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30/03/2012

L'université française en mouvement (2) L'excellence en question

Ce qui marque le projet français d'Initiatives d'Excellence (IDEX), ce sont deux choses essentielles : un projet de transformation permettant de transcender les cloisonnements historiques du système universitaire français : entre établissements, entre disciplines, entre universités et grandes écoles ou encore entre universités et entreprises ; et une volonté simultanée de construire des pôles universitaires de visibilité internationale. L'autonomie et l'excellence sont les deux piliers de cette entreprise.

Qu'en est-il de l'excellence ? Ou plutôt, comment développer un système fondé sur l'excellence dans une culture marquée par la passion de l'égalité ? Dans un tel contexte, très différent de celui des grandes universités américaines immergées de longue date dans une culture de la compétition (avec l'autonomie et les financements qui vont avec), l'excellence constitue en effet à la fois un moteur et une tension.

Pourtant, dans le domaine de la formation, de la recherche, de l'innovation, de la visibilité et de l'attractivité internationales, un chemin considérable a été accompli en deux ou trois ans, depuis le lancement du Grand Emprunt Juppé-Rocard dont près des deux tiers, soit 22 milliards sur 35, ont en effet été consacrés à l'enseignement supérieur et à la recherche.

Les parcours se réinventent, des relations nouvelles s'établissent, les échanges s'intensifient préparant le pays au "dépassement des frontières" (1) et à une sorte "d'internationale des cerveaux" (Michel Deneken). Heureuse surprise, soulignée par Michel Rocard : bien qu'il ait délibérément exclu de ses critères toute volonté d'aménagement du territoire, ce processus a permis de couvrir une large part du territoire national, en se traduisant par l'émergence de bons projets issus de régions non centrales, comme la Picardie ou la Lorraine.

Le premier élément de l'acceptabilité de ce processus est lié à la nature des décisions prises, d'une façon d'ailleurs comparable à la logique délibérative qui a prévalu dans une culture égalitaire proche, en Allemagne, quelques années auparavant avec "l'Exzellenzinitiative". Le professeur Peter Haehtgens, de l'académie des sciences de Berlin, souligne à cet égard l'importance de fonder les décisions sur des critères scientifiques et non politiques. En Allemagne, cette approche a permis de légitimer une opération dont le résultat n'aura tout de même, au final, concerné qu'un tiers du territoire national.

Le deuxième élément du dispositif est lié à l'approche évolutive de la notion d'excellence. Les responsables de projets labellisés IDEX parlent à cet égard d'une même voix : l'objectif est d'élargir le périmètre d'excellence au sein de leurs organisations respectives. L'excellence est alors conçue comme le moteur d'un progrès plus large se diffusant en chaîne à travers l'ensemble de la communauté universitaire. Un projet de formation innovante dénommé "Talents Campus", auquel j'ai participé en équipe, va par exemple dans ce sens sur le plan pédagogique en se donnant les moyens d'un accompagnement créatif et ouvert de profils de leadership non académiques tout au long de la vie.

Monique Canto-Sperber, présidente de PSL*, va plus loin en considérant que le périmète d'excellence lui-même n'est pas acquis une fois pour toute et doit s'accompagner d'une dynamique d'innovation permanente. C'est fondamental : un tel processus n'est en effet acceptable que s'il est exemplaire et donc mobile ; que l'on puisse, en somme, y entrer autant qu'en sortir. C'est d'ailleurs le sens plus général de la période probatoire de quatre ans intégrée dans le processus des Investissements d'Avenir à propos de laquelle Philippe Gillet, vice-président pour les affaires académiques de l'Ecole Polytechnique de Lausanne et ancien directeur de cabinet de Valérie Pécresse, soulignait récemment la nécessité pour l'Etat d'être capable de prendre, le moment venu, des décisions courageuses.

Une telle approche ne peut, ici comme ailleurs, avoir pour effet d'aboutir à l'assimilation de l'excellence et de l'égalité, antinomiques dans les termes. Elle rend cependant le processus acceptable s'il sait faire preuve d'exemplarité et s'il parvient à entraîner une dynamique, non pas d'excellence généralisée, mais de progrès collectif. Un élément d'autant plus nécessaire que, comme le rappelait Louis Vogel, président de la CPU, le temps a souvent manqué, au cours des procédures d'appel à projet, pour développer  les projets tout en y associant suffisamment l'ensemble des composantes de la communauté universitaire.

