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01/09/2007

La fin de la sexualité ? (Bill, Anna, Larry et les autres)

Il y a six mois, l'Amérique s'attardait, fascinée, sur les derniers jours d'Anna Nicole Smith, mannequin et actrice décédée le 8 février à l'âge de 39 ans d'une overdose dans un hôtel de Floride. Anna Nicole s'était mariée à un riche milliardaire, très âgé, dont elle avait hérité une large partie de la fortune. Une procédure judiciaire commençait par ailleurs pour déterminer qui, des trois demandeurs, était le véritable père de sa petite fille, Dannielynn, qui vit le jour alors qu'Anna Nicole Smith perdait son fils, Daniel, âgé de 20 ans.

Au-delà du drame et des rebondissements d'une enquête aux allures de série grand public, c'est bien la sensualité débordante d'Anna Nicole Smith qui explosait à l'écran et fascinait, chacun dans son coin, le public, en un déluge de formes généreuses et de robes échancrées, de sourires ravageurs et d'interviews suggestives, de regards provocateurs et d'abandons lascifs. Cette femme, aurait dit Céline, semblait pouvoir jouir à des profondeurs infinies. Telle une Marilyn, contemporaine et décadente, qui aurait brisé l'icône, Anna Nicole suggérait la sexualité dans une dimension presqu'animale, dont l'interview qu'elle donna à Larry King sur CNN, et que celui-ci finit par interrompre dans l'un de ses récits les plus trash, reste un point d'orgue. Il y avait pourtant, au détour d'une de ces images publiques, entre la fuite d'un regard ou une pointe fugitive de candeur, quelque chose encore d'une petite fille chez elle.

Dans un registre différent, le sénateur de l'Idaho Larry Craig est accusé, ces derniers jours, d'avoir sollicité une relation homosexuelle dans les toilettes pour hommes de l'aéroport de Minneapolis. Problème : c'est à un policier en civil chargé de démasquer les "comportements obscènes" qu'il fit des appels du pied. Erreur ou tentative d'en finir rapidement ? Craig a plaidé coupable (pour "conduite inappropriée"), avant de le regretter publiquement, en déniant catégoriquement tout penchant homosexuel. Craig s'était fait connaître pour s'être opposé à la législation contre la discrimination à l'emploi en raison de l'orientation sexuelle. Il avait aussi voté la loi "Don't act, don't tell" qui prévoit qu'un membre des forces armées en sera exclu s'il est impliqué dans une relation homosexuelle. Il est aujourd'hui au ban des cercles républicains après en avoir été un des principaux animateurs. Ces derniers jours, l'enregistrement de l'interrogatoire qui eut lieu après son arrestation était redonné in extenso sur MSNBC, donnant à nouveau l'impression, assez pénible au cours de sa diffusion, d'une rechute morbide de l'opinion dans une fascination tout hypocrite pour le moindre écart sexuel.

On repense également aux mésaventures au sommet de Bill Clinton. Connu pour ses aventures extra-conjugales de longue date (qui, semble-t-il, auraient fait hésiter Hilary à consentir au mariage), Clinton finit par se faire attrapper : on s'en souvient, ses relations avec Monica Lewinsky occupèrent le devant de la scène politico-médiatique pendant des mois, à travers ce qui apparaît comme le même mélange malsain de dureté puritaine et de fascination pathologique. Aux côtés des Démocrates et contre l'hypocrisie, notamment républicaine, qui associe des attitudes publiques aussi dures que les conduites privées sont parfois licensieuses, Larry Flint, le célèbre pornographe américain, éditeur du magazine Hustler, invite le public, forte récompense à l'appui, à lui apporter les preuves de relations coupables qu'auraient pu entretenir par le passé les élus du pays, pour tâcher d'en finir avec cette hypocrisie collective.

Condamnation publique, fascination privée. On excècre le stupre sur la place publique, mais on s'en gave à la première occasion dans l'ombre des alcôves. Mais qu'exorcise-t-on au juste à travers ces explosions médiatiques : les fantasmes enfouis de libidos endormies, ou bien, précisément - le fantasme n'est pas la réalité -, les derniers sursauts de la sexualité à laquelle, ultime perversion, il faudrait les atours de la scénarisation pour vibrer encore un peu ? Tout cela ressemble à un immense cirque, sans doute prétexte à sévère déstabilisation pour les plus cyniques, mais aussi puissant révélateur, ici, de l'état des désirs.

