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08/11/2010

Faut-il sauver l'éducation américaine ? (1) Génération perdue ?

La revue « Politique américaine » (n°15, Hiver 2009-2010) consacre l’une de ses dernières livraisons au thème de « l’éducation, enjeu d’avenir pour l’Amérique ». Dans la place qu’occupent en effet les Etats-Unis dans le monde à partir d’une combinaison inégalée de puissance et d’influence, l’éducation, et ses figures emblématiques que représentent les grandes universités américaines, joue un rôle central. Or, depuis plusieurs années, en parallèle avec les interrogations sur la place de l’Amérique dans le monde qui ont émergé avec l’administration Bush, ce modèle est en crise.

L’école fut d’ailleurs un thème de réforme important de ces dernières années. Ainsi du « No Child Left Behind Act » de 2002 qui concernait l’enseignement général et tentait d’insuffler des obligations de résultat en échange des fonds fédéraux, en particulier pour les établissements difficiles. Or, dans un pays où la responsabilité principale de l’enseignement incombe au niveau local à hauteur de 70 %, la crise économique est venue aggraver la situation financière des Etats fédérés, aujourd’hui désastreuse.

Ecole publique : la crise contre la vision ?

La réforme de cette loi engagée en mars 2009 par l’administration Obama ne rompt d’ailleurs pas vraiment avec l’esprit de la loi. Elle reprend les mesures d’évaluation des maîtres en fonction des résultats des élèves aux tests généraux d’aptitude et un effort de conditionnalité pour les établissements fréquentés par les moins nantis et les minorités. Terrain difficile pour les Démocrates compte tenu des attentes de la clientèle électorale que sont pour eux les grandes organisations syndicales (d’ailleurs assez proches des syndicats français de l’Education nationale), à l’évidence déçues par cette approche minimaliste qui illustre une fois de plus le pragmatisme centriste de la méthode Obama.

C’est un sujet sur lequel la contribution de Jeffrey E. Mirel & Maris A. Vinovskis : « Perennial Problems with Federal Education Reform in the United States » apporte à la fois la profondeur historique d’un examen des politiques mises en œuvre depuis la Seconde Guerre Mondiale, et une analyse critique de l’action de l’administration Obama et de son Secrétaire à l’Education, Arne Duncan, au regard des engagements pris au cours de la dernière campagne présidentielle. L’amplification de la crise à l’automne 2008 a conduit à modérer l’aspect purement éducatif au profit de l’approche économique d’ensemble de l’American Recovery and Reinvestment Act (ARRA), dont l’éducation a d’ailleurs représenté une part significative. Jamais depuis Lyndon Johnson un tel effort n’avait en effet été consenti en la matière.

Simultanément, les fonds engagés apparaissent essentiellement voués à un soutien budgétaire ponctuel au détriment d’une approche de plus long terme ; et les mesures qualitatives, relatives par exemple aux standards académiques ou à la formation des enseignants, sont demeurées en deçà des attentes.

Dans un article intitulé : « Examining Teacher Turnover : The Role of School Leadership », Rekka Balu, Tara Béteille & Susanna Loeb montrent à cet égard que le faible taux de turnover général dans les écoles recouvre des situations très disparates. Les écoles les plus en difficulté qui réunissent majoritairement les élèves d’origine afro-américaine et les élèves aux résultats médiocres, sont en effet celles qui enregistrent le plus fort taux d’instabilité des maîtres.

Un phénomène qui a non seulement un coût économique mais aussi un impact sur les performances des élèves. Et une situation vis-à-vis de laquelle le pouvoir de gestion des proviseurs, important en théorie, se révèle avoir un impact plus limité en pratique à travers les pratiques de « strategic retention » (encourager les meilleurs à rester et les moins bons à partir) que beaucoup de chefs d’établissement, dans le Milwaukee qui a servi de base à cette étude particulière, considèrent comme relativement difficiles à mettre en œuvre.

Au total, une action politique vers ce secteur de l’éducation primaire et secondaire qui s’est montrée plus réactive que visionnaire, et aura été plus conformiste qu’audacieuse.

