23/07/2008
Un été américain (1) Manhattan transfer
Retour à New York une fin de semaine brûlante, sur le tarmac de La Guardia, une pointe de frime en passant comme un retour du bel âge, pour retrouver ma famille qui y est de passage et reprendre contact avec Manhattan. Annie se faisant recruter par Victoria Secret comme directrice du design de "Body by Victoria" - une nomination exceptionnelle qui a été rapide et qui renforce encore mon admiration et ma fierté pour elle -, nous nous apprêtons à nous y installer, à moitié seulement pour moi qui conserve, de l'autre côté de l'état de New York et du Lac Ontario, ma base professionnelle à Toronto.
Dans la foulée, nous officialisons notre union civile à City Hall, entre l'agitation qui domine au-delà de Chambers et la tranquillité profonde des jardins qui jouxtent le fronton de la Nouvelle Amsterdam. Une nouvelle vie a commencé qui, ces derniers temps, produit de la nouveauté quasiment chaque mois. Un rythme soutenu qui ne nous déplaît pas tant que nous parvenons, pour une part au moins, à l'organiser dans une triangulaire néanmoins un peu compliquée qui comprend, outre New York et Toronto, Columbus (où nous conservons la maison pour quelques semaines encore) et de nombreux voyages professionnels en Europe et en Asie.
A deux pas du siège de Victoria Secret, sur la 50ème West où nous logeons temporairement, Broadway est submergée de la foule des couche-tard et des touristes, quelque chose entre Pigalle et les Champs. Parfois au détour des carrefours, des odeurs acres, quelquefois violentes, surgissent, des odeurs de brochettes fumantes, d'eau croupie ou de pisse au pied du siège de grandes compagnies de divertissement ou des restaurants chics. Le contraste est frappant avec Bryant Park, un peu plus bas - cette oasis verte au beau milieu de la ville sous la 42ème où nous passons, sur la belle terrasse du restaurant du parc, une soirée d'anniversaire mémorable.
La vie est plus paisible en descendant downtown vers Greenwich et Soho - un quartier qui s'impose comme un point de chute possible. D'autres options existent, comme le duplex avec terrasse que nous visitons West side sur la 84ème à hauteur du milieu de Central Park. La tonalité à Soho est plus familière, le quartier est proche par certains côtés du Marais. Comme l'a révélé le choix de German Village à Columbus sans toutefois que nous nous en rendions compte tout d'abord, c'est comme si nous oscillions toujours dans nos choix entre l'Amérique - c'est par définition notre environnement - et l'Europe, à travers les endroits où nous choisissons d'habiter.
Mes parents, qui nous ont rejoints à Columbus puis à Toronto, sont ravis de leur promenade américaine à nos côtés, sous des angles qui leur font voir l'Amérique d'une façon à la fois différente et privilégiée. Quelques discussions autour de mon nouveau boulot, mais aussi sur la société américaine et un peu de politique as usual avec mon père ; avec maman, les choses sont toujours plus intuitives. Tout cela fait, avec eux aux alentours de soixante-dix ans et nous de la quarantaine, des retrouvailles heureuses, et même harmonieuses, avec des parents qui se laissent faire avec un plaisir évident. Cette relative et parfois subtile inversion des rôles est un des beaux moments de la vie surtout lorsqu'elle se réalise en un moment d'accomplissement pour les uns et pour les autres. Ruth, notre voisine de passage - une britannique francophile venue accompagner sa fille pour la préparation de Billy Elliot sur Broadway - doit le sentir qui se lie spontanément d'amitié avec eux.
En fin de séjour pourtant, mon père a un petit accident vasculaire qui aurait pu transformer tout cela en drame. Comme l'incident paraît léger et que nous en ignorons la cause, nous mettons cela, dans le restaurant italien de la 8ème dans lequel nous nous retrouvons quand j'arrive une fois de plus in extremis et tard de Toronto, sur le compte de la fatigue d'un séjour qui les a, malgré tout, beaucoup sollicités depuis trois semaines. Je me laisse embarquer, la veille de leur départ, par les propos faussement rassurants de mon père. Je m'en voudrais beaucoup un peu plus tard d'avoir cédé là où il fallait, sans discuter, imposer la décision d'un passage immédiat aux urgences, seul contre vents et marées si nécessaire.
Cette inertie face à cette irruption maligne de la gravité au milieu de ce séjour harmonieux me désarme et m'alerte. En voulant éviter de gâcher la fin du séjour par une mesure qui pouvait paraître excessive, nous aurions pu tout gâcher pour de bon, en effet, si l'incident avait été plus grave. Une leçon pour la suite, mais une leçon que je ne voudrais pas avoir éprouvée. A peine arrivé, mon père est interné à l'hôpital Charles Nicole à Rouen. Il va mieux. Mais, après chaque coup de fil, je me sens investi d'une responsabilité nouvelle. Je me sens aussi désarmé et plus vieux, soudain, de quelques années.
A onze ans, dans une situation il est vrai compliquée par des problèmes de santé dont les médecins peinèrent un an durant à identifier la cause, je me réveillais en pleine nuit en refusant avec force l'idée de la mort de mes parents. Je n'ai, il y a trois ou quatre ans, accepté de laisser partir ma grand-mère italienne au retour d'un long séjour aux antipodes que parce que, dans un dernier soupir, la veille de sa mort, elle m'a chuchoté, l'air soudain libéré, qu'elle était trop fatiguée pour lutter davantage encore. Pour la première fois de ma vie, j'ai passé ma main sur le front de cette grande femme énergique et aimante qui a enchanté toute mon enfance. Elle m'a laissé faire avec la très grande douceur d'une extrême faiblesse. Puis j'ai acquiescé, dans les yeux, d'un petit signe de la tête. J'ai l'impression, encore maintenant, qu'il n'y avait rien d'autre à faire. Cela avait l'air si dur.