Le troisième facteur de succès d'une telle démarche passe précisément par une communication intensive pour non seulement accompagner, mais aussi bâtir et ajuster le processus. C'est la leçon clé de l'expérience allemande ; mais c'est aussi celle, plus universelle, de l'expérience de tout changement d'ampleur. Mais là où l'Allemagne et un certain nombre d'universités françaises accompagnent cette démarche d'une robuste ingénierie du changement, on en voit d'autres qui ne dépassent guère le stade d'une incantation aussi impuissante dans la mise en oeuvre qu'anxiogène pour les agents.

Ce qui est intéressant, quoi qu'il en soit, dans ce processus, c'est la revendication d'un "droit à l'expérimentation et à l'innovation organisationnelle" (Jean Chambaz) en ce qui concerne notamment la gouvernance de ces nouveaux ensembles - en quoi la question de l'excellence rejoint ici celle de l'autonomie. C'est là un point à la fois sensible dans un système profondément marqué par la régulation étatique et important pour la réussite de projets portés par des organisations diverses. Après tout, la jurisprudence administrative n'autorise-t-elle pas à traiter de façon différente des situations différentes ?

Il reste que, comme les théories managériales l'enseignent de longue date, il n'est pas d'excellence stratégique sans excellence opérationnelle. Ce cheminement a été jusqu'alors essentiellement conceptuel, sauf dans les universités où le mouvement avait été anticipé depuis plusieurs années comme à Strasbourg ou à Aix-Marseille. Toute la difficulté est à présent de lui donner une réalité qui, en dépassant l'émulation intensive des appels à projets, inscrive dans les faits une dynamique de coopération constante, concrète et congruente.

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(1) J'ai piloté avec une équipe remarquable un projet de transformation managériale dans l'industrie dénommé "Leaders" dont le mot d'ordre était également le "dépassement des frontières" au plan à la fois technique, géographique, collectif et individuel. Deux réflexions à cet égard : 1°) Tout d'abord, si l'on veut éviter les incantations faciles et stériles pour concrétiser une telle ambition, il faut mettre en place une dynamique exigeante de gestion de projet fondée sur une véritable association des acteurs ; 2°) Ce rapprochement des ambitions est, à mon sens, un indice supplémentaire de la convergence à l'oeuvre dans notre pays sur le moyen-long terme, d'ailleurs accélérée par la dynamique des Investissements d'Avenir, entre les secteurs public et privé. Il faudra bien sûr beaucoup d'efforts pour abandonner les caricatures que l'un et l'autre secteur peuvent se faire l'un de l'autre ; ma conviction est néanmoins qu'il faut y travailler d'arrache-pied, non pas en cherchant à aligner un système sur l'autre - ce qui ne serait pas davantage faisable que souhaitable -, mais en construisant à partir du meilleur des deux cultures un nouveau modèle, hybride par nature, mieux à même, comme le montrent le succès de nombreuses initiatives de cette nature aussi bien au Nord qu'au Sud, d'apporter des réponses efficaces à un certain nombre des grands défis de notre époque, parmi lesquels la formation et l'innovation figurent en bonne place.

22/03/2012

L'Université française en mouvement (1) La question de l'autonomie

Le récent salon RUE (Rencontres Universités Entreprises) qui s'est tenu à Paris était, dans le contexte de la campagne présidentielle et des élections universitaires, l'occasion de faire un point d'ensemble sur les évolutions qui affectent en profondeur l'enseignement supérieur depuis quelques années en présence du ministre de la recherche et de l'enseignement supérieur, de responsables politiques, de présidents d'universités, d'universitaires étrangers, de représentants des entreprises ainsi que de divers experts.

Au centre des débats, figurait en bonne place la question de l'autonomie des universités dans le contexte nouveau créé par la loi LRU de 2007. Schématiquement, ce nouveau cadre légal renforce la gouvernance des universités en resserrant le conseil d'administration, en l'ouvrant davantage aux représentants extérieurs et notamment aux entreprises, en donnant davantage de pouvoirs aux présidents sur la base d'un projet d'établissement transversal et d'un bonus majoritaire, et en prévoyant la prise en charge progressive de responsabilités élargies allant de la gestion budgétaire au recrutement en passant par l'immobilier. Bref, une petite révolution.

