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08/01/2008

Atours, grimoire et amitié (A propos de R|B, Mythologies)

Il y a dans la vie des moments magiques parce qu'ils témoignent soudain, au milieu de la suite ordinaire des jours, d'un agencement harmonieux de notre existence à travers la conscience intime que nous prenons alors de sa durée, par l'irruption d'un signe de connivence qui, trouvant son ancrage loin dans le passé, continue miraculeusement de se manifester dans le présent.

Il me faut dire tout d'abord que j'aime Barthes.

Vers 18 ans, faisant d'un retard d'inscription en hypokhâgne l'opportunité d'une année de libre exploration, la lecture de la plus grande partie de son oeuvre a été simultanément une révélation et un plaisir. Révélation d'un nouveau regard sur le monde, plaisir d'une lecture à la fois lumineuse et familière, comme une voix qui trouverait soudain en soi une résonnance singulière.

Le degré zéro de l'écriture, Michelet, Sur Racine, Les essais critiques, Système de la mode, Sade, Fourier, Loyola, Le plaisir du texte, Fragments d'un discours amoureux bien sûr, mais aussi Roland Barthes par lui-même... ces livres-là n'ont pas peu contribué à ce que cette année de libertinage vale mille fois plus qu'une année de voyages (c'est toujours la même histoire : plutôt le risque du décrochage que l'enfer du désenchantement).

Avec ces livres, le commentaire l'emportait sur l'oeuvre et la jouissance du discours sur le plaisir du texte. Créer, avec coeur et, de préférence, avec talent, c'était bien ; commenter, avec intelligence, c'était mieux. Plus encore, par une sorte de peur du vide (au sens de la platitude, de l'insipide, de l'ennui, etc), je fus estomaqué par la densité de Barthes, cette aptitude à saturer de sens un réel qui en semblait pourtant déserté (essayez donc de faire deux ou trois pages dignes sur les saponides et les détergents, le bifteck et les frites ou encore la photogénie électorale). Entre la poésie de Rilke et la mécanique de Sartre, il y avait donc place pour une sorte d'enchantement conceptuel du réel. Après tout, certains chercheurs en mathématiques évoquent bien leur champ d'étude comme un univers infiniment poétique.

L'un de ces textes : Mythologies, publié en 1957, eut une portée et, pour ainsi dire, une saveur particulières. Je peux bien dire que, très vite ici, sa forme, c'est-à-dire sa structure, son appareillage, sa tonalité, sa liberté-même, son intelligence avec le réel, son jeu avec les concepts, se sont imposés à moi comme la référence possible d'un projet d'ouvrage qui entreprendrait, selon une inspiration proche, de décrypter l'Amérique en bousculant la banalité trompeuse des signes qu'elle produit (le steack frites se verrait ainsi transformé en hamburger, Poujade en Huckabee, la nouvelle Citroën en Mustang Bullit, le vin en whiskey, le visage de Garbo en sourire d'Anna Nicole Smith, etc).

A part à un ami américain qui contestait l'idée même d'une culture américaine (encore un francophile), je ne crois pas avoir beaucoup parlé de cette idée. Je ne crois pas non plus, au-delà de ces années de jeunesse et de formation, avoir dit clairement que Barthes fût, sur un plan personnel, à ce point décisif (seule ombre au tableau, mais elle ne fut alors que l'habituelle bêtasse protestation de virilité adolescente : je n'aimai guère apprendre par hasard, après avoir lu les Fragments, que l'auteur fût homosexuel).

Or, je reçois ce matin un petit paquet aux atours prometteurs, malmené juste ce qu'il faut, de son périple transatlantique, couvert de multiples étiquettes, d'inscriptions en tous sens, de signes d'intermédiation divers qui, entre carte de voeux et cartes postales romaines, contient un petit livre. Sur une belle couverture de couleur souris, on lit en lettres argentées : "R|B", puis en dessous, en plus petits caractères : "Roland Barthes, Mythologies". Il s'agit d'une réédition du texte qui, auparavant disponible en Points Seuil, n'avait certes pas l'élégance que lui confère cette réédition de luxe (l'étudiant s'en fiche, l'adulte s'en délecte).