La recherche mieux servie que l’enseignement supérieur

« Quelle stratégie pour l’enseignement supérieur après le plan de relance ? » s’interroge de son côté John Aubrey Douglass, directeur de recherches au Public Policy and Higher Education Center de l’université de Californie à Berkeley. Le plan de relance est intervenu dans une situation critique, 2/3 des Etats fédérés (34 au total) ayant entrepris des coupes budgétaires très significatives dans l’enseignement supérieur.  Suppression de postes, réduction de dépenses de fonctionnement administratif, baisse des salaires, augmentation des inscriptions : toute la gamme des actions de baisse des coûts a été mise en œuvre. L’effort à fournir atteint parfois des proportions considérables : dans l’Etat de Washington, une université devra compenser une baisse des financements fédéraux à hauteur de 26 % tandis qu’une autre s’apprête à augmenter les frais d’inscription de 30 %. L’Etat de l’Illinois a supprimé un programme d’aides financières bénéficiant à 145 000 étudiants aux revenus modestes, voire très bas.

Les prêts étudiants ont certes bénéficié de financements supplémentaires significatifs, mais cette augmentation ne suffit pas à compenser les coûts élevés de l’enseignement supérieur. Au moins cette mesure aura-t-elle permis de contourner des intermédiaires spécialisés, tel que Sallie Mae, contestés, au profit de dotations fédérales directes. Mais elle laisse ouverte une interrogation de fond en termes d’équité et de contrat social dans un pays où les dettes des étudiants sorties de l’Université atteignent très souvent 20 000 dollars et parfois bien davantage, et où les droits d’inscription pour le secondaire privé se montent souvent à 10 000 dollars.

Si l’enseignement supérieur a été le secteur le plus touché par la récession, le plan de relance a eu néanmoins un impact très positif sur les Etats combinant à la fois des industries de pointe et un système universitaire de qualité. Plus de 18 milliards ont en effet été débloqués au titre d’un fonds supplémentaire destiné à la recherche. Cela ne représente pas plus de 2 % de la totalité des 787 milliards déboqués dans le cadre de l’ARRA, mais se traduit par des conséquences sensibles sur la productivité et l’emploi des secteurs scientifiques et technologiques. Au passage, cela inclut la relance du financement de la recherche sur les énergies nouvelles qui, bloquée par l’administration Bush, a pu reprendre après le nomination de Stephen Chu, prix Nobel de physique de l’université de Berkeley, à la tête du département de l’Energie. Une manne que Douglass qualifie au total « d’opportunité unique pour la communauté scientifique ».

Génération perdue ?

Dans la plupart des grands pays, qu’ils soient développés ou en développement, l’enseignement supérieur et la recherche sont considérés comme des atouts décisifs sur le moyen-long terme pour promouvoir à la fois le développement économique et une certaine égalité socio-économique. Nombre de ces pays – l’Allemagne, Taïwan, la Corée du Sud, la Chine, la France-même – ont d’ailleurs tenté dans la période récente de dynamiser leur action dans ce domaine en particulier à travers la constitution de pôles universitaires de haut rang.

Sous l’effet de l’impact très sévère de la crise sur les ressources publiques, si l’objectif de développement s’est trouvé maintenu, voire renforcé, l’objectif de promotion de l’égalité a pour sa part le plus souvent volé en éclats alimentant ainsi le risque d’une « génération perdue » évoquée par le directeur général du FMI. Face à ce risque, les solutions de l’avenir proche, désormais quantitativement réduites, semblent devoir conjuguer vision stratégique au niveau des Etats et recherche de financements diversifiés, auprès des institutions, des entreprises et des communautés locales.

 

29/07/2010

La passion selon Saint John

On se souvient dans Little Miss Sunshine de ce père, mi-rabâcheur mi-pathétique, ne perdant pas une occasion de rappeler à des enfants sceptiques ses préceptes du succès. Le succès est une passion américaine.

Mais pour Richard Saint-John, qui a mené une recherche de dix ans sur le sujet à travers cinq cents interviews de personnalités variées du monde des affaires et du spectacle, c'est la passion qui est précisément le premier ingrédient du succès. "Do it for love, not for money" disait-il en substance récemment sur TED. Concentrez-vous d'abord sur votre passion, sur ce qui vous fait vibrer. Le reste viendra naturellement.

Naturellement ? Pas tout à fait, car la leçon ne s'arrête pas là. Mauvaise nouvelle : sous la passion, le travail reste une valeur sûre. Bonne nouvelle : quand on aime, on ne compte pas. Ça compte bien, car toute entreprise d'envergure suppose, de fait, un labeur acharné. La plupart des personnalités interviewées par Saint-John, par exemple Russel Crowe, Rupert Murdoch ou Bill Gates, confessent travailler beaucoup... avec beaucoup de plaisir.