Si j'ai parfois joué avec ma propre vie d'une façon sans doute parfois inconsidérée au regard du registre ordinaire de l'adolescence, je peux dire en même temps que je n'ai pourtant jamais accepté la mort de ceux que j'aime. Ils représentent tout ce que j'ai, qui ne m'appartient pas mais qui me mêle inextricablement à eux. Ni espoir, ni lâcheté ou, pour dire comme Comte-Sponville, ni béatitude, ni désespoir. Ce n'est pas maintenant que je vais céder là-dessus.
22:50 Publié dans Chroniques américaines, Variations | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : Amérique, Etats-Unis, famille, Victoria Secret
Commentaires
Internet est de retour chez nous, à temps !
Toutes nos félicitations à vous deux pour vos nouveaux engagements et bon anniversaire en retard pour toi !
Pour le reste de l'article qui m'émeut profondément les commentaires se feront en privé.
En souhaitant que ton papa se rétablisse totalement très vite.
Angélique
Écrit par : Angélique | 23/07/2008
Thanks, Angie.
Oui, Beaunay Sr va mieux, il est même rentré aujourd'hui à la maison.
Have a nice holiday,
Olivier
Écrit par : Olivier | 24/07/2008
Bonjour,
Grâce à Paperblog, je viens de lire votre bel article, hommage sensible et un peu nostalgique sur votre retour à New York et aux souvenirs qui l'accompagnent… Je me sens un peu voyeuse à sa lecture car il semble destiné avant tout aux personnes de votre entourage… Merci de ce beau moment de lecture, moi qui suis également "possédée" par cette ville, même si je n'y habite pas.
Je viens de voir que vous avez également dans vos liens "sauce piquante" et "Pierre Assouline"… Que de bonnes adresses…
Catherine
Écrit par : Catherine | 24/07/2008
Chère Catherine,
Merci pour ce mot en passant et pour la découverte de votre blog. J'aime vos photos et vos instantanés new-yorkais parce que vous y mariez avec bonheur le quotidien et le mythe.
"Possédé" ? C'est bien ça : il y a des villes que l'on "fait", du moins où l'on va, et il y en d'autres qui nous attrappent, New York, Chicago, LA pour moi, et encore Londres, Catania ou Hong-Kong. Mais New York, comme la Sicile autrefois, a sans doute cette faculté unique de réveiller en moi une sorte de dimension auto-cinématographique.
Bref, j'y fais mon cinéma, ça m'amuse, et cela explique en partie mon goût pour les images justes de cette ville, au rang desquelles je compte les vôtres (j'ai aussi en tête un fabuleux album photo de la ville découvert il y a peu dans une librairie du Midwest, dont je vous retrouverai les réferences si cela vous intéresse).
S'il figure ici, c'est que mon papier est public - même si la dimension plus intimiste de celui-ci est une entorse indéniable à la ligne de conduite, disons plus réservée, que je m'étais fixée ici. Disons-le même tout net : j'abhorre l'impudeur ordinaire qui impose partout sur le net sa boursuflure grotesque.
En fait, le livre de Le Maire ("Des hommes d'Etat"), que ma compagne a glissé dans mes bagages avec bonheur, est un livre que je trouve juste de ce point de vue et qui me redonne envie de marier ces dimensions publique et intimiste que j'ai séparées en différents blogs il y a un an parce que je ne parvenais plus à en gérer la cohérence. Si c'est trop de nouveau - ce que vous laissez entendre - et bien, il faudra aviser ...
Olivier
Écrit par : Olivier | 25/07/2008
bonjour Olivier,
toutes mes félicitations pour cet engagement dans ta nouvelle vie.
Contrairement à ton amie Catherine, je ne me sens pas voyeuse à la lecture de ton message adressé à la famille et cette fabuleuse nouvelle me plonge dans un mensonge troublant vis-à-vis de mes parents. C'est une grande tristesse.
Je te souhaite beaucoup de bonheur.
Affectueusement,
sylvie Lecoq de Bonnières
Écrit par : sylvie de bonnières | 12/08/2008
Hi madame Lecoq de Bonnières,
Désolé de n'avoir pas répondu plus tôt à ton message - c'est une vie, au sens propre, plutôt mouvementée (Paris, Londres pour Annie en ce moment ; Washington, Raleigh, Bruxelles pour moi à partir de demain, avec une pause commune à NYC entre deux pour emménager ce week-end - ouf. Ce n'est pas un nouvel appartement qu'il nous aurait fallu, c'est un lounge dans un aéroport).
Je me rends compte aussi que, si je ne l'ai pas fait, c'est que ton mot, au-delà de ses voeux bienveillants (l'annonce a été tout de même un peu surinterprétée, dirait-on...), suppose plutôt une conversation qu'un échange de commentaires ici - bref, la balle est dans ton camp, si tu le souhaites, lors d'une prochaine rencontre.
Hope everybody is doing well.
By the way, quand Emmanuel me fait-il traverser l'Atlantique jusqu'à notre nouveau port sur l'Hudson River ?
Je vous embrasse,
Olivier
Écrit par : Olivier | 09/09/2008
Et moi, tu réponds pas à mes mails et à mes félicitations, ou quoi ???
Écrit par : jp | 13/09/2008
Mon Jipe, tu n'as pas recu mon e-mail du 8 (sur gmail) ?! Ma cose successo, mamma mia ?
Écrit par : Olivier | 14/09/2008
Non ho ricevuto proprio niente. Niente !
Mandilo di nuovo! Per favore !
Écrit par : jp | 21/09/2008
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