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26/02/2007

Prospective (5) Et la France ?

"La France va mal. Son économie est incertaine, sa cohésion sociale menacée, ses finances en danger, son influence internationale affaiblie" lance Attali en ouvrant le chapitre qui clôt sa réflexion prospective. Le déclin de la France aurait-il vraiment commencé ? "Dans un monde de plus en dynamique, rapide, nomade, basculant dans l'ordre polycentrique, au bord de multiples guerres, la France basculerait alors du "milieu" vers la "périphérie".

Reste alors à comprendre comment les cinq années à venir détermineront en grande partie les cinquante suivantes pour se redonner des marges de manoeuvre avant que l'empressement - passé la présidentielle et compte tenu des élections à suivre - à reporter les décisions difficiles ne fasse plus lourdement basculer notre pays vers l'impuissance incantatoire et la marginalisation.

A trois reprises par le passé pourtant, la France a manqué sa chance de devenir la puissance dominante de l'Europe - le "coeur" de l'ordre marchand, aux XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, et cela pour trois raisons. La première est qu'elle a toujours privilégié la défense de l'agriculture, la rente foncière et les intérêts bureaucratiques au détriment de l'industrie, du profit, de l'innovation et des technologies du mouvement. La seconde est qu'elle a toujours négligé de constituer une force navale, une marine militaire et commerciale. Elle n'a jamais réussi enfin à susciter ni à accueillir une classe créative - "seulement, souligne l'auteur, des théoriciens et des artistes commandités par le pouvoir, et des administrateurs chargés de synthétiser et d'administrer mais surtout pas de prendre des risques".

Notre pays n'est pourtant pas dénué d'atouts. Avec moins de 1% de la population mondiale, il représente encore plus de 3% du PIB mondial. Il dispose du meilleur système de protection sociale au monde (6 millions de personnes bénéficient de la Sécurité sociale sans cotiser, 13 millions de personnes sont logées dans des HLM, 12 milliards d'euros sont dépensés pour payer un revenu minimum aux plus pauvres). Il est aussi le pays du monde où l'espérance de vie augmente le plus vite avec trois mois de plus tous les ans depuis vingt ans. Certaines entreprise françaises sont parmi les premières mondiales dans des secteurs clés de l'avenir (nucléaire, pétrole, gaz, aéronautique, agroalimentaire, esthétique, luxe...). La langue française reste parmi les plus parlées au monde avec 250 millions de locuteurs. La France a le troisième cinéma mondial, et est un des premiers pays au monde en livres publiés par habitant.

Et pourtant les signes d'un déclin sont déjà là. La France travaille moins que les autres : elle ne compte que 18 millions d'actifs sur 65 millions d'habitants et la durée annuelle du travail, avec 1600 heures, y est la plus basse du monde, alors qu'elle est aux Etats-Unis et au Japon de 1810 heures ; un Français produit 35% de moins qu'un Américain au cours de sa vie active, malgré une productivité horaire supérieure de 5% à celui-ci. Depuis 2000, notre pays a perdu près d'un point de part de marché mondial. Il ne produit presque aucun objet nomade. 12% seulement des Français possèdent un diplôme d'enseignement supérieur, et la première université française est classée 48ème par les Chinois. Nous comptons 0,6% de chercheurs contre près de 1% aux Etats-Unis et au Japon ; les Français déposent deux fois moins de brevets industriels que les Allemands ou les Suédois.

On ne laisse pas non plus les activités peu productives (assistantes maternelles, jardiniers, etc) se développer. Le taux de chômage semble incapable de descendre en dessous de 7%, et le nombre de personnes réellement sans emploi serait en réalité le double. Un chômeur canadien reste en moyenne quatre mois sans travail, tandis qu'il passe en France seize mois et demi sans travailler. Un jeune de moins de 25 ans sur quatre est au chômage, et c'est le cas du double des jeunes issus des minorités dites visibles, même et surtout s'ils sont diplômés. La classe moyenne n'est plus le point de départ d'une promotion sociale, comme c'était le cas depuis 1950 : 3,5 millions de personnes vivent au-dessous du seuil de pauvreté.

Dans le même temps, "la rente est partout" : dans les fortunes foncières, dans le marché imobilier, dans le recrutement des élites, dans la taille de l'Etat. Un million de fonctionnaires sont venus en vingt ans grossir l'appareil d'Etat ; la moitié des actifs travaillent dans le secteur public ; 200 000 fonctionnaires collectent encore l'impôt à l'heure de l'administration électronique. Les dépenses publiques et les impôts augmentent beaucoup plus vite que la production. Conséquence désormais connue: la dette publique, qui représentait 35% du PIB en 1991, atteint 67% du PIB en 2006 - ce qui représente une dette de 20000 euros pour chaque nouveau-né, le double en y incluant les engagements hors bilan liés aux retraites publiques. Si rien n'est fait, la dette publique représentera 80% du PIB en 2012 et 130% en 2020, et les intérêts annuels de la dette seront de 120 milliards d'euros en 2030 (contre 40 en 2006).

