24/12/2007
Julien Gracq est mort (1) Soudain, un tressaillement
Quand je suis parti en Amérique, il y avait déjà eu la disparition de Jean-François Deniau - nous aurions pu travailler ensemble - de l'Abbé Pierre - nous avions déjeuné face à face, en silence, dans une étrange retraite - et de Ryszard Kapuscinski - l'auteur d'"Ebène" que glissèrent dans mes bagages des mains bienveillantes avant le premier voyage que je fis en Afrique, et qui m'émerveilla tant.
Souvent, avec le décès des figures que j'estime, comme avec le nom des acteurs et le titre des chansons qui me plaisent, je me perds. Je ne sais plus très bien où nous en sommes, pas même sûr qu'on soit vraiment mort. Celui-là me semble encore vivant quand il est enterré depuis vingt ans et cet autre, je découvre soudain qu'il est increvable. Mais je sais bien que, de l'information glanée au hasard sur une vie qui persiste dans un magazine people, ou du morceau d'éternité qu'a inscrit l'une de ses oeuvres en moi, c'est le second qui l'emporte et qui me rend, dans une certaine mesure, les contingences de la biographie relativement indifférentes.
J'apprends ce week-end, par un e-mail reçu tard dans la nuit, que Gracq est mort, à 97 ans.
Je tressaille.
J'étais trop jeune, je crois, quand je me suis plongé à la hussarde dans "La littérature à l'estomac" comme dans "En lisant, en écrivant". Ce furent des lectures ratées : on pressent bien qu'il y a quelque chose là-dedans qui, au milieu du bruit ambiant, est digne de notre attention. Mais c'est en vain, et c'est comme ça. Bien plus tard, après avoir repris mon coupe-papier avec révérence pour "Les eaux étroites", j'eus la même déception pour ce petit ouvrage auquel je reprochais, au fond, de ne pas savoir où il m'emmenait à travers cette excursion sur l'Evre.
Pourtant, là encore, je m'étais laissé conseiller l'ouvrage avant de partir et le livre commençait comme ceci : "Pourquoi le sentiment s'est-il ancré en moi de bonne heure que, si le voyage seul - le voyage sans idée de retour - ouvre pour nous les portes et peut changer vraiment notre vie, un sortilège plus caché, qui s'apparente au maniement de la baguette de sourcier, se lie à la promenade entre toutes préférées, à l'excursion sans aventure et sans imprévu qui nous ramène en quelques heures à noter point d'attache, à la clôture de la maison familière ?".
Bref, rien de vraiment décisif dans ces lectures-là.
21:40 Publié dans Qu'est-ce que la littérature ? | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature, Julien Gracq, blog, Ryszard Kapuscinski, Alban Bensa, EHESS