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09/11/2009

Le Barbier de Séville ou l'opéra comme art total

Le propre des grandes comédies, c'est de toucher parfois au tragique sans se laisser happer par lui. Il y a un peu de cette tension dans l'ouverture magistrale du Barbier de Séville dont la tentation dramatique finit par se laisser emporter par une entraînante introduction à la fête. Et c'est bien d'une fête qu'il s'agissait l'autre soir au Met sous la direction de Maurizio Benini - et l'une des meilleures qui soient : allègre, drôle, pleine de rebondissements, de jeux et d'inventions.

Déguisé en Lindoro, le comte Almaviva est amoureux de la jeune Rosina, que surveille cependant de très près le vieux docteur Bartholo, son tuteur, qui compte bien se réserver les faveurs de la jeune femme à travers un mariage arrangé dans la précipitation que lui inspire une intuition jalouse. Avec la complicité du barbier de la ville, Figaro, le comte déguisé en maître de musique et bientôt en officier, s'introduit dans la demeure du vieillard et finit, à travers une série d'épisodes rocambolesques et hauts en couleur, à dérober Rosina à son emprise.

L'oeuvre s'inscrit dans la tradition de la critique sociale ouverte par les grandes pièces comiques du XVIIème et que le XVIIIème va rendre à la fois plus mordante et subversive. Dans la mesure où le comte ne dévoile son identité qu'in fine, Rosina accorde ses faveurs à un jeune homme sans fortune au détriment d'un barbon acariâtre, tandis que Figaro s'affranchit avec bonheur des codes sociaux de l'époque aussi bien par la liberté que lui confère son statut que par ses talents d'entremetteur.

Dans un décor dont les changements sont ici ingénieusement intégrés à l'action en temps réel, notamment dans la très belle scène de l'orage ou dans l'arrangement des projets de mariage qui ne vont ni sans créativité pour l'une ni sans virtuosité pour l'autre, l'oeuvre de Rossini emporte l'adhésion comique par un enchaînement harmonieux de situations rocambolesques qui fait la part belle au jeu des acteurs.

A ce compte-là, dans le rôle du vieux docteur soupçonneux, John del Carlo s'impose nettement au-dessus de la mêlée, Figaro compris, tant par la puissance de sa voix que par sa prestance sur scène ou par son répertoire comique, dont les parodies désopilantes qu'il fait des manières de cocotte de Rosina ou encore la scène de la leçon de musique comptent parmi les grands moments de la représentation. L'extension de la scène au-delà de la fosse en une promenade qui s'avance vers la salle lui permet aussi, notamment au début du second acte, de donner toute la mesure de son talent et de son habileté à établir une connivence ludique avec le public.

Dans le rôle de Rosina, Joyce DiDonato fait une amoureuse plus qu'honorable, se débattant avec beaucoup de vivacité entre les griffes de son tuteur et les ruses de son prétendant. Figaro (Franco Vassalo) se sort lui aussi fort bien, dans le rôle du valet émancipé - "barbiere di qualità" -, aussi inventif que prospère, des exercices imposés, souvent acrobatiques, de l'intrigue. Les attentions appuyées que lui manifestent ses courtisanes, au beau milieu de la scène du Met, à quelques semaines du tollé déclenché par les audaces de Tosca, auraient pu faire frémir ; mais elles sont ici emportées par la musique autant que par l'action.

Barry Banks, dans cette distribution, tient le rôle d'Almaviva au-dessus de l'eau, mais il fait tout de même un peu pâle figure. S'il est un moteur dans l'oeuvre, il n'en commande ni l'énergie ni l'enchantement de la représentation et, pour un peu, le vieux majodorme du docteur (Marc Schwalter) - qui incarne ici un rôle de comédien pur - lui volerait la vedette, au moins dans le registre comique.

Il ne suffit pas d'être chanteur pour interpréter ces rôles-là : il faut être aussi un comédien de talent. Et c'est en quoi le Barbier de Séville, servi par une partition qui porte l'action avec rythme et justesse, est un opéra qui manifeste quelque chose d'un art total.