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20/10/2007

Un tour du monde express (7) Hong Kong, l'art des affaires au pied de la Bank of China Tower

Hong Kong se dresse soudain, telle une New York du XXIe siècle, dès la sortie de Lantau Island, lorsque l'on quitte la zone de l'aéroport pour s'engager vers les Nouveaux Territoires, sur les façades de tours translucides scintillant de mille points de lumière. Des ponts immenses - Ting Kau et Tsing Ma Bridge - jetés sur la Mer de Chine vers Kwoloon s'étirent le long d'une dense toile de cables reliés à de lourdes piles de béton aux allures de portes impériales. Féerie de l'Asie des côtes et de ses vibrations intenses qui semblent aimanter le monde.

A l'Intercontinental, l'ensemble du lobby converge et s'épanouit vers les bars et les restaurants surélevés (dont un des Spoon de Ducasse) qui dominent la baie, sous la piscine à débordement et les spas de la terrasse, depuis la pointe avancée de Tsim Sha Tsui. Entre un lit immense et un large bureau aux formes courbes, la chambre, à l'étage, plonge elle aussi sur Victoria Harbour en un vaste panoramique qu'on laisse grand ouvert, la nuit tombée, en guettant le passage des ombres allongées que forment, au pied des gigantesques enseignes lumineuses, les innombrables embarcations de passage qui sillonnent le canal.

Des grimaces de Bruce Lee aux pitreries de Chan en passant par les polars infernaux de John Woo, le cinéma de Hong Kong fait de la large promenade qui borde Kwoloon une avenue des stars à la mode d'Hollywood. De part et d'autre du chemin vers la Clock Tower, qui se dresse sous les marbres du Peninsula, les ports à containers relégués aux marges de la ville voient se déployer les trafics en tous genres. Plus haut, au-delà des boutiques de luxe qui s'alignent sur les malls de la côte, le Temple Street Night Market étale ses marchandises, tout près de Shanghaï Street. Montres, bijoux, tee-shirts, statuettes, sacs, foulards, breloques de toutes sortes : tout un foutoir savamment ordonné s'accumule dans de minuscules échoppes de tissus et de bambous où le commerce règne en maître.

Pour se rendre sur Hong Kong Island, en face, il faut prendre un des lourds ferries, vétustes et rugissants, qui strient le canal de toutes parts. Parfois, un paquebot impose sa trajectoire aux jonques artisanales et aux barques de pêcheurs qui dévient soudain avant d'être brinquebalées par les flots. A d'autres moments, ce sont des vedettes militaires qui foncent vers la mer dans des gerbes d'écume : prennent-elles en chasse des pirates qui passent au large ou, seul signe de puissance tangible dans ce territoire tout entier dédié au commerce, ne s'agit-il que d'une démonstration de force ? Pendant la traversée, les gens s'assoupissent ou discutent à voix basse ; des touristes s'extasient. De vieux Chinois hurlent dans des portables, ou fument comme des pompiers, indifférents au monde. Et, lorsque le ferry accoste, on voit des miséreux, torses nus, filer, hagards, vers d'obscurs ateliers sous les quolibets de cadres narquois.

Partout, la foule se presse, mais sans se bousculer. Depuis l'embarcadère et pour atteindre le centre, il faut remonter par Fleming et traverser Wan Chai, où quelques maquerelles assoupies commencent à s'échauffer. Partout, au long d'Hennessy, de Gloucester ou de Queen's Road, des tours d'affaires jaillissantes écrasent de vieux immeubles, roses ou beiges, tout décrépis, truffés de climatiseurs délabrés. Tout un réseau de passerelles qui double en l'air les trottoirs permet d'enjamber les bouchons gigantesques qui immobilisent la ville et la rendent irrespirable et opaque. A moins que de grands vents marins ne viennent préparer le terrain pour de fulgurantes irradiations de soleil, de part et d'autre du détroit, qui paraît alors soudain comme un miroir de la ville. Un miroir trop éblouissant pourtant pour être contemplé, comme si l'image de la ville se déportait aussi au large, vers de nouvelles conquêtes.

Au Hong Kong Arts Center, l'art croupit misérablement entre deux instituts endormis et une exposition de photos perdue dans des escaliers vides. L'art ici, c'est celui des affaires : face aux formes audacieuses de la Hong Kong and Shanghai Bank de Norman Foster, Pei impose en face, un peu plus haut encore, sur les 70 étages de la Bank of China Tower, la croissance comparée du bambou et de l'esprit sur des losanges de verre aux faces décalées qui, la nuit tombée, dominent toute la baie de leurs jeux de lumière. Plus loin, comme dans un écrin en retrait de Garden Road, on prie sous le clocher modeste de Saint John's Cathedral, blottie, paisible, au pied de hauts palmiers.

C'est le tram, à deux pas, qu'il faut prendre pour rejoindre la Peak Tower. Vieux convoi de bois au bancs durs, le tramway remonte avec peine la colline dont la pente, entre May Road et MacDonnell, est si forte qu'on l'imagine à certains moments pouvoir renverser l'attelage. En bas, les flancs sont encore occupés de batisses entassées et de jardins minuscules : pas une once d'espace vide. Mais à mesure que l'on monte, ce n'est plus qu'une vaste étendue densément plantée et désertée de toute habitation jusqu'au pic. Depuis le sommet, une forêt de tours resserrées sur l'étroite bande côtière, et d'autant plus élevées qu'elles paraissent avoir été condensées à leur base - on dirait un assemblage de transistors géants -, semble se réfléter sur Kwoloon, avant de disparaître dans les brumes de la Mer de Chine. Au-delà, les secrets des villas néo-classiques de Mount Austin finissent par s'évanouir, au-dessus de Lugard, dans les méandres de Victoria Park.