Ce "R|B", qui représente naturellement les initiales de Barthes, figure aussi celles de l'amie à l'origine de l'envoi, ce qui fait que d'un même mouvement on célèbre l'auteur et le passeur, l'intelligence et la connivence, le concept et le commerce, l'objet et le signe, bref, la littérature et l'amitié.

Je vous souhaite, pour cette année et pour celles à suivre, sans limitation de durée, d'aussi heureuses connexions.

Commentaires

J'ai eu le même genre de "révelation" en lisant Barthes et ses fragments. , et ce fut decisif aussi
Par ailleurs, je trouve l'idee du décryptage de l'amerique drôlement interessante. Il n'est peut être pas trop tard .?

Écrit par : abs | 09/01/2008

C’est en effet la sagesse et la mercuriale – amicale – a été reçue 5 sur 5.
L’effort de J. Attali de penser ce que pourrait être l’avenir mérite le respect et même l’admiration. L’exercice est difficile et vous avez réussi votre pari. Votre synthèse rend bien compte de la richesse du livre et donne envie de le lire. Il prévoit un affaiblissement des États-Unis allant donc dans le même sens qu’Emmanuel Todd qui prévoit lui, carrément l’effondrement.
Votre immersion dans ce pays fait de vous un témoin privilégié. Voyez-vous des signes qui iraient dans ce sens et êtes-vous d’accord avec une telle perspective ?
J’ai bien aimé la façon dont vous commentez NYC le 24 décembre. J’aurais aimé que vous vous attardiez sur ce chauffeur de taxi français. C’était un spécimen très représentatif de ces immigrés partis trouver fortune dans le pays du Yes I can ! La réalité est-elle à la hauteur du rêve ? A-t-il la Green Card ? Est-il content ? heureux ? Le taxi lui appartient-il ? Gagne-t-il sa vie, peut-il se loger ? Son opinion sur l’Amérique, sur Bush… Compte-t-il y rester ? Pourquoi est-il parti ? Regrette-t-il … etc.… Le temps de la course n’aurait peut-être pas suffi.
Quant à Titine et Mouchette (nos deux chattes) mais aussi Thor et Trice (nos chien et chienne), s’ils s’expriment c’est parce qu’ils nous disent beaucoup de choses par le regard, la mimique. Ils sont très expressifs et ont des états d’âme. Il est normal qu’ils prennent donc la plume et nous racontent leur vie et leurs aventures. Une autre raison est que, bien que sans aucune méchanceté, nos deux bergers allemands sont très impressionnants quand ils arrivent au grand galop pour faire la fête à nos visiteurs. Après avoir lu ce qu’ils pensent, ce qu’ils font, ces mêmes visiteurs et leurs enfants n’ont plus peur et ont appris à se comporter avec naturel et décontraction. Nos chiens s’en aperçoivent. Chacun y trouve son compte. Et puis, je dois l’avouer, faire du Disney me fait plaisir. Mais avec Titine et Mouchette la fiction n’est pas loin de la réalité et permet de faire passer des choses…
Merci n° 4. Merci de votre déclaration d’amour à Barthes. Je ne me souviens pas d’avoir eu un tel coup de foudre mais ma jeunesse littéraire a été légère. Vous m’avez contraint à le redécouvrir et, obéissant, je m’y plonge. Je sais déjà que la plongée sera profonde.

Écrit par : Daniel | 09/01/2008

Abs

Ah bon, ça vous a fait ça à vous aussi ? Et en quoi cela a-t-il donc été décisif pour vous ? Chez moi, cela a signé la fin de la possibilité de la banalité (avec un déclic préalable du côté de La cantatrice chauve).

Merci pour vos encouragements ; et moi qui croyais que "abs" était un système de freinage...

Vous avez un blog quelque part où on peut passer ?


