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12/01/2008

Into The Wild (l'adolescence n'est pas une mauvaise passe)

C'était dans un petit cinéma de Grandview, le Drexel Theater, sur les bords de l'Olentangy River. Une salle tout en longueur à laquelle on accède par un vieux porche, comme un vague rappel de l'entrée des théâtres de Broadway, ou du North Loop. Quelques spectateurs disséminés, confortablement installés dans de vieux siège à bascule face à un écran surmonté d'un ventilateur en bois. Un petit air du Sud.

C'est pourtant en Alaska que l'on plonge avec l'épopée d'Alexander Supertramp, un nom d'emprunt que se trouve le jeune Christopher, 24 ans, lorsqu'une fois son diplôme de l'Université de Georgie en poche, il décide de partir à l'aventure. Impulsion adolescente ? Sans doute. Ce qui signifie qu'il s'agit à la fois d'un acte vital et d'une mise en danger car, pas plus que l'Alaska n'est la Floride, ce départ n'est une fugue légère.

L'âge d'homme

Entendons-nous : le périple est aussi plein de légèreté, de fantaisie, de chaleur. Et, des canyons du Colorado larges comme des baies aux toundras du grand Nord, des terroirs de la Sonoma aux plages californiennes en passant par les plaines du Sud Dakota, d'une beauté saisissante. Mais ce n'est pas une escapade pour rire : c'est un départ qui s'ancre loin dans le passé. Dans les heurts entre des parents aisés - archétype de la middle class républicaine (on est en 1992 et la voix de George Bush père apparaît ici ou là fugitivement à l'écran) - mais souvent déchirés sous le regard effrayé de Christopher et de sa soeur.

Plus encore, partir, c'est exprimer avec vigueur le refus qui s'impose soudain à l'adolescent d'un consumérisme d'autant plus vide de sens qu'il remplit tous les espaces de la société et jusqu'aux rites intimes et familiaux. Pour tout héros, il y a dans les contes à la fois des épreuves et des magiciens. Les magiciens rencontrés, tous un peu en marge du système, à leur manière, ne manquent pas. Et ils comptent, chacun avec son grain de générosité ou de folie, dans les repères qu'ils donnent à Christopher tout au long de son voyage jusqu'à "l'âge d'homme" (l'expression, qui fait un chapitre du film, fait forcément penser au beau titre de l'autobiographie de Michel Leiris, et à la théorie qu'il y expose du dévoilement de soi comme mise en danger).

Il y a ce couple hippie, à la fois nomade, sage et bienveillant, qui suggère moins une exclusion qu'un choix (et aussi, chez elle, une brisure plus intime) ; la jeune chanteuse qui s'éveille soudain à l'amour (un film américain qui, pour une fois, en sublimerait la secousse ? cela vaut forcément le détour) ; et son grand-père, tel un vieil Indien au milieu du monde, choisissant le désert, à la foi communicative. Il y a encore cette assistante sociale black à L.A. - à peine retrouvée, la ville donnera pourtant à nouveau envie de la fuir pour les grands espaces sauvages ; cet agriculteur repris de justice, juste mais repris ; et puis le vieux Son, le grand-père de coeur.

Entre nous

Tout magicien suppose certes son dragon - un vigile, par exemple, rossant le jeune voyageur embusqué dans un train pour passer la frontière, mais ces dragons-là ne comptent guère ici au regard des démons intérieurs. Emile Hirsch n'est pas Leonardo DiCaprio (qu'il rappelle pourtant physiquement) et Into The Wild n'est pas Titanic. Un cinéma plus réaliste, moins spectaculaire, moins attendu au final.

Sans doute. Mais sa valeur tient en réalité moins à ce réalisme-là qu'à sa poésie farouche. Une poésie à la Sean Penn, de celle qu'appelle les grands espaces au-delà de San Francisco, cette cité consciente et rebelle. Ainsi, à la mise en danger de la vie correspond la mise en abîme du récit, comme un emboîtement de causes non pas fatales mais nécessaires. L'adolescence, ici, ce n'est pas une mauvaise passe, c'est une initiation

Ces rencontres seront-elles suffisantes pour passer de l'adolescence à l'âge d'homme ? Ce qui caractérise l'épreuve, au sens initiatique, c'est qu'on s'y expose sans en connaître l'issue. Or, ce qu'exige l'existence de Christopher, c'est moins de simulations et plus de rencontres. Moins d'aise, plus d'inconfort. Moins de dissipations et plus de beauté.

Il y a l'épreuve des parents bien sûr - celle qui réveille sa mère en sursaut ou qui saisit soudain son père sur la route, le regard perdu vers un ciel vide -, celle de sa soeur, plus sereine. Celle de ceux qu'il a croisés et qui aimeraient que les choses prissent un autre tour en l'engageant, au moins, à donner à sa famille un signe de vie. Et puis il y a l'épreuve du spectateur, miroir de la connivence qu'établit Christopher avec lui et de cette confiance fragile qui se créée alors entre nous.

Ce film a un certain souffle. Allez donc prendre l'air.