Si le sexe (la pulsion, l'immédiateté) est partout, la sexualité (la relation, la construction), elle, semble disparaître. Des écrans certes, d'où l'essor symétrique de la pornographie. Mais aussi de la vie paisible des banlieues résidentielles d'où, sans doute aussi, une part de ce consumérisme compulsif propre à la société américaine. On peut également se demander si une autre grande fascination de l'Amérique ne traduit pas non plus l'achèvement de cette déconstruction comme si - Make war, don't make love - à la fin de la sexualité, répondait aussi la libération de la violence.

26/08/2007

Il faut sauver le mineur Ryan : l'Amérique, une puissance tragique ? (sur l'accident de Crandall Canyon)

Depuis que la mine de charbon de Crandall Canyon (Utah) s'est effondrée il y a environ deux semaines suite à un mouvement sismique intense et localisé, l'attention du pays s'est focalisée sur les recherches entreprises sur place pour tenter de retrouver les six mineurs restés piégés dans le sous-sol. Ce genre d'accident, dramatique par essence, l'est encore davantage du fait des dimensions symboliques généralement associées au travail de la mine : un labeur pénible lié à une industrie de base et produisant, par sa rencontre en profondeur avec la nature et son rapport direct à la terre, une très forte identité de métier - un véritable genre de vie aurait dit Vidal de la Blache. Pour toutes ces raisons, le mineur suscite dans l'imaginaire populaire un mélange de respect, de fascination et de compassion.

Depuis que les opérations de secours souterraines depuis l'entrée de la mine ont été interrompues puis stoppées suite à l'effondrement qui a causé la mort de trois sauveteurs, le drame a certes perdu en intensité. Seules les actions de forage depuis la surface vers la zone de refuge présumée ont été maintenues. L'espoir est aujourd'hui extrêmement réduit et la couverture médiatique se fait naturellement moins dense, se penchant déjà sur les autres catastrophes du moment - cyclone au sud, inondations au nord - qui partagent au moins avec les événements de l'Utah cette double dimension naturelle et dramatique, comme autant d'épisodes localisés d'un dérèglement de plus grande ampleur.

Au-delà du drame, l'accident et sa gestion révèlent aussi quelques fondamentaux de la société américaine. Le premier et le plus frappant est sans doute la mise des familles au centre de la situation et du dispositif de communication de crise. Etroitement associées aux recherches, du moins au cours de leur phase active, les familles des mineurs recherchés ont été présentées et sont en effet très vite apparues comme les maillons essentiels et solides de cette situation dramatique.

Autour de cette prééminence de la valeur familiale sont venues se greffer deux dimensions complémentaires : la première est le recours à la foi qui s'impose naturellement à travers les commentaires comme facteur d'espérance religieuse et de dignité civile, comme s'il charpentait l'événement et lui donnait, sinon un sens, du moins une verticalité, en laissant aussi aux familles la possibilité d'une posture qui ne soit pas d'effondrement, mais au contraire de courage.

L'autre aspect apparaît comme une extension, cette fois horizontale, de la dimension familiale : c'est la cristallisation autour du drame à la fois d'une forte identité professionnelle et d'une solidarité communautaire organique. Les mineurs ont été impliqués au premier chef dans les opérations de secours dans un mouvement qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler l'engagement des pompiers de New York dans les opérations de sauvetage désespérées du 11 septembre.

Prééminence fondatrice de la famille, recours naturel à une foi simultanément religieuse et civile, force de la solidarité communautaire : ce qui lie ces éléments dans une large mesure est un autre trait essentiel de la culture américaine qui ne se confond pas avec l'espérance : l'optimisme. Optimisme des déclarations de Robert Murray, le propriétaire de la mine, au moins jusqu'au nouvel effondrement du site, et entretenu après quelques jours de recherche par l'identification de sons en provenance des profondeurs. Mais optimisme aussi de moyens, techniques et humains : tout ce qui a pu l'être a été mobilisé et mis en oeuvre pour tenter de retrouver les mineurs disparus.

