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29/07/2010

La passion selon Saint John

On se souvient dans Little Miss Sunshine de ce père, mi-rabâcheur mi-pathétique, ne perdant pas une occasion de rappeler à des enfants sceptiques ses préceptes du succès. Le succès est une passion américaine.

Mais pour Richard Saint-John, qui a mené une recherche de dix ans sur le sujet à travers cinq cents interviews de personnalités variées du monde des affaires et du spectacle, c'est la passion qui est précisément le premier ingrédient du succès. "Do it for love, not for money" disait-il en substance récemment sur TED. Concentrez-vous d'abord sur votre passion, sur ce qui vous fait vibrer. Le reste viendra naturellement.

Naturellement ? Pas tout à fait, car la leçon ne s'arrête pas là. Mauvaise nouvelle : sous la passion, le travail reste une valeur sûre. Bonne nouvelle : quand on aime, on ne compte pas. Ça compte bien, car toute entreprise d'envergure suppose, de fait, un labeur acharné. La plupart des personnalités interviewées par Saint-John, par exemple Russel Crowe, Rupert Murdoch ou Bill Gates, confessent travailler beaucoup... avec beaucoup de plaisir.

Troisième élément - mauvaise nouvelle cette fois pour les dilettantes : la focalisation. La clé, c'est de se concentrer sur un domaine, important à nos yeux, et de ne pas le lâcher. Commentaire personnel : c'est sans doute là, historiquement, la faiblesse de Strauss-Kahn ou, inversement, la force de Sarkozy, dont un psychologue soulignait sur "Ripostes" peu après son élection sa capacité à se focaliser sur un objectif justement. Le problème étant que rien n'indique dans la méthode de Saint-John que l'objectif en question soit limité à cinq ans.

Quatrième ingrédient : comme tout ceci est tout sauf naturel, il faut se pousser un peu. Beaucoup, en fait. Repousser ses limites indique à ce sujet Richard Branson, qu'elles soit celles de la timidité ou du doute. C'est pourquoi les mères ont été inventées souligne malicieusement l'auteur en s'appuyant sur l'exemple de Frank Gehry. Retour à la politique française : Alain Juppé a été, par exemple, très clair sur ce point. Mais voyez Rocard : cela peut aussi venir de la volonté de démontrer que l'on est capable de réussir dans un projet qui suscite le doute plus que le soutien paternel. A défaut de modèles parentaux forts, trouvez quelqu'un pour vous pousser, identifiez des défis, des objectifs, des échéances, rehaussez votre niveau d'auto-discipline, frottez-vous à la compétition !

Next (eh oui, le chemin du succès comprend 8 étapes) : les idées. La créativité. Avoir, mettre en oeuvre une idée qui fait la différence. L'idée de créer la première compagnie de logiciels pour Gates, l'art de conclure des deals pour Donald Trump. Tarun Khanna, le prof de stratégie de Harvard, ne démentirait pas ce précepte. Une vraie machine à produire des idées et à monter les deals qui vont avec, du jour au lendemain. Dans son cas, un mix d'intelligence conceptuelle et d'intelligence des situations rejoint un vrai sens de l'humour et du fun. Pendant que d'autres se creusent, Tarun s'amuse (je crois aussi qu'il fonctionne comme un radar permanent : même lorsqu'il se détend, il observe, scrute, analyse, élabore. La vitesse de connexion, la vitesse à établir des connexions, est aussi une partie significative de l'affaire).

Sixième marche : le progrès, le progrès continu, la passion de s'améliorer. Comment ? Guère de miracle là encore. Mon entraîneur de tennis de table, un champion polonais de ses amis et, plus tard, un ami croate qui fut champion junior en ex-Yougoslavie, m'ont dit la même chose : pratiquer, pratiquer, pratiquer. Flaubert, qui ne jouait pourtant pas au ping-pong, ne disait pas autre chose s'agissant de l'art d'écrire (vous vous souvenez : " L'inspiration ? C'est huit par jour à ma table de travail."). Saint-John prend ainsi pour exemple un type qui ne pratique pas sa discipline, trois, quatre, six ou neuf mois par an, mais douze. A plein temps. Seul problème : il s'agit de Lance Armstrong ce qui, entre ascensions et transfusions, crée tout de même un doute sur la pratique en question.

