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30/08/2010

L'expérience édifiante de l'exemption des frais de restockage (la prochaine révolution)

 

Il arrive que les révélations les plus intéressantes et les mieux partageables surgissent davantage des détails de la vie ordinaire que des grandes retraites inspirées. Les plus intéressantes ? On peut en discuter - mais les mieux partageables, assurément : les premières ne demandent  pas en effet un ermitage, une bible, des saints, une église, une poignée de martyrs, quelques guerres, bref, l'artillerie de communication lourde des révélations habituelles. Non, elles s'adressent à vous et à moi comme une expérience accessible non seulement le jour du Seigneur (en tout cas aux Etats-Unis, puisqu'on y travaille aussi le dimanche) mais aussi tous les jours de la semaine, voire les nuits avec (en tout cas aux Etats-Unis puisqu'on y travaille même la nuit).

Je partage ainsi avec Peter Bregman, consultant et chroniqueur à la Harvard Business Review, l'expérience édifiante de l'exemption des frais de restockage. Le cadre de l'expérience est assez simple : vous achetez un produit - un appareil électronique dans son cas, une chaise à bébé dans le mien - qui ne vous convient plus et vous vous retrouvez en position de ramener le produit en question au magasin avec l'objectif d'obtenir une exemption de frais de restockage.

"Qu'est-ce que c'est encore que cette histoire" se dira le consommateur européen. Mais ce qui définit précisément le consommateur européen est qu'il n'a généralement pas fait l'expérience du retour d'un produit dans un magasin américain. Soit parce qu'il n'est pas resté assez longtemps aux Etats-Unis après un achat effectué au cours de ses vacances soit parce qu'il doute que l'expérience du retour à San Francisco pour y ramener l'iPhone-4 qu'il y a acheté deux semaines plus tôt en vaille vraiment la chandelle (c'est le côté avisé du consommateur européen). Sauf évidemment s'il y a acheté un avion (c'est son côté déloyal) au lieu d'un téléphone (c'est son côté snob). La pratique s'est en effet généralisée aux Etats-Unis de facturer 20 % de frais de restockage pour tout produit retourné. Bienvenue au pays du client-roi.

Or ce qui fait l'intérêt de l'expérience dans les deux cas, c'est que le demandeur ne dispose d'aucun pouvoir. L'argument technique ne s'applique pas (le produit n'est pas défaillant) et l'argument politique (du type : "Je veux voir le directeur !") est exclus par principe. Le demandeur se refuse par ailleurs à toute démarche qui relèverait moins de la requête que de l'imploration (se rouler par terre, s'effondrer en larmes, entendre des voix ou avoir une vision au beau milieu du magasin, etc) puisque l'on se trouve, faut-il le rappeler, dans le cadre d'une expérience ordinaire qui exclut l'intervention soit de Dieu lui-même soit encore d'un de ses saints (en quoi l'on voit clairement que l'hypothèse de Dieu relève moins du pari que de la triche). Remarquons aussi au passage que, contrairement à un trait culturel bien établi en France qui fait de l'exception un droit et vice-vesa, en Amérique, on ne plaisante pas avec le réglement qui doit s'appliquer par essence à tous les cas de figure. Etrange pays.

Laissons là les méandres mélodramatiques du dialogue entre le consommateur et le vendeur. Il suffit de savoir que le consommateur demande au vendeur par exception une faveur que celui-ci, par définition, ne peut lui accorder. Eh bien, l'expérience montre qu'il est possible d'obtenir cette faveur du vendeur en faisant appel à sa compréhension, ou à sa compassion faudrait-il plutôt dire ici, et à sa générosité en jouant non d'un quelconque pouvoir mais au contraire de son absence. La non-argumentation et le dénuement moral comme facteur de réussite d'une transaction ? Voilà qui perturberait singulièrement les acquis socio-psychologiques les plus récents de la recherche en négociation. Et pourtant, ça marche.

De cette expérience, Bregman tire la conclusion plus large que la vie gagne à être vécue en un certain nombre d'occasions comme une expérimentation avec ses tâtonnements, ses hypothèses, ses succès étonnants et ses échecs inévitables - mais échecs le plus souvent réjouissants dans une approche à la fois créative et ludique de la vie. Il en tire l'enseignement plus spécifique que l'on peut obtenir davantage en faisant appel à la générosité des gens qu'en se situant vis-à-vis d'eux dans une relation de pouvoir. C'est ce que manquent les apothicaires imbéciles et les gestionnaires bornés : il y a une puissance non seulement bienfaisante, mais aussi efficace de la générosité - une sorte d'effet multiplicateur de la faveur qui s'entendrait en un sens non aristocratique mais moral, non dissymétrique mais social.

L'avarice s'accommode de situations malthusiennes, la générosité crée de l'optimum. Le concept clé du moment à Harvard, ce ne sont pas les ruses de l'abus de position dominante, ce sont les vertus de l'écosystème - soit une organisation associant plusieurs partenaires dans laquelle chacun doit avoir un intérêt raisonnable au maintien et au développement du système. La prochaine révolution - qui porte déjà au-delà de l'industrie et du commerce -, c'est celle de la générosité.

 

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