Dans le cas de la mine de Crandall, cet optimisme pourrait pourtant masquer un défaut plus coupable : on sait en effet que les services d'inspection des mines américaines ont adressé plus de 300 constats d'infraction au cours des trois dernières années aux propriétaires de la mine sans résultats majeurs. Si bien que le probable échec des recherches, tragique à un double titre du fait de la disparition des sauveteurs, pourrait finalement conduire à un aboutissement lui aussi typique de la culture américaine : le procès.

La bataille a au reste d'ores et déjà commencé avec d'un côté, les experts qui soulignent l'instabilité du site du fait de l'activité minière, de l'autre l'entreprise qui évoque au contraire des mouvements "naturels" et, au centre, syndicats et autorités qui s'interrogent sur la solidité des dispositifs de sécurité mis en oeuvre, alors même qu'un responsable reconnaît que les mesures mise en oeuvre n'ont peut-être pas été "adéquates". A défaut du happy end si essentiel à la culture américaine, au moins le procès et son travail tout à la fois de vérité et de deuil permet-il de rétablir à la fois la paix civile et la confiance dans les institutions.

Une ultime question culturelle demeure cependant, qui reboucle le drame par l'absurde : l'opération de sauvetage avait-elle une chance réelle d'aboutir dans des conditions acceptables ? Ou bien fallait-il en fin de compte de nouveaux morts, un drame dans le drame, pour que les familles, la localité et, derrière elles, l'Amérique - et les médias - consentent à renoncer à l'impossible ? C'est comme si, dans le culte ordinaire de l'héroïsme en un sens qui pour le coup déborde les écrans de cinéma, la mort accidentelle devait ici se payer d'une mort volontaire. Où s'arrête le volontarisme, où commence l'héroïsme ? C'est aussi dans cette tension culturelle propre que s'illustre quelque chose comme la puissance tragique de l'Amérique.

24/08/2007

Cyclone au sud, déluge au nord : le climat dans tous ses états

Après la vague de chaleur très humide de la semaine dernière, l'attention s'est focalisée ces derniers jours sur le cyclone Dean qui semblait approcher des côtes du Texas par le Golfe du Mexique, avant que sa trajectoire ne s'infléchisse finalement plus vers le sud, à travers la Mer des Caraïbes, jusqu'au Mexique. Ce sont à présent les risques d'inondations à l'angle opposé du pays, dans toute la partie nord-ouest et jusqu'au Midwest, qui font craindre le pire.

Tout au long de la nuit, d'impressionnants orages ont éclatés dans toute cette région. Au-dessus de Columbus, ce ne fut, dans la nuit de mardi à mercredi, qu'une succession ininterrompue de violents éclairs et de grondements déchirants, tandis que des trombes d'eau s'abattaient sur le comté. C'était dans le ciel comme un tapis roulant d'eau et de feu assourdissant qui passait au-dessus de la ville comme une grande machinerie déréglée, livrée à sa propre énergie dévastatrice. Zébré d'éclairs, le ciel paraissait, en pleine nuit, presque éclairé, et les roulements de tambour du tonnerre donnait l'impression d'un immense craquement, comme si un monde s'effondrait.

Le climat de l'Ohio aime les extrêmes ; le réchauffement en fait un boulevard pour les dérèglements climatiques en tous genres. La partie centrale de l'Etat n'aura pourtant subi que peu de dégâts de ces intempéries et le temps est redevenu clément, et même beau sur Columbus les jours suivants. Un peu plus au nord en revanche, c'est la déroute. Ainsi, dans la région de Toledo, à environ 150 miles au nord, le niveau des eaux atteint les toits. Ceux qui n'ont pu s'extraire de la montée des flots, nagent et tentent de s'arrimer aux arbres qui tiennent encore debout, en attendant les embarcations de sauvetage qui quadrillent la région. Les mesures d'hébergement temporaire succèdent aux évacuations menées en catastrophe.

Selon MSNBC, le gouverneur de l'Ohio, Ted Strickland a déclaré l'état d'urgence dans neuf contés de l'Etat. D'autres états proches tels que le Wisconsin ou le Minnesota sont également touchés. Aux dernières nouvelles, la ville de Des Moines (Iowa) était à son tour particulièrement exposée. Pendant ce temps sur Fox Channel, on continue à nier tout réchauffement du climat lié aux activités humaines, avec une constance à peine atténuée par les récents infléchissements de l'administration Bush sur le sujet.