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14/03/2008

"Vive la France !" (In Monet's Garden)

C'est sur cette exclamation enthousiaste que le Met présente sur une pleine page d'un supplément culturel du New York Times les expositions qu'il programme au printemps et qui mettent la France à l'honneur en effet, avec Poussin d'abord, puis Courbet, tandis que de nouvelles galeries consacrées au XIXe siècle et faisant la part belle à l'impressionnisme ont déjà ouvert au public. Est-ce un effet collatéral de la tête d'affiche que se disputent les démocrates de primaires en primaires depuis plusieurs mois ? Ce vent de francophilie s'étend en tout cas à travers tout le pays et atteint même le Midwest.

Après l'expo Degas qui tint l'affiche au Columbus Museum of Art il y a un an, celui-ci récidive aujourd'hui avec une exposition consacrée à Monet intitulée : "In Monet's Garden - Artists and the Lure of Giverny", et montée par Joe Houston et Dominique Vasseur avec Melissa Wolfe. Aucun doute en parcourant l'exposition pourtant : c'est tout autant Giverny que Monet qui sont mis à l'honneur, et presque davantage ses élèves américains que le maître français. L'impressionnisme en général et Monet en particulier ont en effet exercé une attraction considérable sur toute une jeune école américaine qui finit par s'expatrier en masse en Normandie ; avec Butler, de nouvelles accointances familiales y furent même nouées avec le clan Monet.

Les Iris sont bien sûr particulièrement mis en valeur, avec en particulier un très beau "Champ d'iris jaunes à Giverny" de 1887 qui dessinent une sorte de géologie contrariée et cependant harmonieuse du paysage. Mais c'est sans conteste "La Seine près de Giverny, brumes matinales" (1897) qui constitue le clou de l'exposition. Les tons - verts, mauves, gris - très pâles s'y mêlent au point d'estomper le contour propre des formes qu'ils désignent en une fusion qui oscille entre l'estampe et l'aquarelle. Une petite merveille d'alchimie et de retenue, dont se dégage une grande sérénité.

On avait oublié ce Monet-là : les tableaux postérieurs, surtout ceux des années 1915-20, sont beaucoup plus vifs, colorés, désarticulés - agressifs. C'est un nouveau monde qui surgit et qui s'émancipe, sur le tard, plus franchement du réel. Quelques Nymphéas de cette époque en témoignent avec vigueur et, plus encore, les variations étonnantes sur le Pont japonais (1918) qui confinent au fantastique. Les travaux autour de l'Allée des rosiers aux environs de 1920, en perdant un peu de violence, prennent une coloration plus initiatique.

Les impressionnistes américains cherchent leur voie autour de ce point névralgique de leur apprentissage. Monet est même saisi en train de peindre par Sargent (à la fin, sans les refouler pour autant, il s'efforcera de maintenir à distance ces hordes de Yankees dévôts). Metcalf s'inspire de l'Epte en une toile qui, pour un peu, préfigurerait le pointillisme, comme dans les études de nu de Ritman. Breck, Wendel prennent le large dans d'honnêtes vues de plein champ - les "Poppies" de Breck, immergés dans une floraison de coquelicots sous un ciel blanchâtre, ont une indéniable densité propre.

Les paysages de Butler, ses vues du jardin et même ses scènes familiales ainsi que les scènes d'eau d'Anderson ("The Idlers") s'aventurent davantage dans un frémissement impressionniste, que Theodore Robinson approche sans conteste le mieux dans "Afternoon Shadows", "By the Brook", et "La débâcle" qui fait une scène champêtre juste et contrastée autour du livre de Zola. Un galeriste américain de German Village le faisait cependant remarquer à juste titre : il était difficile pour les admirateurs américains de Monet de peindre avec le souci, non d'estomper, mais au contraire de valoriser la technique. Le labeur l'emporte du coup, logiquement, sur le rendu dans la plupart de ces toiles qui conservent, quoi qu'il en soit, un intérêt que l'on pourrait qualifier de focalisation et d'essaimage.

L'histoire se prolonge d'ailleurs à travers le Modern Art tout au long du XXe siècle, avec notamment les oeuvres torturées de Dibenedetto, les obsessions linéaires de Dan Hays ("Deterioration", "Reflection Transmission") et celles de Yeardley Leonard ("In the Garden") ou encore les calligraphies mathématiques d'Ellsworth Kelly ("Study for Seine") - toutes librement dérivées de l'univers de Monet.

