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26/08/2007

Il faut sauver le mineur Ryan : l'Amérique, une puissance tragique ? (sur l'accident de Crandall Canyon)

Depuis que la mine de charbon de Crandall Canyon (Utah) s'est effondrée il y a environ deux semaines suite à un mouvement sismique intense et localisé, l'attention du pays s'est focalisée sur les recherches entreprises sur place pour tenter de retrouver les six mineurs restés piégés dans le sous-sol. Ce genre d'accident, dramatique par essence, l'est encore davantage du fait des dimensions symboliques généralement associées au travail de la mine : un labeur pénible lié à une industrie de base et produisant, par sa rencontre en profondeur avec la nature et son rapport direct à la terre, une très forte identité de métier - un véritable genre de vie aurait dit Vidal de la Blache. Pour toutes ces raisons, le mineur suscite dans l'imaginaire populaire un mélange de respect, de fascination et de compassion.

Depuis que les opérations de secours souterraines depuis l'entrée de la mine ont été interrompues puis stoppées suite à l'effondrement qui a causé la mort de trois sauveteurs, le drame a certes perdu en intensité. Seules les actions de forage depuis la surface vers la zone de refuge présumée ont été maintenues. L'espoir est aujourd'hui extrêmement réduit et la couverture médiatique se fait naturellement moins dense, se penchant déjà sur les autres catastrophes du moment - cyclone au sud, inondations au nord - qui partagent au moins avec les événements de l'Utah cette double dimension naturelle et dramatique, comme autant d'épisodes localisés d'un dérèglement de plus grande ampleur.

Au-delà du drame, l'accident et sa gestion révèlent aussi quelques fondamentaux de la société américaine. Le premier et le plus frappant est sans doute la mise des familles au centre de la situation et du dispositif de communication de crise. Etroitement associées aux recherches, du moins au cours de leur phase active, les familles des mineurs recherchés ont été présentées et sont en effet très vite apparues comme les maillons essentiels et solides de cette situation dramatique.

Autour de cette prééminence de la valeur familiale sont venues se greffer deux dimensions complémentaires : la première est le recours à la foi qui s'impose naturellement à travers les commentaires comme facteur d'espérance religieuse et de dignité civile, comme s'il charpentait l'événement et lui donnait, sinon un sens, du moins une verticalité, en laissant aussi aux familles la possibilité d'une posture qui ne soit pas d'effondrement, mais au contraire de courage.

L'autre aspect apparaît comme une extension, cette fois horizontale, de la dimension familiale : c'est la cristallisation autour du drame à la fois d'une forte identité professionnelle et d'une solidarité communautaire organique. Les mineurs ont été impliqués au premier chef dans les opérations de secours dans un mouvement qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler l'engagement des pompiers de New York dans les opérations de sauvetage désespérées du 11 septembre.

Prééminence fondatrice de la famille, recours naturel à une foi simultanément religieuse et civile, force de la solidarité communautaire : ce qui lie ces éléments dans une large mesure est un autre trait essentiel de la culture américaine qui ne se confond pas avec l'espérance : l'optimisme. Optimisme des déclarations de Robert Murray, le propriétaire de la mine, au moins jusqu'au nouvel effondrement du site, et entretenu après quelques jours de recherche par l'identification de sons en provenance des profondeurs. Mais optimisme aussi de moyens, techniques et humains : tout ce qui a pu l'être a été mobilisé et mis en oeuvre pour tenter de retrouver les mineurs disparus.

Dans le cas de la mine de Crandall, cet optimisme pourrait pourtant masquer un défaut plus coupable : on sait en effet que les services d'inspection des mines américaines ont adressé plus de 300 constats d'infraction au cours des trois dernières années aux propriétaires de la mine sans résultats majeurs. Si bien que le probable échec des recherches, tragique à un double titre du fait de la disparition des sauveteurs, pourrait finalement conduire à un aboutissement lui aussi typique de la culture américaine : le procès.

La bataille a au reste d'ores et déjà commencé avec d'un côté, les experts qui soulignent l'instabilité du site du fait de l'activité minière, de l'autre l'entreprise qui évoque au contraire des mouvements "naturels" et, au centre, syndicats et autorités qui s'interrogent sur la solidité des dispositifs de sécurité mis en oeuvre, alors même qu'un responsable reconnaît que les mesures mise en oeuvre n'ont peut-être pas été "adéquates". A défaut du happy end si essentiel à la culture américaine, au moins le procès et son travail tout à la fois de vérité et de deuil permet-il de rétablir à la fois la paix civile et la confiance dans les institutions.

Une ultime question culturelle demeure cependant, qui reboucle le drame par l'absurde : l'opération de sauvetage avait-elle une chance réelle d'aboutir dans des conditions acceptables ? Ou bien fallait-il en fin de compte de nouveaux morts, un drame dans le drame, pour que les familles, la localité et, derrière elles, l'Amérique - et les médias - consentent à renoncer à l'impossible ? C'est comme si, dans le culte ordinaire de l'héroïsme en un sens qui pour le coup déborde les écrans de cinéma, la mort accidentelle devait ici se payer d'une mort volontaire. Où s'arrête le volontarisme, où commence l'héroïsme ? C'est aussi dans cette tension culturelle propre que s'illustre quelque chose comme la puissance tragique de l'Amérique.