sauf dans le cas où il s'agira d'aborder un même sujet à travers des angles différents d'un blog l'autre - ce qui, en soi, peut d'ailleurs constituer un exercice de style intéressant.

Il me vient, pour conclure cet avis de travaux, l'idée que si cet ensemble de contenus s'apparentait à une famille, alors "Life is beautiful" serait, comme disent les spécialistes de l'analyse transactionnelle, le site "enfant libre" dont le terrain de prédilection serait le jeu et l'expérimentation, "New world, new deal" le site "adulte" (bien que distinct des contenus généralement associés à ce qualificatif...) dédié à une activité de réflexion, si j'ose dire, équilibrée, et "Oliver & Compagnie" le site "parent", plus orienté, quant à lui, vers la norme et l'action.

On pourrait également y voir trois stades de développement - enfant, adolescent, adulte - compris ici non comme stades de conscience distincts et hiérarchisés, mais comme des sources d'inspiration complémentaires, de même statut, entre lesquelles il me serait ainsi possible de naviguer dans une approche "holistique", pour reprendre l'évocation du courant de pensée sur lequel s'appuie Maurice Lévy dans son récent ouvrage sur la communication, organisant la nécessité de la cohérence sans s'interdire les ressources d'une approche plurielle (de fait, l'approche holistique se définit comme un "processus créatif fluide" (...) aboutissant à ce que le tout représente plus que la simple somme des parties qui le constituent).

Une façon comme une autre, malgré tout, de concilier travail et plaisir, efficacité et exploration, devoir et liberté. Une façon aussi de conserver, au-delà de la séparation des contenus et des approches, une forme d'unité dans la diversité qui a constitué, à mes yeux, l'un des aspects le plus difficile mais aussi le plus intéressant de cette expérience.

Bref, encore quelques jours, et l'on devrait y voir plus clair... N'hésitez pas, de votre côté, à me faire part de vos réflexions sur ce nouvel agencement : on apprend largement "en marchant" sur ces sujets, et je suis sûr que vos remarques m'aideront à mieux finaliser tout cela.

Ceci encore : dans cette période singulière, je remercie tous ceux d'entre vous qui m'ont apporté leur soutien, leurs encouragements et leurs idées dans cette nouvelle aventure éditoriale, sous la forme soit de commentaires, soit d'e-mails, soit encore de propos directs. Si j'ai fini par ne pas répondre systématiquement à ceux qui ont animé le blog de leurs commentaires, c'est qu'il m'a semblé, à un moment donné, que ceux-ci commençaient à vivre de leur propre vie - impression, soit dit en passant, tout à fait réjouissante. J'ajoute, mais est-il besoin de le préciser, que j'ai toujours lu ces commentaires avec beaucoup d'attention.

J'essaierai par la suite de me montrer à la hauteur du plaisir ou de l'intérêt qui a parfois été tiré de ce drôle de carnet de bord, dont l'étymologie renvoie aux carnets de route des marins et dont la forme du blog s'est inventée, il y a une dizaine d'années, outre-Atlantique. Un homme à la mer ? Ah, elle commence bien cette America Cup.