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11/02/2008

San Francisco (4) Big Shore (surf, arnaque et vieilles dentelles)

Chez Oxenrose, sur Grove Street, la coiffure rassemble tout ce que le quartier a de branché. Elle est le prétexte, sous les luminaires en forme de pieuvres mixant les reflets des uns et des autres dans d'infinis jeux de miroir, d'un abandon à un moment de luxe où le show le dispute à la relaxation et la musique cool aux bouffées d'un hard rock qui, depuis le bar de la mezzanine, fait trembler les vieilles pierres du salon. A moins que la rythmique endiablée de Mr Scruff ne finisse par hypnotiser l'ambiance.

Prétexte ? On peut du coup prendre la route n°1, sur Big Shore, les cheveux au vent, vers Monterrey et Carmel en longeant le Pacifique vers le Sud. La circulation, déjà légère en sortant de San Francisco, nous laisse presque seuls quelques dizaines de miles plus loin, passé les stations balnéaires proches du côté de Moss Beach, El Granada, et surtout après Half Moon Bay.

Entre les criques esseulées qui viennent se lover sur le rivage, qu'on aperçoit depuis la route à la faveur d'une courbe marquée ou bien d'une descente abrupte, la côte paraît sauvage. Quelques surfeurs disséminés au large. De hautes herbes perdues, balayées par les vents. C'est comme un monde à part, témoin par le vide de l'aspiration des grandes mégalopoles qui polarisent la côte, adossé à la puissance de l'océan auquel il se rattache bien davantage qu'aux terres.

Passé Santa Cruz, on plonge sur Monterrey Bay. De vastes territoires maraîchers, entretenus par une main-d'oeuvre latino à vil prix, succèdent aux dunes sauvages, verdoyantes au nord, roussies vers le sud. Que Clint en soit le maire n'y change rien : entre son wharf rafistolé en parc à touristes et ses bâtiments insipides, Monterrey est un piège touristique que l'on quitte bien vite pour basculer de l'autre côté, sur Carmel. Là, un bourg immergé sous l'ombre des grands pins californiens mène, en longeant des villas mexicaines d'un autre temps, à une crique lumineuse.

Il est temps de reprendre le chemin du retour. Avec une Mustang sous le pied, sur plus de 400 miles, ne jamais perdre de vue la dernière station, une fois qu'on a repassé Santa Cruz, sur la route de Davenport. Tandis que la nuit tombe, on peut, par miracle, tomber sur une station perdue qui apparaît à peu près en même temps que le fond de la jauge. Mais à Gazos, ce trou perdu, à environ 75 miles au sud de San Fran, on paie le gazoline à prix d'or, tandis que des mémés flingueuses devisent sur la terrasse d'à-côté autour d'un verre de gnôle dans ce coin aussi pourri que glacial. On imagine très bien une winchester à canons sciés scotchée sous la table. Le mieux est de ne pas vérifier et de passer son chemin.

Il finit une heure plus tard, en se laissant dériver sur Junipero Serra et Portola, sur les Twin Peaks. De là, à la tombée de la nuit, la ville apparaît comme un tapis de petites lueurs qui projettent sur les maisons blanchies une pâleur rosée tandis qu'autour d'Union Square, le shopping bat son plein entre les façades imposantes de Macy's et de Tiffany.

Plus tard, on sent bien, sur les hauteurs d'Alamo Square, que le jardin policé bordé d'élégantes villas cache en fait un territoire plus sauvage qui trône au milieu de Western Addition. On se croirait sur une île océanienne, aux senteurs d'eucalyptus si prenantes. Dans cette ville si ouverte sur le monde, c'est peut-être un souvenir du large.

22/01/2008

San Francisco (2) Mustang Ride

Bullit ou 60 minutes chrono, Steve Mac Queen ou Nicolas Cage ? En Amérique, le mythe finit toujours par porter le mouvement et l’image par l’emporter sur le réel. A l’arrivée, on embarque finalement dans une Ford Mustang, un modèle V8 décapotable bleu nuit, tout neuf, qui n’attendait, que nous, sur le parking d’Oakland Airport, pour faire rugir ses 300 chevaux sur la 880 Nord.

D’Oakland, il suffit en effet de remonter plein nord en prenant toute la zone portuaire, qui encercle la baie, en écharpe avant de s’aligner sur Bay Bridge. Puis de se laisser happer par le flot des voitures, de ce côté-ci vers San Francisco, ou de l’autre côté de la ville, plus à l’ouest, par Golden Gate Bridge, vers Sausalito.

Il y avait les montagnes russes, il y aura les collines californiennes. Toute la puissance du moteur retient la voiture dans les descentes à pic et l’accroche au bitume dans les montées abruptes. Au ralenti, dans les lacets de Nob Hill ou entre les virages en épingle de Lombard Street, le moteur ronronne ; en pleine vitesse, il vrombit tandis que, saisie par l’accélération, la voiture maîtrise alors avec peine un mouvement de chasse par l’arrière. Il arrive même en descendant Cough Street, dans l'alternance des pentes et des replats que, comme dans les films, le monstre finisse par décoller.

Un soleil clair inonde la ville, au beau milieu d’un hiver qui ne semble pas d’ici. Plus tard, depuis la tour du De Young museum, au-dessus du jardin japonais, on voit la ville enveloppée de la belle lumière de la fin d’après-midi à travers de larges vitres voilées. En bas, les figures de fil suspendues, en forme d’arbres symétriques ou d’amphores inversées, de Ruth Asawa prolongent la magie de ce fragile équilibre tandis qu’un triangle végétal encastré dans le bâtiment frissonne au vent du soir d’un mouvement irréel.

Quand le soleil commence à tomber, depuis l’immense Golden Gate Park qui barre tout l’ouest de la ville, il faut remonter Martin Luther King Avenue à toute vitesse pour gagner la côte avant qu’il ne soit trop tard. Là, longer la plage au soleil rasant, puis rejoindre la procession des voitures qui s’arrêtent, plus bas, face au Pacifique jusqu’à ce que le soleil sombre dans les eaux. C’est comme si, ici, la mer se retenait d’attaquer la côte en échange d’un respect de la nature qui transparaît de toutes part dans la ville.

On revient alors vers Oakland en coupant par Sloat et Polavista. Sur le chemin, en bifurquant sur Twin Peaks, on voit San Francisco se couvrir progressivement de mille faibles lueurs, qui semblent n’apparaître que pour rehausser la pâleur rosée soudainement prise par les maisons. Bay Bridge, retour : la Mustang file dans la nuit comme un avion en suspension au-dessus de la baie.