10/09/2008
Un été américain (3) Labor Day autour de Central Park
Pour la fête du travail, qui tombe d'ailleurs le même jour aux Etats-Unis et au Canada et fait, dans les deux cas, un grand week-end qui marque traditionnellement la fin de l'été, commencer la journée dans l'appartement (temporaire) de Chelsea par un petit déjeuner que, pour une fois, l'on n'ira pas prendre au Pain quotidien (celui de la 17ème ou de Washington Square et, bientôt, de la 90ème, sont tout à fait bien) mais à la maison, autour de quelques viennoiseries ramenées de chez Bruno, le pâtissier d'Union Square.
Puis, travailler.
Vers 13h00, remonter en voiture, une confortable Chrysler de location, la 7ème jusqu'à Broadway. Une fois arrivé, prendre en passant au Café qui fait l'angle avec la 86ème de quoi alimenter un pique-nique sur le pousse : salade de thon, sandwiches au saumon et aux légumes, eaux minérales, que l'on savourera, un peu au-delà de la synagogue - mesurer au passage, d'un quartier l'autre, combien New York est une ville juive, ce qui lui vaut sans doute une bonne partie de sa prospérité et de son intelligence -, au bord de l'allée qui borde la zone naturelle protégée de Central Park Ouest.
Bouquiner, s'assoupir.
Oscillant entre l'ombre des larges allées et le soleil du milieu de l'après-midi, traverser ensuite le parc en contournant le Jacqueline Kennedy Onassis Reservoir jusqu'à l'Upper East Side entre les joggeurs, les tennismen et les badauds. Là, longer le musée de l'illustration - on peut aussi prendre un rafraîchissement en passant dans le jardin de cette sompteuse demeure, miraculeusement inconnue des touristes - et descendre la 5ème jusqu'au Guggenheim pour y jeter un oeil sur l'exposition Louise Bourgeois.
Là, déambuler.
Se souvenir de l'exposition photographique consacrée à l'artiste, il y a quelques mois, au dernier étage de la Tate Modern, et ne pas se retrouver, ici, dans cette accumulation de trouvailles désarticulées. Se perdre dans les sculptures vaguement ethniques, les variations trans-genres, les cellules obsessionnelles, etc. Réaliser, chemin faisant, sur l'élégante rampe continue dessinée par Wright, qu'une partie du goût populaire pour l'impressionnisme vient sans doute d'une sorte de refus non dit de l'art contemporain, comme s'il en était en quelque sorte la dernière buttte-témoin, l'ultime rempart qu'il faudrait célébrer infiniment du Luxembourg au Met et jusqu'à Columbus, contre l'ère insupportable de l'incertitude et du désordre.
Sortir, retraverser le parc.
Revenus sur la 88ème, faire un nouveau saut avant l'heure à la maison - une row house de style Queen Ann, début du siècle, avec une façade où alternent briques, pierres et terracotta, un grand escalier surélevé, des pignons plus ou moins excentriques et de larges bow-windows. Y déposer, comme en une coutume au lieu, un début de cave - quelques bouteilles achetées en passant chez Mitchell - ainsi que deux ou trois livres d'art - le catalogue de l'exposition Bourgeois, malgré tout, et surtout un bel album sur Rothko. Y deviser, au milieu du grand salon, avec la propriétaire.
Traîner, encore un peu.
Redescendre jusqu'à la 27ème, faire une pause à Chelsea, avant de repartir dîner sur Soho. Pour la terrasse et deux ou trois plats - dont une Putanesca et du vin sicilien -, se décider pour un italo-cubain, lent mais passable. Flâner un peu vers Sullivan et Prince, repérer au passage quelques adresses prometteuses.
Rentrer, tard.
Au petit matin - presque au milieu de la nuit - filer de nouveau en cab, vitre grande ouverte, à toute allure à travers la ville vers La Guardia pour Toronto.
