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28/11/2007

Rudy, Sarko & les autres (politique et réalité)

D'ici, je veux dire, non seulement des Etats-Unis mais plus encore de l'intérieur du pays, on le voit venir assez clairement. Là-bas, en Europe, c'est la même erreur qui semble en passe de se reproduire. Celle-là même qui fit que l'on se saisit alors du seul sondage qui lui était favorable - encore était-ce de justesse - parmi des dizaines d'autres pour faire, avant 2000, de John Kerry le futur président des Etats-Unis. On connaît la suite de ce brillant pronostic.

Ce n'est pas tant que la France ne comprend rien à l'Amérique, ou que l'Europe est trop lointaine. Non, c'est toujours le même tropisme élitiste depuis les capitales, la même erreur que commettent d'ailleurs les progressistes avec plus d'entrain que les conservateurs - car c'est fondamentalement une question de rapport au réel : tandis que les uns ne le voient souvent plus à force de le rêver, les autres en font la matière de leurs victoires. C'est une erreur que ne fit pas Mitterrand chez nous, qui se paya même le luxe d'inverser le paradigme : la Province, avec lui, l'emportait sur Paris. Et si elle demeura, avec son successeur, une référence, ce fut davantage par goût pour le terroir que par anthropologie politique.

Quant à l'actuel président de la République et à son staff - le président a su imposer à son équipe des thèmes et des angles qui dérangeaient, mais dont il sentait qu'ils seraient décisifs -, ils ont démontré la même puissance de feu que les stratèges de Bush en 2004. Songez encore à Rove travaillant la Bible Belt tel un orfèvre et repensez, inversement, à l'erreur stratégique des élus Républicains manquant, il y a peu, la portée révolutionnaire du projet de légalisation des immigrés illégaux. L'art de gagner les élections est devenu un business hautement spécialisé et, chez les meilleurs, redoutablement efficace.

Ainsi, tandis que les préparatifs des premiers caucus font rage et que l'Iowa commence à concentrer tous les regards, tandis que les principaux medias paraissent essentiellement préoccupés de la remontée à grande vitesse qu'est en train d'opérer Obama vis-à-vis d'Hilary, l'intérieur a déjà tranché, et depuis belle lurette : les Etats-Unis d'Amérique ne sont pas prêts de se donner pour président... une femme ou un Noir. Au moins, dans un pays qui accomplit par ailleurs, dans sa passion de la segmentation, les délices conjuguées de l'anthropolgie et du marketing, la question reste-t-elle ouverte de savoir laquelle de ces deux caractéristiques constitue le principal handicap...

Tout un programme, en effet, qui n'est guère politiquement correct celui-là - et qui nous emmène loin, bien loin, de nos projections sporadiques sur cette rive-ci de l'Atlantique. Ah, comme est belle l'Amérique que nous rêvons ! Et comme est décevante celle qui gagne les élections entre les ranches et les églises...

"C'est un prénom doux pour un garçon" dit une internaute, qui a tôt fait d'ajouter que c'est aussi un prénom "qui a du caractère". Qui en douterait, en voyant Giuliani, de meeting en meeting, prendre de l'assurance et de l'ampleur en peaufinant un argumentaire de combat ancré dans les décombres de 9/11 et de sa geste de bourgmestre avisé ?

Steffan, qui jouait encore au golf avec lui il y a peu du côté de Brooklyn, en fait un type d'envergure. Et module : bien sûr, ses antécédents démocrates, ses moeurs décousues, ses positions libérales sur des sujets comme l'avortement (qui passent toujours aussi mal, décidément, dans les cercles religieux), tout cela rendrait presque sceptique sur le dénouement de l'affaire. Mais les Républicains, qui ont un rapport plus puissant à la réalité, savent qu'il est de toutes façons en mesure de battre le candidat démocrate qui sera retenu, quel qu'il soit. Et feront donc de lui leur candidat.

Et Rudy, alors qu'il était invité hier à un forum du "Politics & Eggs", de se livrer à une causerie développant avec efficacité les thèmes de prédilection du camp républicain - affirmation de la puissance, baisse des impôts, etc - en l'appuyant sur une vision revendiquée avec force et un leadership tout en succès engrangés mais qui, pour être ciselé, ne fait pourtant guère dans la dentelle. Et de se payer même le luxe de confesser qu'il reprendrait volontiers à son compte le programme que, sous les applaudissements du Congrès, vient d'exposer ici... Nicolas Sarkozy.

