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17/07/2008

Deux jours à Singapour (éloge du voyage)

Dix ans après les grands voyages que j'y fis depuis le Pacifique Sud, un an après une rapide mais heureuse traversée de la region de Sydney à Hong-Kong en passant par Bangkok, je reviens à Singapour pour un séminaire prospectif de deux jours consacré aux grandes tendances politiques et sociétales à l'oeuvre dans la région en matière environnementale.

Longtemps, j'ai considéré l'Asie comme un monde étranger - le plus étranger de tous dont l'archétype, à mes yeux, était représenté par le Japon, sans doute du fait de la difficulté d'y croiser le regard des autochtones qui finissait, après seulement quelques heures d'un passage a Tokyo, par créer un effet d'irréalité désarmant (pire qu'un "racisme" ou disons un ethnocentrisme de la stigmatisation, il y aurait une épreuve de la non-existence, expérience intéressante cependant en ce qu'elle interroge notre capacité a faire abstraction de soi à travers nos découvertes, un test en somme à la fois ethno et ego-centrique).

Il y a dix ans, j'avais été encore réticent vis-a-vis de l'Inde pour le même genre de raison que décrit Levi-Strauss lié, disons, à l'impossibilité de faire face à cette sorte de massification de l'humain comme à cette permanente sollicitation de l'étranger qui l'accompagne ; j'avais été profondément séduit, en sens inverse, par la traversée du Vietnam, de Ho Chi Minh Ville à Hanoi, au cours d'un voyage mémorable (nouvelle réjouissante : je viens d'apprendre que ma compagne de voyage d'alors est devenue maman).

Point de familiarité donc, mais une série de passages, plus ou mois distants les uns des autres dans le temps et l'espace, autour du monde chinois. Curieusement, il y a plus d'un an encore - c'était avant de partir pour l'Amerique - je m'étais dis, presque chuchoté a moi-même : pourquoi pas l'Asie, après ? Comme si l'aventure américaine réveillait soudain, au-delà d'elle-même, le virus, un peu endormi, des voyages et, avec eux, le goût particulier de se sentir à la fois chez soi et ailleurs.

J'ai toujours confusément pensé que cela me venait, au moins pour une part, de ma double origine franco-italienne, même si les effets d'une telle double appartenance sont à l'évidence plus complexes ; au-delà de l'ouverture à la difference qu'elle induit, elle renforce aussi le lien aux proches et, plus lentement, comme à travers un cycle de plus long terme qui serait à l'oeuvre parallèlement aux péripéties de la vie, un certain sens de l'enracinement.

Atterrissant hier au beau milieu de la Cité-Etat, je me suis senti, la nuit tombant, à nouveau saisi. Du haut d'un balcon qui couvre deux angles du Fairmont Hotel, au coeur de la ville, j'apercois la belle facade du Raffles, plusieurs toits de tuiles orangées qui semblent recouvrir d'anciens couvents, quelques clochers blancs qui émergent ça-et-là de carrés urbains bien dessinés, des touffes végétales qui surgissent, tantôt comme des bouquets sauvages, tantôt en un sage ordonnancement dans lequel percent parfois des trous d'eau ; puis, plus loin, à perte de vue, une grande muraille de tours qui fait cercle à des kilometres de profondeur autour de la ville.

L'air est chaud sans être trop lourd, le ciel, couvert, laisse passer une petite brise d'un balcon l'autre. Les rideaux se gonflent doucement dans la pièce, puis retombent vers la terrasse. Quelques échos de sirènes, très attenués au milieu d'un vrombissement étouffé lui aussi de l'activité urbaine. L'Asie : concentration de civilisations majeures, coeur de la croissance mondiale, nouveau centre du monde... Sans doute. Mais il en va des contrées comme des rencontres : ce qui s'impose d'abord au voyageur, c'est le rapport de connivence et, pour une part, de sensualité, qui s'établit, ou non, avec ce nouveau monde et qui commence alors d'échaffauder en nous son lot de promesses en un sens proche, non pas encore du projet, mais de la potentialité.

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