05:55 Publié dans On the Road | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : New York, Soho, Pain quotidien, Tate Modern, Rothko, art contemporain, Louise Bourgeois
12/08/2008
Un été américain (2) Vous connaissez le Ravinia Festival ? (Week-end a Chicago)
Bien sûr, il y aura toujours, là, se dressant face à l'avion qui s'affaisse au-delà du loop en venant du sud ou de l'est, l'éblouissement de cette cathédrale de pierre que forme la barrière architecturale qui borde Michigan Avenue. Chicago est notre cité américaine favorite. Elle est, elle aussi, une cité monde, comme Los Angeles, s'élevant au gré des migrations successives mais là où celle-là, dépourvue de centre, se dissout dans un espace sans bornes, celle-ci s'enracine dans les terres et vient se ficher au faîte du Midwest, symbole simultanément de puissance et de tolérance à l'image, cette fois, de San Francisco.
Pour une fois, on pourrait délaisser l'avion et traverser tout l'arc nord-est en voiture - dix heures de route, huit ou neuf en poussant après la frontière entre Kalamazoo et Sarnia - en s'engouffrant entre les Grands Lacs, reliant ainsi les confins de l'Algonquin à ceux du Wisconsin par l'Indiana et le Michigan. Pour une fois, à l'opposé des quartiers du Southern side où Barack fit ses classes, et où ça continue de flinguer au milieu des ghettos, l'on peut aussi esquiver la ville par l'ouest en remontant la I-294 vers le Nord.
Là, entre Northbrook et Waukegan, en bordure de la route de Milwaukee, le long du jardin botanique, s'étend, paisible et cossu, le quartier de Highland Park, entre le parc de Ravinia et le lac Michigan. Des villas splendides aux styles éclectiques, du sud profond à la côte normande en passant par le Mexique, s'y enracinent entre les grands arbres de l'Illinois et les plages du Michigan, certaines se lovant même au-dessus du long talus qui surplombe la côte à laquelle elles accèdent par des accès privatifs qui mènent à des recoins quasi déserts au-delà des zones de baignade. L'une d'elle, sur Oakland Drive, juchée juste au bord de la ravine aujourd'hui asséchée qui traverse le quartier, est une ancienne maison coloniale britannique que la famille Pearlman a recyclé en un confortable Bed & breakfast.
Depuis plus d'un siècle maintenant, de l'autre côté de la rue, Ravinia a donné son nom à un festival musical de renommée internationale qui, chaque année, tous les soirs entre juin et août, réunit une foule de plusieurs milliers de personnes, plus de trois mille dans la salle de concert ouverte, plus de dix dans le parc où d'innombrables petits groupes, le plus souvent familiaux, recouvrent la pelouse autour de délicieux pique-niques. Il y a quelques années encore, de richissimes familles y faisaient mettre le couvert par une domesticité abondante aux lueurs de grands chandeliers à côté de familles modestes qui se nourrissaient, elles, de Kentucky fried chicken.
Aujourd'hui encore, on chercherait souvent en vain des familles noires ; elles sont quasi complètement absentes du parc, on n'en voit guère que quelques unes en bordure de la limite nord. Les Afro-Américains font en revanche l'essentiel du personnel de service dans les multiples stands de restauration. C'est comme si, à la société esclavagiste du XIXe, puis à celle, séparée, du XXème siècles, avait succédé une société de service chariant des salaires de misère qui assurent tout juste le nécessaire, derrière des regards souvent lourds de fatigue. On voudrait qu'avec Obama cette page se refermât enfin en ouvrant davantage de perspectives derrière les planches pourries des baraques de bric et de broc.
Ici, on ne se déhanche pas sur Rick Ross ou Alicia Keys, on joue du Malher. En deux ou trois soirs, cela commence par la Symphony of a Thousand par l'orchestre national de Chicago dirigé par James Colon, se poursuit par un hommage aux musiques de film de John Williams (l'auteur des musiques de Star Wars, Jurrassik Park, Superman, Schnider's List... un vrai festival hollywoodien) par Eric Kunzel, cela se paye même le luxe d'une variation gitane, à l'occasion arabisante, inattendue et enchanteresse en plein Midwest, avec des Gipsy King qui ont épuré avec l'âge ce que le succès avait généré de folklore, avant de revenir aux airs fameux des comédies musicales de Broadway, les mélodies de Weill, Rogers & Hammerstein, Gershwin ou Cole Porter dans Threepenny Opera, Oklahoma ou South Pacific.