26/10/2007

Une famille qui roule peut toujours en cacher une autre (sur Little Miss Sunshine)

C'est une famille américaine typique de la middle class. Il y a le père, Richard, qui ne pense qu'à vendre sa méthode pour réussir en neuf points, pas un de moins. Le grand-père qui, s'étant fait virer d'une maison de retraite de luxe pour abus de drogues, échoue chez ses enfants, mi-reclus, mi-rebelle. Le beau-frère, Frank (le portrait craché de Nani Moretti, mais il s'agit de Steve Carell), spécialiste de Proust qui, éconduit par son jeune amant au profit de son rival à l'Université, se remet péniblement d'une tentative de suicide. Le fils, Dwayne, qui a fait voeu de silence jusqu'à son intégration à l'Air Force Academy, et qui, au beau milieu d'une franche adolescence, déteste franchement sa famille.

Voilà pour les hommes, aussi majoritaires par le nombre qu'ils représentent que par les problèmes qu'ils posent.

C'est mieux du côté des filles. Il y a d'abord la maman, Sheryl (un délicieux petit air d'Uma Thurman), qui tente : 1°) de faire fonctionner cette aimable confrérie autour de quelques règles de base (repas, organisation, entraide...); et 2°) de préserver un minimum d'harmonie au milieu des nombreuses incompatibilités d'humeur entre les uns et des autres. Par exemple, entre un père qui semble une fois pour toutes avoir borné tout horizon intellectuel aux neuf points de son "Parcours vers le succès" et le beau-frère, cultivé, homosexuel et dépressif. Et puis il y a la petite Olive (Abigail Breslin) - quoi, dix ans à peine -, une adorable petite tête ronde avec de beaux yeux clairs et interrogateurs derrière de grandes lunettes roses, un peu boulotte (Olive adore les crèmes glacées) et un large sourire plein de jolies petites quenottes.

Un sourire qui peut pourtant se transformer en cri horriblement strident lorsque Olive apprend qu'elle est finalement retenue depuis sa petite ville d'Albuquerque, Nouveau Mexique, pour participer au concours de Little Miss Sunshine organisé en Californie. Impossible de résister et, pour des facilités d'organisation, c'est tout le clan Hoover qui sera du voyage, ressuscitant pour l'occasion le vieux Combi Wolkswagen familial. Sous la houlette du tandem Jonathan Dayton / Valérie Faris, le reste fait un road movie plein de surprises, d'éclats de rires et de nouvelles fracassantes.

Une anti-Amérique faite d'anti-héros ?

A première vue, oui. Tout est bancale ici, et même le numéro qu'Olive a eu la bonne idée de préparer avec son grand-père inquiète. La famille Hoover n'est pas heu-reuse ; elle grince, elle craque de partout, à l'instar de la pauvre mécanique du camion à boîte de vitesses manuelle, bien différent des puissants 4x4 automatiques qui peuplent les banlieues huppées. On se raconte certes des histoires, mais elles ne font guère illusion que pour soi, peu de temps avant de partir en vrille. Sauf pour le grand-père peut-être, qui peut se payer le luxe, et d'une grandiose incitation à la débauche adressée publiquement à son petit-fils au cours du voyage, et d'une limpide déclaration d'amour à sa petite fille, un soir de trac. Un grand moment d'amour inconditionnel. Comme le sera, plus tard, la scène du réconfort de Dwayne par Olive, qui trouve l'approche juste là où les adultes rivalisaient de maladresse.

Tout cela ne fait donc pas un succès, ni en neuf, ni en trente-six points. Mais la famille paumée, entre ses contraintes pesantes et ses vaines ambitions, a aussi du ressort. Or rien en Amérique n'aide mieux à le révéler que les épreuves. En France, cela se terminerait mal (vous vous souvenez d'Un air de famille ?) ; ici, rien n'est moins sûr. Les êtres en sortent alourdis d'abord, puis libérés. Pour le coup, par la légèreté percutante de son interprétation, Olive permet enfin à son prénom de changer d'époque en substituant à la renommée couillue de la femme de Popeye, la force malicieuse de la petite Hoover.

Une sorte d'Amélie Poulain américaine capable, elle aussi, d'enchanter le monde de sa tribu en déroulant le fil d'un conte à travers lequel chacun, pour progresser, doit se confronter à sa vérité.

Plus qu'en France, aux Etats-Unis, c'est le home video qui tient de plus en plus lieu de cinéma, ce qui donne aux diffusions à domicile l'air de savoureuses premières, fût-ce quelques mois après la sortie en salle. Si vous n'avez pas vu Little Miss Sunshine, il n'est donc pas trop tard pour se laisser embarquer par ce road-movie grinçant et coloré.

