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03/12/2007

Chris Marker place de la République : un pays romantique comme le nôtre

C'est devenu soudain évident en parcourant au débotté l'exposition consacrée au photographe Chris Marker par le Wexner Center for the Arts - le centre d'art multidisciplinaire et très actif de Columbus, situé au coeur de l'Université, juste à côté du Hagerty Hall, un ensemble de départements consacrés à l'étude des cultures et à la communication.

Le Centre a été, soit dit en passant, la première réalisation de Peter Eisenman, avec le concours de Richard Trott et Laurie Olin. Plébiscité pour ce succès, Eisenman réalisera d'ailleurs, dans la foulée, le Columbus Convention Center. "C'est un morceau d'espace qui se serait crashé dans les prairies..." a dit l'auteur Spalding Gray à propos de ce bâtiment futuriste qui relève à la fois du fort, de l'usine et de l'échaffaudage.

Cette impression à la fois futuriste et léchée se prolonge à l'intérieur du bâtiment. Tout au long de panneaux blancs convergeant vers la pointe d'une pièce en triangle qui en renforçait l'intensité dramatique, les manifestations anti-FN de 2002 étaient ainsi récemment mises en parallèle avec de plus anciens clichés de Mai 68 (et aussi de vieilles photos de manifestations américaines des années 60/70).

Clichés en noir et blanc, le plus souvent floutés, desquels surgit soudain la figure de Cohn-Bendit ou celle de Besancenot en vis-à-vis, entassement de voitures, amassements de barricades, visages illuminés des premières manifestations, baisers adolescents ou graves solitudes au milieu de la foule, marches épiques, poings levés, tee-shirts à l'effigie du Che, banderolles tendues et porte-voix brandis.

Au-delà de la trajectoire de l'auteur - dont témoigne, à quarante ans d'intervalle, le même cliché, pris sous le même arbre, Place de la République -, pourquoi ce parallèle emmêlé ? S'agit-il d'une comparaison sociologique, d'un rapprochement politique ? D'un simple vagabondage poétique ?

En fait, ce que ces images ou, plus encore, ce que ce parallèle donne à voir, c'est la force d'une formidable projection romantique de l'Amérique sur la France. Et ce n'est pas tant d'un romantisme privé dont il s'agit ici que d'un romantisme public, d'un romantisme politique. En forçant le trait, on distinguerait entre le romantisme républicain de l'escapade amoureuse à Montmartre et celui, démocrate, de la manif à République, la zone allant de Saint-Germain à Montparnasse faisant office de terrain neutre, celui en quelque sorte du consensus touristique.

Romantisme politique : ce que nous représentons pour ce pays aux attroupements chétifs, c'est la patrie de la lutte pour les droits, de l'opinion mobilisée, du pays dans la rue, de cette démocratie de tous les instants engagée et joyeuse. Voyez encore, en mettant de côté le tragique de l'affaire, l'incroyable folklore auquel nous invite le dernier film de Michael Moore.

Romantisme ? Sans doute, mais un romantisme qui opèrerait alors comme une nostalgie des combats disparus et qui est à deux doigts, pour tout dire, de basculer dans le parc de loisirs, tel un Jurrasic Park de l'épopée perdue.