Troisième élément - mauvaise nouvelle cette fois pour les dilettantes : la focalisation. La clé, c'est de se concentrer sur un domaine, important à nos yeux, et de ne pas le lâcher. Commentaire personnel : c'est sans doute là, historiquement, la faiblesse de Strauss-Kahn ou, inversement, la force de Sarkozy, dont un psychologue soulignait sur "Ripostes" peu après son élection sa capacité à se focaliser sur un objectif justement. Le problème étant que rien n'indique dans la méthode de Saint-John que l'objectif en question soit limité à cinq ans.

Quatrième ingrédient : comme tout ceci est tout sauf naturel, il faut se pousser un peu. Beaucoup, en fait. Repousser ses limites indique à ce sujet Richard Branson, qu'elles soit celles de la timidité ou du doute. C'est pourquoi les mères ont été inventées souligne malicieusement l'auteur en s'appuyant sur l'exemple de Frank Gehry. Retour à la politique française : Alain Juppé a été, par exemple, très clair sur ce point. Mais voyez Rocard : cela peut aussi venir de la volonté de démontrer que l'on est capable de réussir dans un projet qui suscite le doute plus que le soutien paternel. A défaut de modèles parentaux forts, trouvez quelqu'un pour vous pousser, identifiez des défis, des objectifs, des échéances, rehaussez votre niveau d'auto-discipline, frottez-vous à la compétition !

Next (eh oui, le chemin du succès comprend 8 étapes) : les idées. La créativité. Avoir, mettre en oeuvre une idée qui fait la différence. L'idée de créer la première compagnie de logiciels pour Gates, l'art de conclure des deals pour Donald Trump. Tarun Khanna, le prof de stratégie de Harvard, ne démentirait pas ce précepte. Une vraie machine à produire des idées et à monter les deals qui vont avec, du jour au lendemain. Dans son cas, un mix d'intelligence conceptuelle et d'intelligence des situations rejoint un vrai sens de l'humour et du fun. Pendant que d'autres se creusent, Tarun s'amuse (je crois aussi qu'il fonctionne comme un radar permanent : même lorsqu'il se détend, il observe, scrute, analyse, élabore. La vitesse de connexion, la vitesse à établir des connexions, est aussi une partie significative de l'affaire).

Sixième marche : le progrès, le progrès continu, la passion de s'améliorer. Comment ? Guère de miracle là encore. Mon entraîneur de tennis de table, un champion polonais de ses amis et, plus tard, un ami croate qui fut champion junior en ex-Yougoslavie, m'ont dit la même chose : pratiquer, pratiquer, pratiquer. Flaubert, qui ne jouait pourtant pas au ping-pong, ne disait pas autre chose s'agissant de l'art d'écrire (vous vous souvenez : " L'inspiration ? C'est huit par jour à ma table de travail."). Saint-John prend ainsi pour exemple un type qui ne pratique pas sa discipline, trois, quatre, six ou neuf mois par an, mais douze. A plein temps. Seul problème : il s'agit de Lance Armstrong ce qui, entre ascensions et transfusions, crée tout de même un doute sur la pratique en question.

Le septième précepte est plus intéressant : c'est le sens du service. Apporter aux gens quelque chose qui a de la valeur. Des logiciels pour Gates, des discounts pour Walton (le fondateur de Walmart), des meubles pas chers pour Kamprad (Ikea), des trucs de déco pour Martha Stewart, qui disait : "J'ai été à la rencontre des gens avec des informations fiables et utiles, des idées et des produits qui leur apportaient de la valeur". Elle a été la première femme milliardaire. C'est tout bête.

Huitième et dernier élément : la persistance. Persévérer dans ce que l'on fait. Le succès, dit Larry Page, ne vient pas du jour au lendemain. Dans une large mesure, il est fonction du temps passé. Persistance dans le temps, donc. Mais aussi à travers ce que notre gourou du succès (soit dit en passant, à peine diplômé du secondaire et millionnaire) appelle "Persist through C.R.A.P." (crap = les ennuis, les conneries) : "Criticism, Rejection, Adversity, Prejudice" (les préjugés). Et, last but not least : la résistance aux échecs, qui fait partie de l'aventure, en termes aussi bien de résilience que d'apprentissage.