09/08/2007

Sur Bobby

Il aurait pu être terriblement indigeste ce film d'Emilio Estevez, politiquement sentencieux ou bien alors virant au documentaire. Combien de fois n'avons-nous vu et revu les images de l'assassinat de JFK à Dallas ? Des images qui ont d'ailleurs fortement contribué à entretenir le mythe Kennedy, depuis largement relativisé par l'historiographie contemporaine : le bilan domestique et extérieur de JFK reste maigre ("Il était sur le point de" concrétiser ses idées libérales, aime-t-on à penser). Johnson après lui fera bien mieux, sur les deux tableaux. Et, sur la scène intérieure, c'est bien son frère Bobby, alors Attorney general, qui l'a convaincu, en 1963, de prendre position sur la question des droits civiques en dénonçant une ségrégation sur laquelle il avait été auparavant silencieux, par électoralisme.

Pour un peu en tout cas, ces images-là nous auraient fait oublier l'autre assassinat, moins médiatisé, peut-être banalisé par le précédent ; mais peut-être aussi plus profondément triste. C'est cette tristesse-là, à la fois profonde et légère, humaniste et résignée, que porte avec talent "Bobby" à l'écran, dans l'entrelacement des destinées ordinaires qui se croisent alors, un soir de juin 1968, à l'Hôtel Ambassador de Los Angeles (on ne peut plus voir l'hôtel, rasé en 2006, sur Wilshire Boulevard, et Estevez a dû jongler avec la possibilité de ne réaliser que quelques plans sur les lieux avant la destruction de l'immeuble, ce qui ne nuit en rien à la justesse du décor).

Il y a là John Casey (Anthony Hopkins), le vieux portier, qui se souvient des jours heureux et des moments de gloire avec son vieil ami Nelson (Harry Belafonte) autour d'une partie d'échecs, en attendant le prochain président des Etats-Unis. Un couple de la haute société new-yorkaise (Martin Sheen et Helen Hunt), lui inspiré et dépressif, elle frivole et perdue, tente de se refaire une santé en Californie. Un autre couple (Elijah Wood, et Lindsay Lohan, magnifique archétype des sixties), plus jeune celui-là, s'apprête à se marier pour éviter au jeune homme l'enrôlement dans un pays que la guerre au Vietnam plonge alors dans une crise profonde. Le patron de l'hôtel (William H. Macy) forme un autre couple, avec sa femme Miriam (Sharon Stone), embellie par les années, mais trahie par son mari avec une standardiste de l'hôtel (Heater Graham).

Bien sûr, de jeunes militants démocrates se jettent tout entiers dans la bataille en attendant avec angoisse le résultat - décisif - de la primaire de Californie qui doit tomber ce soir-là. Certains, dont un jeune militant noir - déjà annoncé comme le futur Secrétaire aux transports, et dont une autre standardiste (Joy Bryant) tombe finalement amoureuse - restent mobilisés jusqu'au dernier moment. On s'indigne, dans l'équipe Kennedy, des obstacles de dernière minute mis au vote des minorités dans certains quartiers réputés favorables (une spécialité américaine, faut-il croire, qui a d'ailleurs bénéficié, selon l'époque, aux Démocrates autant qu'aux Républicains). D'autres, plus jeunes, plus aventureux aussi, s'embarquent dans un LSD trip hilarant en compagnie d'un hippy inspiré qui leur explique que l'acide, au fond, n'est rien moins qu'une affaire de rencontre avec Dieu (et plus tard, dans son cas, avec la police aussi bien).

Une jeune journaliste tchèque essaie par tous les moyens d'obtenir une interview du sénateur Kennedy auprès d'un porte-parole pour le moins réticent. Ailleurs, une star alcoolique et désabusée (Demi Moore) se prépare à accueillir le futur président de quelques refrains à la mode, tandis que son mari (Emilio Estevez) essaie en vain de contrôler les dérapages de son épouse. Susan (la jolie Mary Elizabeth Winstead), une jeune barmaid native de l'Ohio, rêve, elle, de son prochain casting à Hollywood. Dans les cuisines, la révolte des latinos gronde face à la société des Blancs - le manager, Timmons (Christian Slater), conservateur, est renvoyé par le patron de l'hôtel pour n'avoir pas permis aux employés d'aller voter -, et à la prétendue soumission des Noirs, dont s'amuse le sous-chef Robinson, dans un rôle d'éveil qu'incarne à merveille Laurence Fishburne.

Tout au long du film, les personnages se croisent, démêlant les fils de leur histoire, tendus vers l'annonce des résultats, se préparant pour la soirée de gala qui doit clôturer la fête et la victoire annoncée. "Our lives on this planet are too short, the work to be done is too great. But we can perhaps remember that all who live with us are our brothers, that they share with us the same short moment of life" : les propos de Bobby - simples, percutants, attendus comme un renouveau possible de l'Amérique - rythment, ici d'une radio, là d'une télévision, le déroulement lent de la tragédie, comme une vieille chanson italienne ou un air de contradanza cubaine. Et, de fait, la musique, signée Mark Isham, sert aussi la gravité du film avec justesse.

