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07/09/2010

A Single Man (Just get through the goddam day)

 

Une marche digne dans la neige, vers le lieu d'un accident transformé en calvaire. Un baiser d'adieu. George, désormais, devra faire sans Jim qui gît, mort, au bord de sa voiture. Huit mois plus tard, les mêmes images reviennent au réveil. Encore un jour qu'il faudra tant bien que mal essayer de passer.

On est dans le Los Angeles des années 60 cultivé, affairé, chic. George Falconer (Colin Firth) vit dans une magnifique maison d'architecte (peut-être dans le quartier des Palisades). La force des conventions dans les suburbs l'emporte encore largement sur la révolution des moeurs sur les campus. George est britannique, ce qui lui confère à la fois décence et tenue. "It takes time in the morning for me to become George, time to adjust to what is expected of George and how he is to behave. By the time I have dressed and put the final layer on the now slightly stiff but quite perfect George I know fully what part I'm supposed to play". Ou comment en mimant un rôle pour mieux nous le faire tenir, l'élégance, au lieu d'incarner la frivolité, se contente parfois d'habiller le désespoir.

Mais, britannique ou pas, quand on perd un amour, il arrive que l'on s'affaisse un peu. C'est ce qui arrive lorsque le cousin de Jim (Matthew Goode) appelle George pour lui signifier simultanément le décès de son partenaire et la réticence de la famille à ce qu'il assiste aux funérailles. Une course sous l'orage, puis les bras de Charley (Julianne Moore), sa voisine, l'ancienne amante londonienne devenue une amie intime.

Rien ne tient plus, la douleur l'emporte, le corps lâche. C'est comme quand on tient dans ses bras la femme d'un ami que l'ami en question vient de quitter et qui croit qu'elle ne pourra pas vivre avec ça. Normalement, on n'en meurt pas. Mais on ne vit pas tout à fait non plus. Il n'y a qu'Hollywood pour inventer des renaissances à la gnaque : c'est parce qu'aux Etats-Unis, les morts ne comptent pas, ou pas vraiment. Un deuil de deux ou trois jours peut-être, voyage inclus, et puis let's move forward.

George est professeur de littérature à UCLA. Les étudiants ne comprennent rien en général, et moins que rien à la littérature en particulier. Ils ont raison : enseigner la littérature est un non-sens ou alors il faudrait, suivant en cela l'intuition de Pirsig (*), privilégier les mauvais élèves sur les bons, les vraies questions sur les bonnes mentions. Du coup, après avoir fait le tour des ineptes commentaires d'usage, George fait dériver son propos sur la peur et la question des minorités invisibles. C'est une intervention qui, une fois n'est pas coutume, frappe l'un de ses étudiants, Kenny Potter (Nicholas Hoult), apparemment en couple avec Doris (Nicole Steinwedell), une blonde sublime aux airs de Brigitte Bardot jeune. Ils bavardent un peu en sortant. Kenny se prend d'inquiétude pour son professeur, qui semble n'aller pas bien en effet.

Quelques formalités à la banque, l'irruption "angélique" de la petite fille de la voisine, et c'est la rencontre accidentelle en sortant d'une épicerie avec Carlos (Jon Kortajarena). Jeune immigré espagnol, Carlos provoque la rencontre. Les deux hommes discutent un moment, sur le parking. Carlos tente sa chance. George est interpellé, s'arrête comme on reconnaît ce qui aurait pu être une tentation dans une autre vie, puis reprend le fil de sa journée.

Il est alors temps de mettre ses affaires en ordre puis, dans la chambre, de tâcher de trouver la meilleure position possible pour se faire sauter la cervelle ; et George, de fait, semble alors uniquement habité par l'aspect pratique et le relatif inconfort de l'affaire. En lui téléphonant in extremis pour lui rappeler son invitation à dîner ce soir-là, Charley lui sauve la mise. En toutes circonstances, George a le sens des convenances. Il la rejoint et, ensemble, ils passent une soirée complice et délurée, qui serait presque apaisée si George n'était pas encore tout à Jim et Charley désireuse de redonner une chance à leur relation passée, en vain.

Reprendre, au retour, là où l'on en était resté. Sortir soudain au bar du coin acheter une bouteille de Scotch et des cigarettes pour se donner un peu de coeur. Tomber sur Kenny, qui traînait par là et qui veut juste se faire une place dans la vie de George. Sur un coup de tête romantique, ils décident d'aller se baigner ensemble. George se blesse légèrement. Ils reviennent tous deux chez lui. Kenny le soigne. Ils boivent quelques verres. George finit par sombrer.

Plus tard, en pleine nuit, il se relève et trouve Kenny paisiblement couché dans le salon. Kenny a repéré le revolver et l'a conservé avec lui. George le lui reprend pour le ranger dans le tiroir de son bureau, d'où il l'avait glissé le matin-même dans sa serviette. Il sort prendre l'air. C'est comme s'il prenait soudain conscience d'une renaissance - une brèche lumineuse dans une vie devenue minimale. "A few times in my life, I've had moments of absolute clarity, when for a few brief seconds the silence drowns out the noise and I can feel rather than think, and things seem so sharp and the world seems so fresh. I can never make these moments last. I cling to them, but like everything, they fade. I have lived my life on these moments. They pull me back to the present, and I realize that everything is exactly the way it was meant to be". Il retourne dans sa chambre et, en s'asseyant sur son lit, il est soudain frappé d'une crise cardiaque.

Adapté du roman de Christopher Isherwood, "A Single Man" a recueilli vingt-trois nominations et quatorze récompenses, dont celle de Colin Firth, amplement méritée, pour le meilleur rôle principal. Le talent véritable s'impose. Un type qui fait passer Gucci de la faillite à la prospérité et qui pense qu'on ne peut pas faire venir les gens dans une salle de cinéma pendant une heure et demie sans les challenger, a probablement compris deux ou trois choses utiles.

Et ça marche. D'emblée, on est saisi par ce mélange d'élégance et de lenteur, de violence et de retenue sur une musique (Korzeniowski & Umebayashi) qui sert cette marche funèbre ou plutôt ce rite funéraire moderne comme le silence et l'immobilité donnaient d'emblée le ton et le sens des tragédies anciennes. Les artistes devraient éviter de commenter leurs oeuvres. Ford dit que son film est une invitation à vivre chaque jour comme si c'était le dernier. C'est une niaiserie contemporaine qui montre combien notre sens de la profondeur s'est abîmé dans l'agitation permanente. Le sujet majeur du film, c'est une interrogation sur le (non-)sens de la survie après la perte de l'être aimé. Et son problème, c'est que la réponse qu'il propose est peut-être la seule acceptable. Si, comme il finit en effet par le confesser, le ressort profond de l'existence de George, c'est de tenter d'établir des connexions authentiques avec d'autres êtres humains et si - miracle -, un telle connexion advient, que reste-t-il lorsqu'elle disparaît ? Une immense solitude dont la mort ne serait en fin de compte qu'un épiphénomène.

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(*) "Ce sont les mauvais élèves qui échouent aux examens" in Traité du zen et de l'entretien des motocyclettes.

 

 

 

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