Le septième précepte est plus intéressant : c'est le sens du service. Apporter aux gens quelque chose qui a de la valeur. Des logiciels pour Gates, des discounts pour Walton (le fondateur de Walmart), des meubles pas chers pour Kamprad (Ikea), des trucs de déco pour Martha Stewart, qui disait : "J'ai été à la rencontre des gens avec des informations fiables et utiles, des idées et des produits qui leur apportaient de la valeur". Elle a été la première femme milliardaire. C'est tout bête.

Huitième et dernier élément : la persistance. Persévérer dans ce que l'on fait. Le succès, dit Larry Page, ne vient pas du jour au lendemain. Dans une large mesure, il est fonction du temps passé. Persistance dans le temps, donc. Mais aussi à travers ce que notre gourou du succès (soit dit en passant, à peine diplômé du secondaire et millionnaire) appelle "Persist through C.R.A.P." (crap = les ennuis, les conneries) : "Criticism, Rejection, Adversity, Prejudice" (les préjugés). Et, last but not least : la résistance aux échecs, qui fait partie de l'aventure, en termes aussi bien de résilience que d'apprentissage.

On résume : Passion, Work, Focus, Push, Ideas, Improve, Serve, Persist. Mon opinion est que les incitations (culturelles, financières) jouent un rôle initial et transversal puissant dans cette affaire. En somme, les Américains se racontent de nouveau une histoire. Mais cette success story en forme de leçon de méthodologie appliquée vaut quand même le détour intellectuel. Si la résistance culturelle persiste, remplacez "succès" par "accomplissement", ça ira mieux.

17/01/2008

Les nouvelles élites (1) Mao, Sarko, boulot

Apostrophe

Dans un projet d'article pour Le Monde, j'avais, juste après l'élection de mai, insisté sur le fait que ce qui me semblait essentiel à l'issue de l'élection présidentielle, c'était qu'elle consacrait l'émergence d'une nouvelle génération - une génération qui, dans tous les domaines, aspirait à prendre le pouvoir. C'est par là que commence Fouks et son équipe dans "Les nouvelles élites - Portrait d'une génération qui s'ignore" (Plon) : "L'élection, dit-il, vient de révéler le fait générationnel en France : elle va permettre à une nouvelle génération du pouvoir d'exister".

Comme je l'ai fait pour le dernier ouvrage de prospective d'Attali (cf Brève histoire de l'avenir), je voudrais ici rendre compte assez largement de cet ouvrage qui, pour les gens de ma génération, me semble marquer, comme on dirait dans les officines gauchistes, un moment de conscientisation particulier sans lequel on comprend mal, je crois, tant la lassitude sociale-démocrate que l'émergence du phénomène Sarkozy. Je vous propose de le faire avec vous, d'une façon largement ouverte au dialogue, aux analyses croisées, à l'esprit critique - il ne manque guère par ici -, à l'apostrophe sinon à l'invective, et cela aussi bien avec la génération qui précède qu'avec celle qui suit. Si tout le monde s'y met, ça nous promet une belle discussion, sur un terrain qui semble un peu plus digne d'intérêt que le clinquant du moment.

Génération diverse

Yade, Mignon, Bertrand, Dati, Wauqiez, Kociusko-Morizet : il y a eu sur ce point une incontestable audace de Sarkozy tandis qu'au PS, comme dans l'administration, ce sont toujours les statuts laborieusement acquis (au prix d'un recyclage des vieilles idées en guise de créativité souligne Daniel) et l'avancement à l'ancienneté qui prévalent. En même temps, c'est un renouvellement qui dépasse la seule question de l'âge : ce gouvernement intègre, de fait, des personnalités issues de la diversité, des gens de droite et de gauche, des professions libérales et non seulement des fonctionnaires, bref, c'est un autre paysage du pouvoir, plus proche du visage divers de la société.