Miranda Lichtenstein apporte à cet hommage l'étrangeté du regard du photographe avec des extérieurs rendus picturaux par le seul jeu de lumières artificielles, tandis que Joan Mitchell revient, beaucoup plus sagement que les étranges créatures de Ross ou les flots kitsch en diable de Cameron Martin, à l'inspiration du Monet des années 20, mais dans une peinture appuyée qui finit par en annuler la charge expressionniste. Entre un ou deux purs moments de peinture et un paquet de variations erratiques, on finit, pour tout dire, par s'emmêler les pinceaux.

09/07/2007

Retour de Chicago (Jour 3) Le bonheur est dans la représentation

Remonter Adam Street jusqu'à Michigan Avenue, plein Est. Prendre un breakfast à la terrasse ensoleillée qui fait l'angle, à la Corner Bakery ; y désespérer des croissants "français". Traverser la rue et pénétrer dans le hall de l'Art Institute. Se sentir inspiré par le lieu, faire une demande de membership.

Au sous-sol, déambuler devant les clichés d'Ezawa - des figures de western remixées -et d'Angela Strassheim, saisies millimétriques d'un intérieur d'une famille "new born", son austérité adulte et ses malices enfantines. Pousser jusqu'à la série The Earth As It Was (Adams, Porter & Clift), une sorte de déclinaison du travail d'Artus Bertrand concentrée sur l'Amérique du Nord.

Plus loin, s'attarder sur les clichés de Jeff Wall, un artiste de Vancouver ; son double travestissement des grandes représentations (The Destroyed Room vs la mort de Sardanapale, The Storyteller et Le déjeuner sur l'herbe...) et du pittoresque de scènes de genre plus ou moins dramatisées (rencontre, colère, méditation, arrestation ; une étonnante embuscade reconstituée de façon grotesque, au sens hugolien, sur fond de guerre en Afghanistan, etc).

Pester de la pauvreté du département Design et Architecture, tout de même rattrapée par la belle bibliothèque dédiée du premier étage : grandes tables de bois sombre, petites lampes vertes, longs rayonnages de livres et de plans, colonnades et statues surmontées d'une verrière d'un jaune très pâle agrégeant des rosaces de toutes tailles. Songer soudain que le temple de l'architecture commence là, derrière les murs, au coeur de la ville, en sortant du musée.

Passer vite à l'étage sur les galeries américaines anciennes : il y a un temps pour l'anthropologie et un temps pour la représentation (ah ! le pittoresque des scènes pastorales ; là-dessus, l'Ecole de Cincinatti a plus de puissance). Passer plus de temps, en revanche, sur quelques oeuvres contemporaines emblématiques, classiques (American Gothic de Grant Wood ; le Nighthawks de Hopper, prêté à Boston, ne fait l'objet que d'un marquage) ou moins connues (American Collectors de David Hockney) ; les oeuvres de Lichtenstein et Rauschenberg sont un peu décevantes.

Achever la visite d'un panoramique sur une large collection impressionniste, qui comprend notamment la série des nénuphars de Monet, et post-impressionniste (Les deux philosophes de Miro, les Picasso inévitables qui font glousser nos voisins américains). Découvrir un portrait inattendu, épuré, dur mais juste de Baudelaire par Duchamp-Villon, un étonnant Braque (Paysage à La Ciotat), un bon Chagall (une Naissance, de 1911). Se réjouir d'un terrible portrait de Supervielle par Dubuffet. Et puis - comme toujours mais toujours surpris -, rester médusé par l'évidence sensuelle de Bonnard (Earthly Paradise, 1916-20) qui fait de la peinture, plus qu' una cosa mentale, un art nécessaire à la vie.

Sortir trop tard pour déjeuner au musée. Replonger dowtown, vers Van Buren et State Street, attraper un sandwich à la volée. Puis reprendre la voiture, traverser la Chicago River au sud de Goose Island et remonter par Near West Side et Ukrainian Village vers Bucktown - un quartier aux allures de Soho. Y musarder entre boutiques branchées, bars inondés de soleil et allées ombragées. Jeter un oeil, devant une Samuel Adams, sur le match des Cubs, depuis une terrasse.

Redescendre par Damen. Dîner en route chez Mia Francesca, sur Lakeview, d'un pollo arrosto et d'un carpaccio maison. Pause cocktail dans le lobby du "W", le temps de s'imprégner de l'ambiance doucement décadente du lieu.