On résume : Passion, Work, Focus, Push, Ideas, Improve, Serve, Persist. Mon opinion est que les incitations (culturelles, financières) jouent un rôle initial et transversal puissant dans cette affaire. En somme, les Américains se racontent de nouveau une histoire. Mais cette success story en forme de leçon de méthodologie appliquée vaut quand même le détour intellectuel. Si la résistance culturelle persiste, remplacez "succès" par "accomplissement", ça ira mieux.

02/02/2009

Un dîner à New York autour de Strauss-Kahn (la crise, le monde, l'éducation)

Trois titres principaux à la une du New York Times hier : les problèmes posés par les bonus du secteur bancaire, les difficultés rencontrées par les professions juridiques - et l'intervention annoncée de Dominique Strauss-Kahn, à New York, devant les alumni de Sciences-Po.

Le directeur général du FMI n'y est pas allé par quatre chemins : la crise actuelle est grave et sera sans doute plus longue et plus profonde que prévu. Un an ? C'est un délai qui paraît court pour en sortir et les scenarii qui avaient laissé entrevoir une sortie de crise aidée par des économies émergentes présumées plus florissantes ont fait long feu dans ce qui s'impose, au moins depuis six mois, comme la première crise véritablement globale du capitalisme.

Deux, trois ans ne sont pas impossibles : le secteur financier est loin d'être sorti des problèmes; et les effets des plans d'aide tardent à se faire sentir dans toutes les grandes zones économiques. Impossible pourtant de sauter cette étape, aussi économiquement nécessaire que politiquement impopulaire, de soutien au secteur bancaire et financier sans laquelle l'économie ne saurait repartir.

Parallèlement, le principe d'un soutien volontariste de l'économie par une dépense publique active ("fiscal stimulus"), mis en avant par le FMI il y a un an déjà, s'est diffusé désormais à tous les grands pays - temps nécessaire de la pédagogie, de même peut-être qu'un certain temps sera nécessaire avant une nationalisation, au moins partielle, du secteur bancaire, si l'on en croit du moins les dernières analyses de Krugman, d'ailleurs récemment relayées par les ouvertures de Timothy Geithner.

Il reste que, plus qu'une crise financière, la crise actuelle apparaît comme une crise plus générale de gouvernance. Elle pose la question d'une avancée souhaitable vers une régulation plus globale qui pourrait se faire, de façon pragmatique, au niveau du G20. Elle suggère aussi d'élargir le rôle du FMI en matière de prévention des crises - des analyses sans doute menées de concert avec celles développées par Attali dans "La crise, et après?".

A moyen terme, au-delà des soubresauts économiques et financiers de la crise actuelle, les pays qui s'en sortiront le mieux sont-ils ceux qui ont le plus investi dans l'éducation ? Le directeur général du FMI fait ainsi le lien entre la situation économique générale et l'ambition de Sciences-Po de développer un modèle de financement plus anglo-saxon. Car si la dépense publique pour l'éducation est similaire en France et aux Etats-Unis, aux environs de 6% du PIB dans les deux pays, celle-ci n'est qu'une partie de l'investissement en Amérique quand elle en représente, en France, la quasi totalité - un fait à intégrer dans l'analyse plus globale que propose Frédéric Martel du modèle culturel américain.

Différence ? Un soutien privé via dons individuels et mécénat extrêmement vivace aux Etats-Unis, à quoi s'ajoute une bien moins grande ouverture à la compétition internationale en France, et ce en dépit de talents incontestables. Ainsi, sur les cinquante postes d'économistes ouverts par le FMI au cours des derniers mois, seule une portion infime a pu être disputée par des candidats français.

D'où l'objectif de Sciences-Po avec ce premier fund raising dinner à New York : lancer aux Etats-Unis une vaste campagne de levée de fonds pour permettre à l'Institut de la rue Saint-Guillaume de poursuivre ses projets de développement - un engagement international renforcé et une ouverture accrue à la diversité - au-delà des limites du financement public.

Rien moins, résume Richard Descoings, le directeur de l'IEP, que "d'ouvrir les portes et les fenêtres d'une société de castes". Un des rares moments d'applaudissements spontanés de la salle, qui valide aussi sec la différence de dynamisme et, plus encore, de mentalité existant entre les deux modèles.