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24/12/2007

New York City (1) West side story

Commence avec l'hiver le ballet des vols en retard dans les aéroports du nord. De Reagan (Washington DC) à JFK (New York), le vol, ce jour-là, est retardé d'heures en heures avant de se trouver finalement annulé à la nuit tombée. Il faut alors jongler avec les écrans, les annonces, les comptoirs et parfois même les places qui se libèrent à la criée (devant moi pour Boston par exemple) pour retrouver une place sur un autre vol et arriver, tant bien que mal, à bon port, à La Guardia en l'occurence.

L'attente dure de longues heures, mais il en va des aéroports en Amérique comme des tribus en Mélanésie : il faut d'abord renoncer à ce que l'on comptait pour acquis ou qui nous semblait familier, à ce que nous attendions à tout le moins de bonne foi comme un événement normal. Seul ce renoncement permet en effet, au lieu de s'opposer à l'inertie phénoménologique que le réel nous oppose alors, de basculer du côté du dérèglement, de l'accident, de la différence.

Les circonstances adverses prennent alors, comme par enchantement, l'allure d'une heureuse opportunité. Pour moi, ce jour-là, celle d'une liberté imprévue, utilisée au débotté entre un roman de Schneider sur Marilyn (il m'avait fait rater le vol aller...) et un compte rendu de mon entretien avec Jonathan Rauch auquel je pus travailler entre une table de Mac Do et une boutique de babioles chinoises.

J'aime la démesure de L.A. l'orgueil de Chicago, la quiétude de Washington ; ce que je préfère à New York, c'est le côté, comment dire, déglingué de la ville. C'est ce que manquent ici à peu près tous les visiteurs européens. On s'extasie sur la Cinquième ou bien sur Madison, on court au Moma quand ce n'est pas au Met, on se repose parfois à Central Park, entre deux traversées de la ville.

Mais la vérité est que New York est une ville sale, dont l'odeur est souvent saisissante en été, usée, rapiécée de toutes parts et toute déglinguée dès lors qu'on veut bien s'éloigner un instant des itinéraires convenus comme des projections qui, toujours, nous font manquer le réel. Un chauffeur de taxi, un français, me met une télé sur le siège arrière que je finis par éteindre, et m'amène à Manhattan en trombe dans une ford brinquebalante dont on aurait dit, à chaque chaos, qu'elle allait se disloquer. Cette fois, le point de chute est dans le West Side, entre Columbus et Amsterdam Avenue.

11/10/2007

Un tour du monde express (5) A Sydney, Sex and Death dans Botanic Gardens

Au dernier moment, vers minuit, le vol d'United Airlines est annulé. Un problème de train d'atterrissage, semble-t-il. Dans l'assemblée des voyageurs, au bout du terminal, entre un maquereau caribéen et une vamp hollywoodienne, un businessman pakistanais et une mamie aussie, la fatigue creuse les visages ; pourtant, tout le monde se dirige avec calme vers l'enregistrement pour cette nuit d'hôtel improvisée.

Poursuivant la route vers l'ouest, on remonte le temps, entre deux escales ; en fait, on ne sait plus très bien ni où l'on est, ni quelle heure il est - et si on parvient à savoir l'heure, on ne voit plus très bien à quoi elle correspond sur le lieu de départ, lui-même lieu d'emprunt temporaire qui n'est pas le centre de gravité horaire que représente toujours, psychologiquement, l'origine non du départ, mais de l'expatriation.

Décalages en chaîne, qui ne sont pas qu'horaires. Ces trajectoires segmentées fragmentent le temps et l'espace ; en même temps, le mouvement renforce un étrange sentiment d'unité du monde et de familiarité avec les lieux que l'on traverse, comme autant de banlieues éclatées d'on-ne-sait-plus quel centre. Long survol de Polynésie, puis de la Mélanésie à l'autre bout. En bas, sous les boules de nuages qui quadrillent le plafond avec une régularité de toile aborigène, c'est le paradis. Un berceau du monde, avec des histoires d'australopithèques à rendre fous ceux qui les sous-estimeraient.

Sydney enfin, un nouveau soir venu. J'avais presque oublié cette Los Angeles proprette et sage qui fut jadis, de Nouméa, une oasis - surgie du désert, qui s'accroche à la baie et s'ouvre sur la mer. Sur le wharf de Woolloomooloo Bay, le Blue Hotel a pris ses quartiers dans un ancien entrepôt maritime relooké en résidence de luxe. Quelques vieux treuils de bois gris y surplombent un immense lobby bar, au-dessous de chambres cossues qui s'étirent le long de la baie, entre Potts Point et Macquaries Road.

Jamais ce tour du monde n'aura été aussi express. Pas le temps cette fois, de flâner sur Pitt Street, de remonter Oxford Street jusqu'aux belles villas victioriennes de Paddington, de retrouver Hyde Park, de bifurquer sur King Cross pour une gargote italienne sur Victoria Street ou bien un palais thaï plus loin vers Darlinghurst. A peine celui d'un détour par les Rocks, au-delà de Circular Quay, jusqu'à la pâtisserie française, et plus tard d'une incursion dans le musée des Nouvelles Galles du Sud pour une veduta de Canaleto.

C'est le printemps dans les Royal Botanic Gardens, lorsqu'on passe la porte de Woollomooloo, juste au-dessus de la madonne bienveillante de Fleischmann qui fait un signe discret au promeneur de passage. Entre les tours d'affaire qui surgissent à l'ouest au long de Macquarie Street et les flancs de la New South Wales Gallery, le parc s'étale de tout de son long jusqu'à la pointe avancée qu'il forme sur Port Jackson, où flamboie l'Opéra. Au petit matin, les jardins s'ébrouent lentement de tous côtés.

Sous son ordonnancement apparent, ce parc est une jungle qui reprend ses droits à la moindre occasion, derrière un taillis ou dans un massif à l'écart. De puissants ficus s'étalent au-dessus des pelouses comme de lourds parasols. Des pins, des fougères sont contenus avec peine derrière les méandres policés des sentiers ; sur les palmiers royaux, les chauve-souris sont reines, emmaillotées dans de larges ailes noires qu'elles ne déploient en plein jour que par nécessité, et avec maladresse.

Un peu plus haut, dans un recoin du parc, le jardin tropical est une apothéose. Sex and death : un marketing tapageur y vient au secours de secrets botaniques sur la sexualité des orchidées. Sous la pyramide de verre, des gynostèmes rouge vif y défient les fougères immenses qui coiffent la serre. Dans l'étuve des sentiers, à peine rafraîchie de-ci de-là par le crachin des vaporisateurs, on circule en silence. Cette alcôve végétale est un temple perdu.

De nouveau, il faut repartir.