Daniel

Mais une mercuriale, c'est aussi une assemblée - plus on est de fous comme dirait l'autre...

Sur un affaiblissement possible des Etats-Unis, je tenterai de vous répondre par ailleurs, dans un commentaire ou un post séparé, cela nous emmènerait trop loin ici (et j'ai déjà tendance à trop retarder l'heure du déjeuner ! tandis qu'approche le 20 heures chez vous).

Sur NYC, je compte bien avoir d'autres occasions de chroniques. Bien reçu le message de tâcher d'y privilégier alors les détails, les faits concrets qui en disent souvent plus long et plus juste que les commentaires.

Je dois dire que je discute régulièrement, sans exclusive ! avec les taxi drivers ici (à quand la rencontre avec De Niro ?!). Beaucoup de Pakistanais et d'Ethiopiens à Columbus ou Washington par exemple - les Ethiopiens sont très diserts, ce sont parfois même de fieffés bavards. Mais mon frenchy, là, à New York, une vraie tombe ! Ce que l'on sent parfois, à travers les silences, c'est le poids des destinées. Ce qui signe la fin d'une chronique, ce pourrait être aussi le début d'un roman...

Merci de vos éclairages sur le chapitre animalier : vous seriez comme un pape ici, entre Dysney et les parcs. Bien vu et original (j'ai une amie qui se régalerait sans doute d'y mettre son grain de sel).

Sur Barthes, vous me faites plaisir. Régalez-vous ! Quelle idée aussi d'avoir eu une jeunesse littéraire légère... Je ne résiste pas au plaisir de vous en donner un avant-goût sous forme d'extraits de la chronique "Le vin et le lait" tirée des Mythologies (pp 80 à 84) :

"... par le vin, l'intellectuel s'approche d'une virilité naturelle, et pense ainsi échapper à la malédiction qu'un siècle et demi de romantisme continue à faire peser sur la cérébralité pure (on sait que l'un des mythes propres à l'intellectuel moderne, c'est l'obsession "d'en avoir").

Mais ce qu'il y a de particulier à la France, c'est que le pouvoir de consersion du vin n'est jamais donné ouvertement comme une fin : d'autres pays boivent pour se saouler, et cela est dit par tous ; en France, l'ivresse est conséquence, jamais finalité (...) (contrairement au whisky, par exemple, bu pour son ivresse "la plus agréable, aux suites les moins pénibles", qui s'avale, se répète, et dont le boire se réduit à un acte-cause).

... Le vin est socialisé parce qu'il fonde non seulement une morale, mais aussi un décor (...) Dès qu'on atteint un certain détail de la quotidienneté, l'absence de vin choque comme un exotisme : M. Coty, au début de son septennat, s'étant laissé photographier devant une table intime où la bouteille Dumesnil semblait remplacer par extraordinaire le litron de rouge, la nation entière entra en émoi ; c'était aussi intolérable qu'un roi célibataire..."

Ah, le plaisir de relire ces lignes ici entre un divorce, un sommet du G8 (la Russie peut faire l'affaire aussi bien) et une sortie à Dysney...

Et je ne vous gâche pas la fin qui souligne l'étonnante aptitude de l'auteur à réintroduire une perspective politique (critique, cela va sans dire, d'autant qu'on est dans les années 1954-56) sous la gourmandise du commentaire.

Allez vraiment, cela devrait vous réjouir !

PS : Je me rends soudain compte en reprenant ce passage (on y trouve aussi une référence, un peu plus loin, au monde du western) combien Barthes pensait aussi la France en regard de l'Amérique...

Écrit par : Olivier | 09/01/2008

Moi, c'est en Hypokhagne où je n'avais pas laissé passer les délais pour m'inscrire que j'ai eu la même révélation en lisant RB. Par rapport à tous les autres critiques littéraires à la mord moi le noeud (genre Genette et autres Marthe Robert), au moins lui, il ouvrait les yeux sur ce qui l'entourait... et la DS, c'était quand meme une super voiture.