Notre pays ne représente aussi que le dixième budget de défense du monde ; il occupe le dix-huitième rang par habitant pour l'aide au développement. Alors que la croissance mondiale annuelle dépasse les 4%, celle de la France peine à atteindre les 2%. Nous ne sommes aujourd'hui qu'au sixième rang mondial en termes de PIB, et au dix-neuvième en termes de PIB par habitant. Notre pays vieillit : la part des plus de 60 ans doublera d'ici à 2050 pour atteindre 25 millions de personnes ; le ratio de dépendance démographique atteindra un cotisant pour un retraité dès 2025 alors qu'il était de quatre cotisants pour un retraité dans les années 80. Au rythme actuel d'évolution, dans dix ans, le niveau de vie des Français ne sera plus que de 60% de celui des Américains ; il sera même en passe d'être dépassé par un grand nombre des onze puissances émergentes.

Une telle évolution, et d'abord au plan financier, ne sera pas tenable dans un cadre européen. La cote de la France serait dégradée par les institutions financières (une hausse d'un point du taux d'intérêt se traduirait par une augmentation de 8 milliards d'euros de la charge de la dette) ; les dépenses publiques devront être réduites drastiquement, ce qui amplifiera la violence de la crise sociale et conduira la classe créative à prendre le large. La déconstruction des nations aura alors commencé un peu plus tôt en France qu'ailleurs.

"Plus le temps passe, moins la politique aura les moyens d'influer sur le réel, mais il est encore possible, pendant quelques années, d'éviter le désastre" souligne Attali. Si "la grandeur future d'une nation passe par la créativité, l'équité, la loyauté, la mobilité, le travail et la justice", alors deux axes directeurs peuvent fonder une réflexion sur la réforme : d'une part rendre à l'avenir ce qu'on lui a pris ; permettre au pays d'autre part de tirer le meilleur de l'avenir.

Pour rendre à l'avenir ce qu'on lui a pris, il faudrait établir les budgets de l'année 2008 et des suivantes de telle façon qu'ils dégagent un excédent suffisant pour rembourser la dette et, pour cela, réduire les dépenses de l'Etat d'au moins 10% par an et augmenter les impôts d'au moins 5% par an. D'où la nécessité, entre autres, de prendre des mesures courageuses en matière de réforme des institutions, à travers par exemple une réduction drastique des échelons décentralisés, d'entreprendre une chasse au gaspillage dans l'ensemble des administrations, de réduire massivement les subventions à l'agriculture et aux industries dépassées.

Pour tirer le meilleur parti de l'avenir, il conviendrait en particulier de promouvoir les nouvelles technologies, de reposer les bases d'une société équitable - il faudrait à cet égard sans doute retarder l'âge de la retraite d'au moins six ans, y compris pour les salariés du secteur public. Il serait aussi nécessaire d'accepter le principe de l'entrée sur le territoire de plusieurs centaines de milliers d'étrangers par an en lançant, pour réussir leur intégration, une ambnitieuse politique scolaire (la dépense publique par élève dans les ZEP est aujourd'hui inférieure d'un tiers à la moyenne nationale), culturelle et urbaine.

Renforcer l'efficacité du marché serait un autre axe de travail de la réforme, avec l'objectif de promouvoir le goût du travail, de la concurrence, de l'effort, de la curiosité, de la mobilité, de la mobilité, de la liberté, de l'aspiration au changement, au neuf. Il faudrait notamment pour cela favoriser les nouvelles entreprises, en particulier dans les domaines de la santé et de l'éducation, et construire les réseaux de communication essentiels au développement de l'ubiquité nomade dans notre pays. Il conviendrait encore de créer, attirer et retenir une classe créative, capable de favoriser l'épanouissement du dynamisme et de l'innovation dans notre pays.

D'autres pistes sont encore évoquées pour renforcer les moyens de l'influence et de la souveraineté. L'hyperdémocratie pourrait d'ailleurs constituer un nouvel axe d'influence internationale aussi bien que d'action nationale, en faisant notamment en sorte "d'organiser des espaces urbains et virtuels pour que s'y rencontrent ceux qui ont envie de se rendre utiles et ceux qui peuvent offrir des occasions de l'être".

Pour Attali, l'objectif final de cette action multiforme, dûment orientée vers l'avenir, reste de "mettre en oeuvre un idéal humain fait de mesure et d'ambition, de passion et d'élégance, d'optimisme et d'insolence, pour le plus grand bénéfice de l'humanité".

Pour le coup, voilà pris un peu de hauteur en même temps qu'un peu de matière à réflexion pour les semaines, et les mois à venir (commentaire à suivre).