- La musique, là, en plein milieu de ce festival découvert par hasard, malgré tout, on dirait un miracle.
14:50 Publié dans On the Road | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : voyages, Amérique, musique, festival, Chicago, Barack Obama, racisme
23/02/2008
San Francisco (6) Berkeley-Stanford via Palo Alto (introduction à la mécanique des flux)
Le plus direct pour se rendre à Berkeley, d'Oakland, c'est de prendre l'Eastshore Freeway, la 580, qui remonte tout droit vers le nord. Mais l'on peut aussi, des grandes artères de la côte, se laisser glisser vers l'est en empruntant la route 13. Au-delà d'Ashby Avenue, on s'enfonce dans le Claremont Canyon Regional Reserve, et dans les brumes qui, en fin d'année, prennent soudain possession de cette immense zone forestière. Plus au nord encore, la University of California-Berkeley est bordée par le Charles Lee Tilden Regional Park qui se prolonge, bien au-delà, jusqu'au Wildcat Canyon Park, à hauteur de San Pablo entre la Baie et, plus en amont, la zone des grands réservoirs. Accrochée au flanc de ces collines embrumées, Berkeley émerge peu à peu dans la descente. Il faut d'abord passer la zone des sciences dures (un petit côté "Rivières pourpres") - avant de déboucher sur le parc botanique dont l'entrée s'encaisse dans un large virage. Le campus ? On dirait un parc de montagne plutôt, dans lequel seraient disséminés, ça et là, quelques laboratoires perdus et autres salles abandonnées (on est, à ce moment, il est vrai, en fin d'année). Il faut descendre encore, contourner le stade et approcher du centre pour retrouver un air universitaire plus familier. Au-dessus d'un terrain d'entraînement, un magnifique manoir bâti de pierres claires et coiffé d'un toit marqueté de tuiles rouges et noires, dominé plus haut par un donjon ouvert, surgit des bois qui couvrent le flanc de la colline et surplombe toute la vallée. Plus bas, le campus se fond dans la ville ; de grands bâtiments administratifs alternent avec de vieilles baraques en bois avant de se dissoudre, peu à peu, dans la succession des stores qui saturent University Avenue.
En touchant de nouveau la côte, juste au-dessous de Cesar Chavez East Park, reprendre plein sud la 580, puis la 880. Après la Mac Arthur Freeway, on longe Alameda, puis on passe Melrose, San Leandro et Castro Valley jusqu'à Hayward et Fremont le long d'une autoroute déglinguée, à la fois chargée et fluide. On se laisse descendre en vitesse de croisère, comme calés dans une puissante mécanique des flux. L'Amérique ne se repose jamais. Flots de matières commerciales ici, embarqués sur de gros trucks qui foncent droit devant, flux de matière grise de l'autre côté de la rive. La traversée du fond de la baie par le Dumbarton Bridge, juste avant Newark, à une cinquantaine de miles au sud-est de la ville, est irréelle. Berkeley était immergé dans un parc ; depuis cette route qui file juste au-dessus de l'eau, on dirait les abords de Palo Alto noyés dans un vaste marécage. Au-delà de quelques herbes folles, c'est un monde plat, gris, où un ciel de noirceurs concentrées, presque bleutées, semble plonger sous des eaux mortes. Toute la vue sur la baie est prise dans cette lumière épaisse, plombée qui, plus loin, se fond dans la monochromie d'un mauve souris étonnant, clair et sombre en même temps, traversé de la ligne très estompée du rivage. Un Turner sans lumière. Ou un Rothko des jours sombres.