Tu sais d'ailleurs que des épigones, dirigées par jérome Garcin, viennent de sortir nouvelles mythologies. Je ne sais ce que ca vaut, mais la couverture ne me plait pas. Une smart à la place d'une DS Pfffhhhh

Voilà le lien : http://www4.fnac.com/Shelf/article.aspx?PRID=1990774&Mn=161&Origin=fnac_google&Ra=-1&To=0&Nu=2&Fr=0

et la critique sur nonfiction : http://www.nonfiction.fr/article-234-prochaines_melancolies.htm

Baci
JPh

Écrit par : JPh | 09/01/2008

JP, c'est pas grave pour ton HK à l'heure, tout le monde a droit à l'erreur et sache que personne ici ne te tient rigueur de tes études si bêtement gâchées :-D

A propos de voiture, la sémiologie est justement devenue un magnifique outil pour en vendre beaucoup plus. Le résultat : plusieurs bimbos dévêtues devant la même DS, aurait peut-être pu nous épargner tant de savantes études.

Oui, j'ai vu Les nouvelles mythologies, décevantes en effet à quelques exceptions près, et j'en ai même proposé la critique à Martel pour Nonfiction.fr mais l'affaire était en cours. Du coup, j'y reviendrai un peu plus tard ici. Merci pour les liens en tout cas !

Écrit par : Olivier | 10/01/2008

HK à l'heure, mais je suis un K désespéré, en retard dans mes lectures. Alors que tout mon entourage khâgneux ne jure que par Barthes, je n'en ai lu que S/Z, le décryptage du processus de la lecture qu'il opère en décortiquant les échos que suscitent la nouvelle Sarrasine de Balzac (qui se révèle être une petite merveille, à l'éclat rehaussé par une critique intelligente). Ce qui est amusant (ou stimulant intellectuellement, mais ça fait tout de suite plus pompeux), c'est de découvrir un mode de lecture fragmenté, une ouverture sur un système, qui dé-construit la lecture, sans être pour autant systématique : la critique ouvre alors à une multitude de pistes d'interprétation... (même si certaines idées sont un peu ardues à suivre et à saisir derechef, à cause du lexique qu'il se forge pour mettre ces processus en lumière). Bref, votre enthousiasme est communicatif. Ça me met en appétit... Ce sera une Mythologie pour la table cinq, cuite à point.

Écrit par : oreo | 10/01/2008

heu, c'est moi !

et sinon, pour repondre ta question, j'y ai trouve la confirmation de l'inutlité de la "communication" , avec l'idee d'un langage comme une peau a frotter contre l'autre, (je crois que le langage ne DIT rien, un truc dans le genre)
et depuis, j'ecris beaucoup et j'explique rarement .

ps/ Je suis aussi un systeme de freinage.

Écrit par : abs | 10/01/2008

Oreo

Un K désespéré est forcément sur La Voie... Vous connaissez le Traité du désespoir et de la béatitude ? ;) En tout cas, je doute que l'on puisse être un jour à jour de ses lectures (et ça ne s'arrange guère avec la liberté que donne la fin des programmes). On doit sûrement mourir avant. Ce qu'il faudrait en guise d'immortalité du coup, ce serait négocier une petite pause lecture dans un caveau bien au chaud avec une petite loupiote, au moins le temps de finir la pile qui penchait bravement à côté du lit.

Avec S/Z, c'est exprès que vous ne retenez que celui que je n'ai pas lu (à cause de Balzac) ? Mais, oui oui, c'est tout à fait ça : théorie et liberté, le plaisir d'échaffauder des systèmes sans sombrer dans la systématique. Et puis, ah le lexique de Barthes ! un enfer pour dictionnaires en effet.

A propos de votre clin d'oeil gastronomique (un reste de "New York Restaurant" peut-être, aïe, que je n'ai toujours pas commenté...), eh bien l'autre jour, je me suis surpris à essayer d'identifier... l'odeur de mon nouveau recueil des Mythologies : bois, métal, chocolat...