En sens inverse, actant le fait que le vrai pouvoir est aujourd'hui économique, les hauts fonctionnaires désertent plus volontiers le service de l'Etat pour rejoindre le privé - et ce n'est certes pas ici qu'on se lancera dans l'habituel couplet anti-pantouflage. "C'est là, en effet, que s'initient et se développent les véritables dynamiques de changement". Après la "rétention chiraco-jospinienne" - une glaciation ? -, les forces vives se libèrent. "En cinq ans, rappelle Fouks, la moyenne d'âge du CAC 40 ets passée à cinquante-quatre à quarante-six ans". Si ce renouvellement générationnel a tant tardé pourtant, c'est que la génération d'avant, celle de Mai 68, "a préféré la rupture à la transmission, en favorisant les logiques d'establishment : les révolutionnaires d'hier sont devenus les conservateurs d'un système égoïste et dangereux".

Cela aurait commencé le 21 avril 2002 avec l'accession du Front National au second tour de l'élection présidentielle. "D Day" avec "D" pour défiance. Consécration d'une société de défiance généralisée. Ce serait au fond, écrivent les auteurs, "l'histoire d'un type un peu solitaire qui, sans nostalgie pour le passé, n'aurait pas une grande confiance dans l'avenir". Ce qui caractérise cette génération, c'est en effet la fin des idéologies qui avaient porté la génération d'avant. Un interviewé complète le propos : "Nous nous sommes, pour ce qui est de notre imaginaire politique, construits entre le 10 mai 1981 et le 21 avril 2002 avec, dans l'intervalle, le 11 septembre" - et le 9 novembre 1989 faudrait-il naturellement ajouter. Avec les affaires qui marquent le début des années 90 et l'ombre portée sur la fin du deuxième septennat de François Mitterrand, c'est aussi une période de désacralisation du politique.

Désespoir et bravitude

Cette génération (celle qui avait entre cinq et vingt ans en 1981) est aussi une génération sans histoire au sens où aucun événement fondateur, guerre ou révolution, n'est venu lui donner corps. Plus important encore, elle émerge, non pas dans un climat économique radieux, mais à l'époque des "trente piteuses", dans une société "où le travail n'apparaissait plus comme une valeur, mais comme une variable d'ajustement". "Le sida, la monogamie, la sécurité de l'emploi, c'est terne, mais c'est nous" dit un désespéré.

Dans cette "mix génération", ce qui prime, c'est la diversité. "Structurées par les différences, les alterélites mêlent les influences. Le rapport à la diversité structure donc leur vision du monde et leurs représentations. Vitesse, profusion, multiplicité sont les éléments avec lesquels elles ont dû apprendre à composer. De ce fait, les élites de 30-45 ans se fabriquent un nouveau mode de pensée et d'action, fait de croisements, de télescopage, d'hybridation".

L'ambition ? Elle s'est pour le coup ramené à la sphère familière : "le bonheur des gens autour, la famille, les collaborateurs", bref, le monde qui nous entoure, jusqu'à un singulier renversement des élans : "Nous sommes de parfaits égoïstes de façon collective, et de parfaits altruistes, de façon individuelle". Une valeur ? Dans un monde divers, c'est forcément la tolérance qui l'emporte. Avec la combativité qu'il faut pour tâcher simultanément de faire prévaloir ses idées. Ce qui compte, résume un jeune chef d'entreprise avec une inflexion plus managériale, c'est "le respect des valeurs, le goût de l'effort, la nécessité de se dépasser pour progresser".