Une complainte moderne, fichée au coeur de tout un peuple qui, dans sa diversité, attendait autre chose, cet autre chose dont Bobby incarnait à la fois la possibilité et l'unité. Pas d'Histoire sans les gens, pas de vie sans crise, pas de politique sans grandeur. Pas de cinéma sans générosité. "Bobby" raconte la violence (qui travaille tant l'Amérique) par la douceur, et dessine une attente en creux qui, d'une guerre l'autre, d'une désespérance l'autre, n'est pas sans faire écho à l'Amérique d'aujourd'hui.

19/04/2007

Le Paradis et l'Eldorado (aux sources du rêve américain)

Les crispations que suscite, en Europe, l'exacerbation du géo-nationalisme américain, comme l'obsession de la richesse à laquelle l'allergie française au libéralisme réduit le plus souvent le modèle américain, nous donnent une vision pour le moins caricaturale des ressorts fondateurs de l'Amérique.

Russel Banks montre qu'en réalité le rêve américain est le résultat complexe d'au moins trois quêtes distinctes. Il y a d'abord la quête de liberté religieuse des colons anglais venus s'installer en Nouvelle-Angleterre. Une seconde origine, clairement identifiée, est celle portée par les colons hollandais dans la région de New York et la vallée de l'Hudson, qui s'étendra par la suite aux colonies du milieu - Virginie, Maryland, Pennsylvanie : elle obéit, autour de l'exploitation de la pêche et du commerce du bois, à une visée commerciale. Une troisième source, enfin, est incarnée par la quête espagnole de l'or dans le sud des Etats-Unis - Caraïbles, Floride, Golfe du Mexique.

C'est dire que, dès l'origine, l'essor de l'Amérique s'appuie sur des ressorts contradictoires entre d'un côté, des ambitions éthiques et religieuses affirmées, une intention que l'on peut qualifier de spirituelle, souvent de nature fondamentaliste ; de l'autre, une visée matérialiste faisant du continent américain un lieu à piller. Ce n'est que progressivement que ces ambitions se sont fondues les une dans les autres, au début du XVIIIe siècle, quand les colons ont cessé de se considérer comme des Européens.

Cette émancipation s'est d'abord réalisée parmi les colons anglais, du fait d'un modèle de gouvernement plus décentralisé établissant assez tôt, dès la seconde moitié du XVIIe siècle, entre 1680 et 1690, des assemblées législatives et une administration qui disposaient déjà d'un réel degré d'indépendance vis-à-vis de la mère patrie. Elle a été plus lente chez les colons d'origine française, espagnole ou hollandaise, en raison d'un modèle de colonisation plus directement rattaché à la métropole. Un contraste qui se retrouve culturellement aujourd'hui au Québec par exemple, où les liens avec la France sont demeurés vivaces.

Ainsi, de la Cité d'Or que cherchaient Cortés et Pizarro, au rêve puritain de la Nouvelle Jerusalem, conçu par opposition à une Europe perçue comme corrompue, l'Amérique a été, dès l'origine, travaillée par plusieurs quêtes. Ces deux ambitions, spirituelle et matérialiste, se sont également doublées d'une troisième dimension, qui a fini par imposer la puissance de ses ressorts propres : celle de la fontaine de Jouvence, dont rêvait Ponce de Leon, et qui s'est traduit par le souhait de pouvoir recommencer, de connaître une Vie nouvelle.

Vertu, richesse et renaissance s'entrelacent ainsi aux origines de l'Amérique, dans un modèle qui, du fait de l'influence intellectuelle et spirituelle de la Nouvelle-Angleterre sur l'ensemble du territoire, a tôt réservé une place prépondérante au fondamentalisme religieux. Les sectes protestantes venues s'établir en Nouvelle-Angleterre ont en effet, et de façon plus puissante qu'aucun autre modèle colonial, qu'il s'agisse des Français au Québec ou des Espagnols en Floride, ont placé Dieu au centre de la vie politique et sociale. Et c'est sur ce modèle que s'est développée, par la suite, dans l'ensemble des treize colonies, la conception américaine de la démocratie et du gouvernement représentatif.

Si cette conception éminemment religieuse a perdu peu à peu de sa vigueur en Louisiane ou dans le Sud-Ouest des Etats-Unis, elle est en revanche restée vivace dans les Etats peu à peu colonisés par les habitants de la Nouvelle-Angleterre - l'Ohio, le Wisconsin, ou encore les territoires plus lointains du Nord-Ouest -, s'y attachant toujours à faire de Dieu la pièce centrale de l'identité de la communauté.

De fait, le premier édifice construit était l'église, le deuxième, l'hôtel de ville, le troisième l'école, et le quatrième, la banque. Et, quoi qu'en laisse à penser notre culture ordinaire du western, ce n'est que longtemps après que s'y établissaient les saloons.