Au bout de la 84, il faut encore prendre une courte boucle par le sud qui traverse la Bayshore Freeway et passer une banlieue latino délabrée. Puis, c'est Palo Alto. Un bourg tout en longueur et en géométrie, dominé par une tour universitaire en béton le long d'une nouvelle University Avenue. Surprise : c'est ici, dans ce lieu totem de la recherche en communication, que, de la boutique Apple un peu plus bas, je repars avec un I-Phone. Terriblement snob, sans doute, mais grisant, comme toujours quand les symboles entrent en résonnance avec la vie. D'autant plus que - seconde divine surprise -, le déjeuner nous emmène chez Rosso & Bianco, le restaurant de Coppola. La pizzetta Bianca (une petite pizza composée de morceaux de prosciutto, de pommes de terre, de ricotta et d'un peu de romarin sur une pâte très fine) est juste comme il faut, les Malfatti alla Nonna (des gnocchis à la ricotta servis avec une sauce à la crème avec des petits pois et des oignons doux), le tout arrosé d'un verre de vin rouge lui aussi de chez Coppola (qui fait ici une production tout à fait honorable), tout cela fait une bonne cuisine napolitaine. Dans un restaurant qu'entre ses banquettes rouges et ses vieux lustres, ses photos d'époque et son bar sombre, on dirait tout droit sorti du Parrain, un jour de règlements de compte entre amis respectables.
Il reste à se laisser glisser au long de l'allée de palmiers de Palm Drive, majestueuse et presque perdue, comme issue d'un rêve d'un autre temps. La même impression domine lorsque l'on pénètre dans l'immense domaine de Stanford. "Les enfants de Californie seront nos enfants" avait dit Leland Stanford le jour de la mort de son fils. Aujourd'hui, l'université est largement ouverte sur le monde. Elle se classe avec une belle régularité parmi les meilleures universités mondiales, en deuxième position avant Berkeley et juste derrière Harvard (je suis pré-inscrit à un programme exécutif dans chacune de ces deux universités, cela valait bien un détour préalable). Ici, églises et chapelles font face aux bibliothèques, de larges salles s'étirent au long des galeries extérieures qui ferment les cloîtres, les allées tantôt passent sous de grands porches, tantôt s'épanouissent en patios verdoyants. A l'entrée, le jardin des Bourgeois de Calais, au milieu du Memorial Court, rappelle, en matière de grandes causes, ce qu'il faut de détermination à l'heure du plus grand effroi. Pas de savoir sans courage.
En aval de San Jose, qui clôt le passage au sud par l'intérieur, on remonte toute la Silicon Valley par la route 101 en passant Redwood, San Mateo et San Bruno, entre la Baie de San Francisco et le Pacifique, qui délimite les terres plus sauvages de l'ouest. L'obscurité enveloppe peu à peu les paysages, la route et les grosses cylindrées qui coupent la nuit à vive allure vers South San Francisco. Tant de lumière derrière une obscurité si épaisse. On est en plein hiver et l'air est si doux. Et puis ce concentré de civilisation flanqué de toutes parts d'espaces abandonnés et perdus... C'est comme un souvenir de Levi-Strauss : de grandes cités qui brandiraient, en vain, leurs efforts contre les démons de l'entropie. Se pourrait-il que notre monde soit si fragile ? Le ronronnement de la Mustang, rassurant au milieu des repères qui s'estompent, berce notre absorption par la ville, une fois que l'on a passé Bayview District et Diamond Heights, en remontant par Potero vers Chinatown et North Beach.
20:50 Publié dans On the Road | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Etats-Unis, Berkeley, Palo Alto, Stanford, Coppola, cafe Rosso & Bianco
13/02/2008
San Francisco (5) Navigating The Imagination
On accède au Yerna Buena Center for The Arts en traversant les jardins modernes qui dessinent une esplanade étrangement isolée au milieu de South Market, entre une église perdue sur Mission Street et les buildings du Financial District. Autour de la figure du Dalaï Lama, on célèbre dans ce musée alternatif une paix toujours à accomplir ("The Missing Peace") entre les chaussures du Maître et une série de bouteilles d'eau sacrée, sur fond de musique tibétaine...