Un jour ou l'autre, il faut bien redescendre des montagnes sacrées ; rien n'oblige pourtant à replonger brutalement dans l'arène. Au bout du quartier des antiques, le Man Mo temple - le plus vieux des temples maoïstes de la ville -, s'accroche à flanc de colline entre une rangée d'immeubles et un square minuscule qui lui fait face, juste à côté du réseau des échoppes d'artisans qui s'étagent en cascade autour d'Aberdeen. Un lieu discret, presque invisible n'étaient les allées-et-venues des dévôts venus décliner là leurs souhaits ou honorer les morts. Les bustes se penchent et se redressent en de longues litanies ; elles semblent se dissoudre dans des volutes d'encens qui s'insinuent partout et enfument le temple jusqu'à ses chapelles adjacentes. Ici, il y a un dieu pour la guerre. Mais il y en a aussi un pour la littérature.

10/07/2007

Retour de Chicago (Jour 4) En descendant Old Town

Démarrer la journée à l'Argo Tea, à l'angle de Rush et Randolph, en parcourant le Chicago Tribune. Slalomer à travers le Loop en remontant vers le Nord. Savourer l'alternance des trottoirs ombragés et des grandes trouées de soleil qui, du Lac, transpercent la ville à chaque coin de block jusqu'aux faubours de l'Ouest. A hauteur de Marina City - deux immeubles jumeaux sur trois parties : une marina, un parking apparent, puis les étages d'habitation -, bifurquer vers l'Est en remontant la Chicago River, puis s'engouffrer dans Michigan Avenue.

Au pied du siège de la Tribune (comme du Waker Drive, du Hilton ou de la Sears Tower), lever les yeux au droit des murs qui s'élèvent vers le ciel ; le premier building au monde est réputé avoir été construit ici après le Grand Incendie de 1871 (le Home Insurance Building par William Le Baron Jenney) et, depuis lors, la ville fait office de laboraroire architectural. Multiplier les angles impossibles. Joindre aux quatre coins de l'objectif l'extrêmité des toits dans un même cliché. Puis, photographier le ciel.

Faire quelques emplettes chez Nokia - la boutique, au design très épuré de bleu ciel intenses et de gris sombres, se clôt d'une petite salle de présentation intimiste inspirée des grandes bijouteries -, jeter un oeil chez Eres et Gap. S'apercevoir que le musée de la photographie contemporaine était sur South et non sur North Michigan Avenue. Dériver vers Streeterville et rentrer au Museum of Contemporay Art par le jardin ombragé et la terrasse, qui donnent sur le Lac.

Jeter un oeil, sans conviction, sur l'expo "Escultura Social", d'une nouvelle génération d'artistes mexicains ; un autre, plus intéressé, sur le travail de Jana Gunstheimer, "Status L Phenomenon" - une approche originale, multimedia, de la désolation post-industrielle, qui associe l'engagement social et l'inventivité. Se dire que cet esprit ludique qui, malgré tout ici, manque un peu d'humour, fait le meilleur de l'art moderne.

Se retrouver dans le hall et se laisser glisser vers le square, aux allures d'un parc des faubourgs. Redescendre vers Navy Pier en coupant par Olive Park. Louer des vélos et remonter vers North Side par la côte, le long du Lakerfront Trail en surfant, au soleil, sur la piste. Dépasser Oak Street Beach en regardant, au passage, les parties de beach volley. Penser : "On dirait Sydney". Pousser jusqu'à Lincoln Park. Là, redescendre lentement le long des allées cossues et ombragées d'Old Town. Déambuler sur Oak Street, l'avenue Montaigne de la ville.

Un peu plus haut, avaler un hamburger Angus et un club sandwich sur une terrasse de Rush Street. Se laisser happer par une conversation de voisinage, sympathique mais banale, avec un type du Connecticut, accompagné de son beau-frère (on dirait, lui, qu'il monte toujours la garde à Fort Wayne) qui tient à nous faire part de son amour de la France. Un peu plus tard, sur Randoplh, entre la marina et les parcs, sentir la ville commencer à vibrer des préparatifs d'Independance Day.

Faire un aller-retour rapide en cab à l'hôtel. Revenir se nicher sur Westshore pour participer à l'attente trépidante et bon enfant des réjouissances. Trinquer d'un cabernet-sauvignon de Mondavi, avant les hot dogs. Se prélasser sur l'herbe en attendant que ça pète. Regarder alentour : des adolescents seuls au monde, les équipées familiales, un club californien en goguette, les filles qui se trémoussent sur les bateaux au son des raves, les barbecues improvisés, le ballet continuel des passants en contrebas... Une gigantesque family party à ciel ouvert.

Plus tard, redescendre par Millenium, sous une pluie battante. En repensant au livre de Mauvignier, rester à distance de la foule qui s'amasse, dense et massive, sur les transversales de Grant Park. Hâter le pas entre la police montée qui parade, un dernier air de rock sur Wildflower Works et les longues files d'attente devant les stations de métro sur Wabash Avenue. Marcher sous la pluie au beau milieu d'Adam Street. S'engouffrer dans l'hôtel. Redescendre plus tard prendre l'air entre les éclairs et les trombes d'eau qui s'abattent sur la ville.

Au matin, prendre la Kennedy Expressway et filer vers la 90 en traversant les faubourgs industrieux du Sud-ouest. Capter un air de blues à la radio, prendre un rythme de croisière. Garder en soi quelque chose de la vibration de la ville.