Commentaires

Oui...Je crois que j'irai goûter de cet air là (Sean Penn le rebelle me plait bien et je reviendrai vous donner mon impression..avec votre permission bien sûr! )

Écrit par : alessandra | 14/01/2008

Oui oui, très bonne idée ! S'agissant de Sean Penn, je me demande si je ne préfère pas le réalisateur ; pour l'acteur, j'ai essentiellement en tête le Jimmy Markum, certes blessé mais impulsif et inquiétant, de "Mystic River" (c'est Clint, ici, qui était à la manoeuvre). Et puis ces derniers temps, je m'intéressais davantage à Tom Hanks, que je redécouvre depuis que je suis ici. Anyway, dites-moi vite ce que vous pensez de cette échappée sauvage...

Écrit par : Olivier | 15/01/2008

Bonjour Olivier

Oui..Mystic River , un très bon film; De Clint Eastwood, j'ai un faible pour son "Minuit dans le jardin du bien et du mal ", avec les deux Kévin (Spacey et Cusack ) ,je l'ai vu en DVD et j'ai été bluffée par l'espèce de poésie qui se dégage de ce film .
Sean Penn vous le savez certainement, présidera le festival de Cannes cette année, pour ce qui est de Tom Hanks , je ne connais pas son actualité cinématographique !(il me faudrait des heures extensibles pour être en mesure de voir , de lire ou d'écouter tout ce que j'aimerais regarder, déchiffrer et entendre ) mais je compte sur vous pour combler mes lacunes...:)
Belle soirée à vous .

Écrit par : alessandra | 15/01/2008

J’ai aimé votre vision de Into The Wild. Le film de PENN donne beaucoup à dire et beaucoup à voir. Vous rendez bien compte de sa richesse. Ici les critiques sont élogieuses. Son interview dans le Nouvel Obs est décapante. PENN a une dimension héroïque. Son discours reflète bien son parcours et ses choix. Sa phrase : « Les moutons ont provoqué l’arrivée du loup » est à méditer. C’est bien qu’il ait été choisi pour présider à Cannes. Acteur de talent, réalisateur inspiré, c’est un esprit libre qui ne se complaît pas dans le mesquin, l’étriqué, le renfermé. Sa démarche à contre-pied des tendances lourdes hollywoodiennes plus ses prises de position politiquement incorrectes, sont-elles acceptées du grand public ? Quel accueil, quel succès a son film ? Les quelques spectateurs de votre séance disent-ils que le film aurait plutôt dû s’appeler Into the Desert ?

Écrit par : Daniel | 15/01/2008

Je suis d'accord avec vous Daniel et ravi qu'il ait été choisi en effet pour présider Cannes. Que ces productions ne remportent pas un succès spectaculaire dans le Midwest n'est guère étonnant - j'aime beaucoup à ce propos le titre alternatif que vous suggérez (qui pourrait d'ailleurs presque fonctionner pour le film : un monde presque vide d'humains ?).

Cela dit : 1°) Midwest ou non, sauf exception (comme à l'Escurial ! juste devant la maison, quand nous habitions sur Port Royal), c'est souvent la situation de la plupart des cinémas d'art et d'essai ; 2°) je dois reconnaître que je suis très preneur aussi de la plupart des super-productrions hollywoodiennes...

Écrit par : Olivier | 21/01/2008

Salut Olivier

Beau film, n'est-ce pas ?
En fait j'ai aimé sa simplicité et sa linéarité, comme si tout était écrit à l'avance dans le destin ineluctable de Christopher. Penn et son scenariste nous disent dès le départ la fin.
Ce film est un objet simpliste au scénario dénué de sophistification ce qui le rend si proche de la vie et sans doute si fort, brutal. Le vrai road movie !
Par son dénouement ce film est tout sauf ce qu'il prétend être : une ôde à la liberté, un appel vers les grands espaces. Il est même foutrement désespérant. Nous n'avons même plus le droit de rêver. Au moins, quand John Wayne montait à cheval et s'éloignait sur l'horizon, on savait qu'il emportait du corned-beef et des haricots ! Il n'allait pas crever comme un con parce qu'il avait bouffé une baie sauvage.
Ah ! l'horizon indépassable des vies de labeur de la middle class.

Merci Sean !

PS : fais gaffe quand même à ce que tu manges quand tu fais ta cueillette !

Écrit par : Oliv' | 28/01/2008

Hi ! Je ne partage pas ton avis sur le côté écrit d'avance de l'affaire et simpliste du scénario, ni même sur la linéarité de l'histoire ou le désespoir de l'aventure.

Il me semble au contraire que le parcours d'Alexander est riche, démonté par Penn pour être reconstruit à partir de l'escapade finale et qu'il reste ouvert quasiment jusqu'à la fin. Quant au désespoir, il est ici pour ainsi dire accidentel et pas du tout inscrit d'avance dans l'aventure comme ce serait le cas dans une authentique tragédie (mais on peut discuter en effet de l'interprétation des premières images).

Non, ce qui frappe surtout dans ton commentaire, c'est que tu y parais, comment dire, franchement soulagé par le fait qu'en tournant mal désormais, le vent mauvais de l'aventure justifierait du coup des choix plus tranquilles...

Quant à ta vision de Columbus comme économie de chasseurs-cueilleurs, c'est soit abracadabrantesque, soit... visionnaire si la crise des subprime continue comme ça !

Pour le reste, quelles nouvelles de ta nouvelle vie l'ami ?

Écrit par : Olivier | 05/02/2008

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