28/11/2007

Rudy, Sarko & les autres (politique et réalité)

D'ici, je veux dire, non seulement des Etats-Unis mais plus encore de l'intérieur du pays, on le voit venir assez clairement. Là-bas, en Europe, c'est la même erreur qui semble en passe de se reproduire. Celle-là même qui fit que l'on se saisit alors du seul sondage qui lui était favorable - encore était-ce de justesse - parmi des dizaines d'autres pour faire, avant 2000, de John Kerry le futur président des Etats-Unis. On connaît la suite de ce brillant pronostic.

Ce n'est pas tant que la France ne comprend rien à l'Amérique, ou que l'Europe est trop lointaine. Non, c'est toujours le même tropisme élitiste depuis les capitales, la même erreur que commettent d'ailleurs les progressistes avec plus d'entrain que les conservateurs - car c'est fondamentalement une question de rapport au réel : tandis que les uns ne le voient souvent plus à force de le rêver, les autres en font la matière de leurs victoires. C'est une erreur que ne fit pas Mitterrand chez nous, qui se paya même le luxe d'inverser le paradigme : la Province, avec lui, l'emportait sur Paris. Et si elle demeura, avec son successeur, une référence, ce fut davantage par goût pour le terroir que par anthropologie politique.

Quant à l'actuel président de la République et à son staff - le président a su imposer à son équipe des thèmes et des angles qui dérangeaient, mais dont il sentait qu'ils seraient décisifs -, ils ont démontré la même puissance de feu que les stratèges de Bush en 2004. Songez encore à Rove travaillant la Bible Belt tel un orfèvre et repensez, inversement, à l'erreur stratégique des élus Républicains manquant, il y a peu, la portée révolutionnaire du projet de légalisation des immigrés illégaux. L'art de gagner les élections est devenu un business hautement spécialisé et, chez les meilleurs, redoutablement efficace.

Ainsi, tandis que les préparatifs des premiers caucus font rage et que l'Iowa commence à concentrer tous les regards, tandis que les principaux medias paraissent essentiellement préoccupés de la remontée à grande vitesse qu'est en train d'opérer Obama vis-à-vis d'Hilary, l'intérieur a déjà tranché, et depuis belle lurette : les Etats-Unis d'Amérique ne sont pas prêts de se donner pour président... une femme ou un Noir. Au moins, dans un pays qui accomplit par ailleurs, dans sa passion de la segmentation, les délices conjuguées de l'anthropolgie et du marketing, la question reste-t-elle ouverte de savoir laquelle de ces deux caractéristiques constitue le principal handicap...

Tout un programme, en effet, qui n'est guère politiquement correct celui-là - et qui nous emmène loin, bien loin, de nos projections sporadiques sur cette rive-ci de l'Atlantique. Ah, comme est belle l'Amérique que nous rêvons ! Et comme est décevante celle qui gagne les élections entre les ranches et les églises...

"C'est un prénom doux pour un garçon" dit une internaute, qui a tôt fait d'ajouter que c'est aussi un prénom "qui a du caractère". Qui en douterait, en voyant Giuliani, de meeting en meeting, prendre de l'assurance et de l'ampleur en peaufinant un argumentaire de combat ancré dans les décombres de 9/11 et de sa geste de bourgmestre avisé ?

Steffan, qui jouait encore au golf avec lui il y a peu du côté de Brooklyn, en fait un type d'envergure. Et module : bien sûr, ses antécédents démocrates, ses moeurs décousues, ses positions libérales sur des sujets comme l'avortement (qui passent toujours aussi mal, décidément, dans les cercles religieux), tout cela rendrait presque sceptique sur le dénouement de l'affaire. Mais les Républicains, qui ont un rapport plus puissant à la réalité, savent qu'il est de toutes façons en mesure de battre le candidat démocrate qui sera retenu, quel qu'il soit. Et feront donc de lui leur candidat.

Et Rudy, alors qu'il était invité hier à un forum du "Politics & Eggs", de se livrer à une causerie développant avec efficacité les thèmes de prédilection du camp républicain - affirmation de la puissance, baisse des impôts, etc - en l'appuyant sur une vision revendiquée avec force et un leadership tout en succès engrangés mais qui, pour être ciselé, ne fait pourtant guère dans la dentelle. Et de se payer même le luxe de confesser qu'il reprendrait volontiers à son compte le programme que, sous les applaudissements du Congrès, vient d'exposer ici... Nicolas Sarkozy.