Plus loin, c'est le Cartoon's Museum et ses vieilles planches où Dracula le dispute à Popeye. La galerie, étriquée, a supplanté le Ansel Adams Center for Photography sans que personne apparemment, chez Galimard, ne s'en avise. La librairie à côté ? Ce sont toujours les mêmes histoires qui oscillent entre la sexualité et la drogue. Elles ne sont aujourd'hui pas plus décalées que provocatrices ; il leur reste pourtant une sorte de poésie irréelle qui aurait résisté à la banalisation de l'époque, quelque chose comme le Grand Meaulnes mis en scène chez les Hippies.
A la sortie, le déjeuner chez Bloomingdale, à la Boulangerie, ne vaut guère mieux. Il y a des jours comme ça - et celui-ci semble impuissant à chasser la masse opaque et grisâtre qui plombe la ville d'une lueur maussade depuis les premières heures du jour.
Mais l'essentiel, ici, se passe au SF Moma où, une fois dépassé la foule qui accourt les jours de pluie, on trouve refuge auprès de quelques oeuvres de haut vol. Un Blanc de Rauschenberg, une femme de De Kooning et surtout un visage scarifié de Dubuffet sont de celles-là. A passer devant un Paysage de Cannes de Beckmann (dont l'expo à Beaubourg, il y a trois ou quatre ans, avait été remarquable), on se dit en revanche que tout artiste, en dépit des nécessités de l'exploration, devrait persister dans son génie propre - et celui du peintre allemand n'a manifestement que peu à voir avec le territoire de Matisse, Cézanne ou Bonnard.
L'art de Cornell Joseph exposé ici sous le thème "Navigating the Imagination" peut, de même, laisser assez perplexe. C'est une sorte d'atelier de miniatures bidouillées qui prennent place dans des espèces de maisons de poupées. Une japonaise d'un certain âge, aussi élégante que concentrée, en arrive même à loucher au-dessus de ce curieux cabinet de curiosités.
On s'amuse davantage dans l'espace réservé à la photographie ("Picturing Modernity") - un art dans lequel le Moma de San Francisco a été pionnier. La gueule de Dick Hickock, le meurtrier qui sévit au Kansas dans les années 60, saisi par Richard Aveden en dit presque aussi long que tous les polars de Chester Himes : une vraie banane, un oeil défoncé, bref, une sorte de Rocker-A-Billy qui aurait dégénéré. Pareil pour celle de JR Butler, le président du syndicat des fermiers du Texas vu par Dorothea Lange : des traits secs, un visace émacié avec de grands yeux, et puis une chemise trop grande pour ce type épais comme un haricot mais que l'on sent énergique et déterminé, un vrai concentré de nerfs.
On retrouve aussi, pour ce qui est des contemporains, Jeff Wall, d'ailleurs exposé il y a peu au Wexner Center de Columbus. "Rear 304 E 25th"... etc, est une oeuvre qui semble emblématique du travail de Wall, mettant par le seul jeu d'un détail décalé le cliché en mouvement : subversion d'une photographie qui, bien que débordée par l'histoire, apparaît pourtant plus proche de la représentation que du mouvement, plus étrange que narrative. Plus loin, les réalisations de Nicholas Nixon autour des "Brown Sisters" - photographiées chaque année au même endroit pendant une trentaine d'années - font une oeuvre à part, qui n'est qu'en apparence inéluctable tant chaque cliché, là encore, ouvre l'espace de toutes les narrations, comme si l'avancement vers la mort matérialisé par les clichés ne parvenait pas à épuiser les récits possibles de ces vies, inscrits dans les interstices qui les séparent.
Tout cela est couronné, au dernier étage, de l'exposition consacrée à Olafur Eliasson, "take your Time". Passé sa passerelle kaléidoscopique qui traverse un cercle au-dessus du vide, on est littéralement happé par ses murs de lumière qui, lorsqu'on s'en approche à l'extrême, donnent la sensation exceptionnelle d'entrer dans une autre dimension. Les couleurs varient peu à peu, puis changent et semblent s'emparer de l'espace au point de supprimer chez le spectateur-acteur jusqu'à la perception de son corps. Qui sait ? - Une figure de la béatitude peut-être, comme on l'aurait décrite entre un acide sévère et une farandole inspirée dans les Sixties, sur Haigh Street.
