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17/01/2007

L'honorable capitaine de la guerre Guidoriccio da Fogliano (sur un tableau de Simone Martini)

Comment en vient-on à faire de l'aventure un projet, de la transgression un devoir, de l'exploration un fil ? A l'origine de cette inspiration, il y a, souvent, la bienveillance d'une mère, et la confiance qui en résulte pour se frotter à la loi. Cet ancrage psychologique se double, dans mon cas, d'une dimension intercuturelle propre à interroger les frontières dans une famille partagée, italienne du côté de ma mère, normande du côté de mon père.

Cette inspiration, chez moi, s'est fixée sur une image.

J'aime "L'honorable capitaine de la guerre Guidoriccio da Fogliano" de Simone Martini. Je l'ai aimé dès le premier coup d'oeil, comme une figure de héros hors du temps, indifférent au danger, sûr de son fait. Il faut dire qu'il a fière allure, avec sa coiffe de condottiere, sa tunique seigneuriale en damier fleuri enveloppant sa monture et son arme à la main. Notre capitaine trotte majestueusement entre deux villes fortifiées (Montemassi et Sassoforte), à deux pas d'un campement de bataille installé au pied d'une colline proche.

Dans l'alternance des forts et des vallées, le tableau a presque une allure de montagne russe, comme si da Fogliano était le seul élément stable d'un monde mouvant - un monde de rivalités entre les cités italiennes du début du Trecento où, comme le rappelle Jean-François Guillou, Sienne fit appel à Simone Martini, élève de Duccio, pour chanter sa gloire. Un contraste, très marqué, entre les beige terreux et orangés du sol et le bleu profond - un bleu de nuit - du ciel accentue de fait l'opposition entre la stature du chevalier "défilant comme à la parade", et l'instabilité du monde environnant. On y revoit la lumière si particulière de Sienne, celle des fins d'après-midi, quand le soleil commence de décliner doucement sur les hauteurs du plateau. Instabilité ou fragilité au vrai ? Car la parade de Guidoriccio figure une conquête annoncée, et c'est de fait par la force qu'il soumettra les deux cités toscanes.

Ce monde mouvant, pourtant, est aussi un monde étrangement déshumanisé. Le capitaine y "défile comme à la parade", mais il y défile seul. Tout alentour, ce ne sont que pics et bannières, pieux et palissades, toiles de campement et murailles de pierre. Au-delà d'une première impression d'animation rurale et de préparatifs de guerre, il n'y a, hormis Guidoriccio, pas âme qui vive dans ce décor. Héros seul, perdu dans un monde minéral, qu'il donne presque l'impression de survoler du fait d'un premier plan très agrandi et d'un angle des sabots comme décalé par rapport au sol.

Ce n'est pas Du Guesclin au combat, c'est presque Don Quichotte en campagne.

Une ancienne collaboratrice, quand j'étais jeune directeur de cabinet, m'en avait offert cette magnifique reproduction. Depuis lors, il n'est jamais très loin, comme une sorte de petite musique picturale. A défaut d'un sens très sûr, la vie y puise au moins une invitation au mouvement, entre l'appel de l'aventure et la vanité de la conquête, le fracas de la foule et une souveraine solitude - entre lesquels le tableau balance, sans commander de choisir.