31/05/2007

Puissance publique vs participation démocratique (sur l'environnement, suite)

Pour tout dire, l'approche américaine de la question environnementale tranche avec une attitude européenne à la fois plus angélique et plus incantatoire, qui peine à faire de ce nouveau paradigme, non une contrainte réglementaire et un handicap compétitif de plus, mais une opportunité nouvelle de créer de l'activité et du progrès.

Il faudra suivre avec attention, à cet égard, la création du nouveau ministère Juppé dont Allègre prétendait récemment que, selon la stratégie qui sera adoptée, elle était susceptible de révéler un gisement potentiel d'un million d'emplois.

Au fond, la différence entre les deux systèmes oppose moins la morale et le business, la quête du sens et la production de cash - le cas Anderson souligne assez combien la dimension éthique reste un puissant vecteur de mobilisation et d'action dans la culture américaine - qu'une capacité inégale à se saisir collectivement d'un grand sujet et à le transformer en marché.

Elle révèle également une approche très différente de l'action publique, souvent aussi réglementaire en Europe qu'elle est partenariale aux Etats-Unis. De fait, l'opposition de l'administration Bush à toute montée en puissance trop rapide de ce thème sur la scène internationale, non seulement présente l'intérêt de protéger les intérêts à court terme de ses entreprises, et notamment de ses majors pétrolières, mais elle permet aussi aux firmes américaines, comme ce fut le cas pour Du Pont de Nemours il y a vingt ans dans le dossier des CFC, de travailler d'arrache-pied pour s'insérer au mieux dans ce nouveau paradigme économique et, le moment venu, en prendre le leadership (voir par ailleurs "La révolution verte est en marche").

De ce point de vue, la réhabilitation de l'action publique "puissance" que tente Nicolas Sarkozy avec la double ambition de mieux protéger les citoyens et de muscler l'industrie française dans la compétition internationale, tout en plaçant la question environnementale au coeur des préoccupations du gouvernement, ne paraît pas a priori sans vertu.

Elle se démarque de l'action publique "participation" qui fut, tout au long de la campagne présidentielle, l'axe de renouveau politique et comme la marque de fabrique de Ségolène Royal. Mais, si la participation fait sans doute beaucoup au renouvellement des formes de la vie démocratique, elle ne fait pas, en soi, une stratégie.

Ce fut sans doute le piège incantatoire dans lequel la candidate socialiste s'est laissée enfermer (et dont sa prise de position sur la Turquie a constitué un révélateur). Ainsi, sur le travail comme sur l'industrie, sur la protection comme sur la croissance, ce ne fut pas le moindre paradoxe idéologique de la dernière campagne présidentielle que d'avoir vu les socialistes pris à contrepied de ce qui aurait pourtant dû fonder leur légitimité et leur positionnement dans le débat, et qui ne fit que les prendre en défaut d'imagination autant que de réalisme.

La puissance contre la participation ? Voire. Une stratégie de puissance gagnante, comme le montre à nouveau l'exemple américain, ne va pas sans une large mobilisation des citoyens certes, mais aussi des entreprises et des salariés. Cela est d'ailleurs notamment le cas pour les questions environnementales compte tenu de la charge émotionnelle et de la portée civique désormais acquises par ces sujets, dont rend d'ailleurs compte la démocratisation significative des enquêtes publiques réalisée au cours de ces vingt dernières années.

En réalité, ce qui paraît disqualifié, ce n'est pas la participation en soi - qui s'impose d'ailleurs aujourd'hui, notamment à travers le web, davantage qu'elle n'est proposée par les responsables politiques -, c'est la participation "miroir" par opposition à une participation "projet" - projet qu'il s'agirait moins, pour chacun, de définir que de compléter, d'énoncer que d'infléchir.