Ce qui me fait penser que je voudrais créer une nouvelle rubrique gastronomique dont la première chronique pourrait être un dîner à base de chocolat justement, à Washington. Oh et puis après, il y aurait cette fabuleuse cuisine italienne du nord à l'Osteria al Forno découverte pour le Nouvel An à San Francisco...

Ça aura moins le mérite de faire diversion de vos barres de céréales au caramel pour concours blancs et autres devoirs tardifs :)

Abs

Inutilité de la communication ? C'est vrai. Le problème, c'est que, euh, c'est mon métier... Anyway, je me souviens chez Barthes du grain de la voix, non de celui de la peau (on dirait plutôt sa texture, non ? Grain ici, ça fait un peu poulet...) ; mais le langage comme une peau à frotter, c'est joli...

... Aussi joli que la chanson que j'ai entendue l'autre soir chez vous, sur votre blog - auquel il faut renvoyer tout le monde ici via le lien que vous laissez (il s'agit d'une chanson mise en ligne le 5 janvier, titre du post : "Je dis plus rien"). Un vrai bonheur.

Écrit par : Olivier | 11/01/2008

L'infini des bibliothèques. J'aimerai pouvoir lire tous les livres, et ne mourir qu'après avoir lu la dernière page du dernier -quoique la relecture peut être tout aussi plaisante. Vous avez raison, il faut emmener notre kit de survie avec nous. De quoi les autres se plaindront-ils ? C'est tout de même moins encombrant que le mobilier des pharaons.

L'odeur des livres... c'est terrible ! Quant à la rubrique gastronomique, j'en ai déjà l'eau à la bouche. Même s'il n'y a aucune diversion à faire vis-à-vis de la barre au caramel. La clémentine est très tendance sur la scène khâgneuse (agrémentez de pommes, galettes de polystyrène (de riz soufflé en vrai) et surtout le chocolat (dans lequel le professeur d'anglais est venu se servir sans crier gare).

Écrit par : oreo | 11/01/2008

Mais ne vous hâtez pas, Oreo, de rendre la chair triste... Pour ce qui est de l'éternité, vous pousssez le bouchon un peu trop loin, je trouve - mais j'aime quand même beaucoup le coup de la relecture :) Quant à l'histoire des Pharaons, quand je vois, de mon vivant, comment les déménageurs se sont tués avec la bibliothèque ici - je pèse mes mots -, je me demande si vous mesurez bien, comment dirais-je, la portée de votre propos.

Pour l'odeur des livres, j'avoue que c'est tout à fait nouveau (et accidentel) pour moi : je ne sais pas ce qui m'a pris, mais j'ai l'impression d'avoir mis le nez sur un (nouveau) truc pervers... Votre évocation laisse entendre que vous faites déjà partie de la secte : je vous croyais le nez dans le guidon ?

Quant à votre professeur d'anglais, je ne dirai que deux mots : ah ah. Le professeur d'anglais est un non-concept. Il n'existe pas en khâgne (pas plus qu'ailleurs, d'ailleurs) : le mien, ce bourricot, nous collait, à mon pote Hugo et à moi, des - 20, - 30 et autre - 40. Ce n'est pas le seul (cela marche aussi pour le latin au collège ou la littérature à l'Université), mais c'est en tout cas l'un des quelques profs pour lequel j'ai été expliquer à la direction du lycée que j'avais autre chose à faire que de perdre mon temps avec une nullité crasse.

D'un autre côté, je dois bien reconnaître qu'on l'a baladé pendant un an avec un exposé sur la peinture anglaise du XVIIe qui n'est jamais venu (je dois bientôt passer à la Tate en pélerinage pour expier). C'est comme ce projet d'un exposé sur le roman d'amour qui n'a naturellement jamais vu le jour, vu que ce n'était pas très raisonnable comme thème d'exposé.