23:50 Publié dans On the Road, Représentations | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Etats-Unis, arts, peinture, photographie, Olafur Eliasson, Jeff Wall
11/02/2008
San Francisco (4) Big Shore (surf, arnaque et vieilles dentelles)
Chez Oxenrose, sur Grove Street, la coiffure rassemble tout ce que le quartier a de branché. Elle est le prétexte, sous les luminaires en forme de pieuvres mixant les reflets des uns et des autres dans d'infinis jeux de miroir, d'un abandon à un moment de luxe où le show le dispute à la relaxation et la musique cool aux bouffées d'un hard rock qui, depuis le bar de la mezzanine, fait trembler les vieilles pierres du salon. A moins que la rythmique endiablée de Mr Scruff ne finisse par hypnotiser l'ambiance.
Prétexte ? On peut du coup prendre la route n°1, sur Big Shore, les cheveux au vent, vers Monterrey et Carmel en longeant le Pacifique vers le Sud. La circulation, déjà légère en sortant de San Francisco, nous laisse presque seuls quelques dizaines de miles plus loin, passé les stations balnéaires proches du côté de Moss Beach, El Granada, et surtout après Half Moon Bay.
Entre les criques esseulées qui viennent se lover sur le rivage, qu'on aperçoit depuis la route à la faveur d'une courbe marquée ou bien d'une descente abrupte, la côte paraît sauvage. Quelques surfeurs disséminés au large. De hautes herbes perdues, balayées par les vents. C'est comme un monde à part, témoin par le vide de l'aspiration des grandes mégalopoles qui polarisent la côte, adossé à la puissance de l'océan auquel il se rattache bien davantage qu'aux terres.
Passé Santa Cruz, on plonge sur Monterrey Bay. De vastes territoires maraîchers, entretenus par une main-d'oeuvre latino à vil prix, succèdent aux dunes sauvages, verdoyantes au nord, roussies vers le sud. Que Clint en soit le maire n'y change rien : entre son wharf rafistolé en parc à touristes et ses bâtiments insipides, Monterrey est un piège touristique que l'on quitte bien vite pour basculer de l'autre côté, sur Carmel. Là, un bourg immergé sous l'ombre des grands pins californiens mène, en longeant des villas mexicaines d'un autre temps, à une crique lumineuse.
Il est temps de reprendre le chemin du retour. Avec une Mustang sous le pied, sur plus de 400 miles, ne jamais perdre de vue la dernière station, une fois qu'on a repassé Santa Cruz, sur la route de Davenport. Tandis que la nuit tombe, on peut, par miracle, tomber sur une station perdue qui apparaît à peu près en même temps que le fond de la jauge. Mais à Gazos, ce trou perdu, à environ 75 miles au sud de San Fran, on paie le gazoline à prix d'or, tandis que des mémés flingueuses devisent sur la terrasse d'à-côté autour d'un verre de gnôle dans ce coin aussi pourri que glacial. On imagine très bien une winchester à canons sciés scotchée sous la table. Le mieux est de ne pas vérifier et de passer son chemin.
Il finit une heure plus tard, en se laissant dériver sur Junipero Serra et Portola, sur les Twin Peaks. De là, à la tombée de la nuit, la ville apparaît comme un tapis de petites lueurs qui projettent sur les maisons blanchies une pâleur rosée tandis qu'autour d'Union Square, le shopping bat son plein entre les façades imposantes de Macy's et de Tiffany.
Plus tard, on sent bien, sur les hauteurs d'Alamo Square, que le jardin policé bordé d'élégantes villas cache en fait un territoire plus sauvage qui trône au milieu de Western Addition. On se croirait sur une île océanienne, aux senteurs d'eucalyptus si prenantes. Dans cette ville si ouverte sur le monde, c'est peut-être un souvenir du large.
23:50 Publié dans On the Road | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : San Francisco, Etats-Unis, voyages, blog