Il s'agissait moins au fond, dans ce débat, de faire de chacun le co-président de la France que de rechercher l'adhésion à un autre avenir collectif, d'alimenter la ferveur démocratique que de reconquérir un peu de puissance publique. Et c'est en quoi, une fois n'est pas coutume, au-delà des rhétoriques de campagne, les slogans des deux candidats ont effectivement porté la différence des approches.

14/05/2007

Penser neuf (petites explications entre amis)

Pour l'occasion, il a tout de même fallu que je repasse voter au pays, heureuse coïncidence. Encore que : je me suis résolu à un vote social-démocrate, sans conviction ni enthousiasme avec, qui plus est, la mauvaise conscience de faire un choix qui ne serait en accord, au fond, ni avec mon attente de changement, ni avec le diagnostic de la situation politique qui s'impose. C'est qu'il y a dans tout vote une dimension affective et culturelle, le tissu des amitiés et le souvenir des engagements, qu'il faut savoir contrebalancer par l'exercice d'une forme de raison politique.

C'était bien la peine.

Quel lamentable figure a en effet offert le PS au cours de la soirée, entre les gesticulations ridicules et les coquetteries déplacées de Ségolène Royal, et les armes que l'on commençait à fourbir alentour, sans moyens évidents autres que réthoriques, sur un air de primaires mal digérées. Toujours pas de leader, et encore moins de programme qui tienne la route. La sociale-démocratie à la française en se construira pas de sitôt avec ce PS moribond-là.

De l'autre côté, un leader incontesté, et même légitimé qui, maintenant qu'il a réussi son OPA sur le FN comme jadis Mitterrand sur le PC, en nous débarrassant du même mouvement du problème qui pourrit la vie politique française depuis vingt ans, peut se payer le luxe de l'ouverture, du rassemblement et de la métamorphose annoncée.

La bataille pour le pouvoir exacerbe, son obtention apaise ; elle a soudain donné l'impression, l'autre soir, de pouvoir faire grandir cet homme politique-là, désormais face à la responsabilité d'un parler vrai qui a changé de camp. Et de dessiner le creuset d'une remise à plat des fondements d'un système qui ne marche plus et que, prisonnière de ses bastions sociologiques, la gauche démocratique ne peut remettre en cause.

Le conservatisme a changé de camp.

Il me vient l'idée que Sarkozy pourrait être un Rocard qui aurait réussi - plus ambitieux, plus clair, plus efficace. Plus à droite ? Oui, mais dans le meilleur des cas, le pays se gouverne au centre, le sens et l'art de la réforme en plus.

Il n'y a, au jour d'aujourd'hui, pas de raison de diaboliser le sarkozysme, qui prend l'allure, non sans tenue le soir des résultats, d'une rupture à la française. Si le sujet prioritaire, c'est de débloquer la société et de libérer les énergies, alors Sarkozy est le mieux placé, et le plus talentueux du paysage politique français actuel depuis cinq ans, pour le faire. Le reste est procès en sorcellerie sorti tout droit des officines de l'extrême gauche qui, comme dit Rocard, " se croit radicale alors qu'elle n'est qu'impuissante". Ou risques que les contrepoids naturels de la démocratie devraient pouvoir circonscrire, sous l'influence du Parti démocrate et de l'aile la plus éclairée du PS.

Penser neuf, dans cette affaire, c'est prendre acte que, dans la compétition post-idéologique des années 2000, le sarkozysme comme projet et comme volonté a une ou deux bonnes longueurs d'avance sur l'impuissance socialiste et la "résistance" bayrouiste.

Attendre cinq ans encore ?

Mais nous n'avons déjà que trop pris de retard avec ces dix malheureuses années de chiraquisme. Ce n'est pas d'impuissance démocratique ni même de résistance historique dont nous avons fondamentalement besoin aujourd'hui, mais d'une nouvelle dynamique capable de réouvrir les possibles et de changer la donne d'un vieux pays à bout de souffle.

Dont acte.