Bref, quelle misère tout de même, l'enseignement de l'anglais en France - et je ne parle pas de l'américain. C'est un peu comme la paresse en première supérieure, l'originalité à Sciences-Po, le management à l'Ena ou la poésie dans l'industrie minière : une incommensurable plaisanterie. Un non-sens. Un trou noir. Un trou tout court peut-être même bien.

Écrit par : Olivier | 11/01/2008

Quelle succulence ces Mythologies. Merci d’avoir été aussi emphatique et reconnaissant. J’aimerais l’être aussi bien. J’apprécie, je déguste, je savoure. R.B. voit un combat de catch comme un poème épique et cela devient évident. Moi qui ne voyais dans une photo du studio Harcourt qu’un portrait obligé, ringard, non ressemblant, je comprends mon aveuglement. C’est une lecture vivifiante mais dérangeante parce qu’accablante. L’exercice et la lecture sont tous les deux fascinants. J’espère ne pas en sortir indemne.

Écrit par : Daniel | 12/01/2008

J'ai peine à croire que vous êtes un nouveau venu dans la secte des renifleurs d'odeur de livre. Presque chaque collection a sa propre odeur en fonction des papiers et des encres qui sont utilisés : les poésies Gallimard, presque lisses ; celle typique des Folios ou encore l'horreur des Pocket dont l'encre, très sympathique, non contente de s'effacer quand on passe le doigt dessus, dégage une odeur assez forte pour m'irriter les yeux au bout d'un certain temps - pavés prohibés. Pas de casuistique odorante pour les éditions anglaises ou américaines, pas assez d'expérience. Mais j'aime bien les Penguins. Mes maniaqueries de collections et d'édition- encore un thème d'article qui me démange.

L'enseignement de l'anglais dans l'hexagone : un portrait au carré. Cette année, on ne parle. Les khôlles sont là pour nous rappeler que l'anglais n'est pas une langue morte ou un simple prétexte à mieux comprendre le français (un pont en bois, ou un pont de bois ?). J'ai presque régressé par rapport à la fin de ma seconde passée en section européenne, avec plusieurs bilingues dans la classe et un professeur digne de ce nom (en anglais et américain). C'est d'ailleurs assez hallucinant ce refus d'enseigner les particularités d'Outre-Atlantique. A Montgomery, devant une certaine surprise devant notre anglais britannique du siècle dernier, nous avons dû leur rappeler que dans le vieux pays des râleurs, l'anglais américain est presque considéré comme une déviance méprisable. Comment en êtes-vous arrivé à migrer en Amérique ? formation autodidacte ?

Écrit par : oreo | 12/01/2008

Daniel

C'est tout ce que je vous souhaite...

Oreo

C'est juste : l'enseignement de la langue de l'autre comme prétexte à l'approfondissement de la sienne propre. Dans les faits, les deux finissent bien par aller de pair, mais commencer par cela, c'est un manquement, un repli - une bêtise. A l'arrivée, il y en a qui dit "mondialisation" et tout le monde a peur comme du croquemitaine des enfances d'antan en ressortant l'artillerie lourde des vieux concepts éculés.

On manque l'autre, l'autre culture, le monde, et on se manque surtout à soi-même en préférant les faux-semblants (dont, au fond, on n'est pas dupes) aux vraies aventures. Le "vieux pays des raleurs"... C'est exactement comme ça que les Américains nous voient ! Des gens peut-être malins, mais renfrognés, passifs, figés, pessimistes.

Mon moteur pourtant, ce ne fut pas la langue (ç'aurait même pu être un obstacle : avoir un rapport intime ou exigeant avec sa langue propre, c'est souvent un obstacle pour embrasser les langues étrangères). Disons une envie partagée, un bel élan, et une sacrée aventure. Et quel bonheur aujourd'hui de naviguer entre les deux cultures. C'est comme si l'on voyait d'un coup, le plus souvent avec bienveillance, parfois aussi avec agacement, toutes les histoires que les uns et les autres se racontent en étant tout à la fois narrateur, personnage, critique de ce drôle de récit croisé...

Écrit par : Olivier | 13/01/2008

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