Si, malgré les critiques dont elle avait fait l'objet, l'autonomie fait aujourd'hui l'objet d'un large consensus aussi bien dans le monde universitaire que dans le monde politique trente ans après la décentralisation mise en oeuvre pour l'organisation administrative de l'Etat, elle n'en laisse pas moins ouverts un certain nombre d'ajustements possibles. 

Cette autonomie est-elle tout d'abord compatible avec une fonction stratégique qui relèverait davantage du niveau de l'Etat ? C'est le point de vue qu'a notamment soutenu Alain Claeys, spécialiste de l'Université au sein du PS. Que l'Etat se concentre dans ce domaine sur sa fonction stratégique n'est pas une mauvaise chose en soi dès lors que la stratégie en question est élaborée en relation avec tous les acteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche et ouverte sur les problématiques de la mondialisation. La stratégie de la recherche et de l'innovation élaborée et pilotée par le ministère en est d'ailleurs un bon exemple, avec ses trois axes directeurs que sont, pour simplifier, la santé, l'environnement et l'information.

En ce sens, la combinaison semble pertinente, étant entendu que les régions ont également vocation à apporter au processus un accompagnement particulier attentif à une juste appréhension des problématiques locales. Une stratégie régionale est donc parfaitement possible dans un cadre national donné, et davantage sans doute dans le domaine de la formation que dans celui de la recherche, par nature, plus décloisonné. Président de la région Basse Normandie, Laurent Beauvais a souligné à cet égard tout l'intérêt des processus de contractualisation.

Second problème : les financements - question sensible s'il en est dans la mesure où cette autonomie ne s'est pas toujours accompagnée des moyens nécessaires, en termes de budget aussi bien que de compétences ou de pilotage. Après deux à trois ans d'Investissements d'Avenir et un certain "épuisement des équipes" (Isabelle This Saint-Jean) dans une logique d'appels à projets, un correctif en faveur d'un rééquilibrage avec les financements récurrents semble à cet égard nécessaire.

La problématique de la coopération entre acteurs publics et privés autour de l'innovation constitue un troisième enjeu d'ajustement. On peut là-dessus entendre le Commissaire général à l'investissement, René Ricol, revendiquer clairement dans le cadre du mandat qui lui a été confié l'exclusion de toute préoccupation de politique industrielle ou d'aménagement du territoire et souligner simultanément "l'égoïsme des grands groupes" généralement enclins, en particulier dans le cas des Instituts de Recherche Technologique (IRT), à s'approprier l'essentiel de la propriété intellectuelle au détriment de la recherche publique. Il y a là un déséquilibre manifeste qui s'ajustera d'autant mieux que les règles de conditionnalité seront clairement énoncées et que les universités et les chercheurs se seront mieux armés pour négocier une approche plus juste de leur contribution.

Un dernier point d'ajustement concerne l'équilibre du pouvoir au sein des universités elles-mêmes. Une gouvernance allant davantage dans le sens de la conduite d'un projet que dans celui d'une médiation entre les acteurs représente une avancée positive si elle est comprise et pratiquée de façon moderne. Entre les errements de l'autocratisme new look et les dérives de la démocratie permanente, il y a place, de fait, pour plus de collégialité et, plus encore, pour un travail d'équipe pratiqué avec intelligence et méthode.

Comme ce n'est pas toujours le cas, la sanction de la réussite ou de l'échec des projets menés peut participer de cette évaluation. Dans le public comme dans le privé, on peut en effet imaginer une certaine dose de concentration du pouvoir, sous réserve que cette approche se traduise par des résultats qui participent en retour à la légitimation du pouvoir. Si ce n'est pas le cas, les instances exécutives ou électorales ont toujours la possibilité de sanctionner l'expérience. C'est parfois injuste ; mais cela constitue le plus souvent une remise en cause salutaire.

En clair, à l'heure de l'économie de la connaissance et du travail collaboratif, un modèle féodal aménagé a peu de chances de faire une gouvernance de qualité.