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26/02/2008

L'honorable commandant de la guerre John Mac Cain

A travers le débat démocrate d'Austin, c'est déjà à son rival républicain annoncé que s'adressait Obama, en l'interpelant sur sa "guerre de 100 ans" en Irak. Mac Cain ? Autant dire un revenant. C'est pourtant Huckabee qui, le premier, avait créé la suprise et commencé à déjouer les plans du GOP autour de Mitt Romney ou de Rudy Giuliani. Mais le premier n'a pas résisté au soupçon que suscitait son obédience mormone, et le second, que ses positions libérales en matière de moeurs fragilisaient déjà aux yeux des conservateurs purs et durs, en zappant les premières primaires dans les petits Etats a perdu en dynamique et gagné... en suffisance.

Au-delà de leurs erreurs de positionnement, il y a au reste quelque chose de plus profond dans l'échec cinglant de ces deux figures républicaines. Comme si elles avaient trop incarné une forme de puissance, qu'elle vienne des armes ou du business, voire une position dans laquelle le confort le disputait aux certitudes en des temps pourtant difficiles pour le peuple américain. Du volontarisme ? C'est indispensable, sans aucun doute, en ces matières ! Mais avec ce qu'il faut d'humanité, de compassion - voire de générosité.

Huckabee reste certes en course, au moins jusqu'au Texas, mais davantage pour témoigner de l'influence de la religion dans les milieux conservateurs que pour disputer la course. Reste donc Mac Cain qui, s'il survit aux histoires de relations dangeureuses tout récemment exhumées par le New York Times (il y a huit ans, l'équipe Bush l'avait déjà coulé par le fond avant la primaire de Caroline du sud en laissant entendre qu'il avait eu un enfant illégitime d'une afro-américaine), serait opposé à Obama si les choses, pour ce dernier, continuent sur leur lancée.

Le jeune pacifiste contre le vieux va-t-en guerre, l'inspiré de la réconciliation contre l'obsédé de la géopolitique, le jeunot contre le héros - l'avenir, en somme, contre le passé : ce serait gagné d'avance. Vu la sortie brutale à laquelle a été contraint Giuliani après la primaire en Floride au rebours du pronostic que l'on avait formulé ici, on ne se risquera guère à de nouvelles prédictions. Mais enfin, dans un pays qui préfère John Wayne à Luther King (quels commerces s'arrêtent encore de travailler dans le Midwest pour Martin Luther King Day ?), la partie contre le commandant Mc Cain ne paraît pas aussi facile qu'elle pourrait en avoir l'air.

Mac Cain est un type courageux qui s'est fait fort, quoi qu'il dût lui en coûter, et cela dès le début de la campagne, de dire la vérité, en tout cas ce qu'il pensait, sur un certain nombre de grands sujets du moment. Ce n'est pas tout à fait la même chose que de caresser l'opinion dans le sens du poil. Une indépendance d'esprit et une liberté de ton qui lui ont permis, comme pour Obama, de s'adresser aux électeurs indépendants et qui, simultanément, lui posent quelques soucis vis-à-vis des ultras de son camp pour lesquels il apparaît comme un centriste plus que comme un conservateur stricto sensu.

N'en déplaise à l'opinion publique, ici comme en Europe, ce que dit Mac Cain sur l'Irak est très loin d'être imbécile. Le chaos et la défaite américaine ne feront pas une nouvelle politique de progrès au Proche-Orient, bien au contraire. Sans parler de risques de l'exposition accrue de l'Amérique au terrorisme qui en résulterait. Une défaite tranquillement assumée après l'attaque au coeur de 9/11 ? Il n'y a sans doute qu'en Europe que le scénario paraît naturel ; et, chez les Démocrates, comme pour les accents protectionnistes retrouvés à l'approche du Midwest, on verra à l'usage, au-delà des propos d'estrade. Fierté patriotique et liberté économique, le sentiment d'une mission et la perspective de l'enrichissement sont ici des valeurs profondément enracinées chez les gens et transcendent les appartenances politiques.

Le commandant Mac Cain est un héros respecté de la guerre du Vietnam : il y avait été, on le sait, torturé pendant de longs mois, et il a été le seul des candidats républicains dans un débat de la fin de l'année dernière, à prendre clairement position contre tout usage de la torture. Mac Cain est, dans l'affaire irakienne, déterminé sans être aveugle. La stratégie déployée sur place avec le Général Petraeus va dans le sens qu'il appelait de ses voeux et qui, s'accorde-t-on des deux côtés, semble donner des résultats positifs ces derniers mois. Bref, il faudra à Obama encore un peu de souffle, après Austin. Mais il faudra, encore plus sûrement, être de nouveau en mesure de faire parler la poudre pour les duels à venir.


PS : Faire parler la poudre ? Le clin d'oeil pourrait se transformer en nouveau drame. Dans la dernière lettre du Monde consacrée aux élections américaines, Patrick Jarreau fait lui aussi écho à l'inquiétude que j'avais formulée dans un post du 5 janvier ("Le Big Mo de Barack"). Il évoque le sujet en ces termes : " Le New York Times parle d'une "inquiétude étouffée" chez les partisans de Barack Obama. Risque-t-il le sort de Martin Luther King et de Robert Kennedy, assassinés à deux mois de distance, en 1968, cinq ans après John Kennedy ? En 1996, quand le républicain Colin Powell avait envisagé d'être candidat à la présidentielle, sa femme l'en avait dissuadé parce qu'elle pensait que l'extrême droite le tuerait plutôt que de laisser un Africain-Américain accéder à la présidence. Des policiers d'élite protègent nuit et jour le sénateur de l'Illinois. Comment savoir si le danger est élevé ou s'il appartient à une époque révolue ? Peut-on ne pas penser au défi que sa candidature lance à l'Amérique des ténèbres ?".

25/02/2008

OK Corral à Austin ? (Obama, Clinton et l'Amérique profonde)

Règlement de compte à OK Corral cinquante ans plus tard ? Depuis qu'en 1960 Kennedy a fait la différence avec Nixon grâce au débat télévisé qui a opposé les deux hommes - JFK a alors convaincu les trois quarts des 4 millions d'électeurs indécis et ne l'a finalement emporté que de 112 000 voix -, l'exercice est toujours un temps fort de la campagne présidentielle américaine. Plus près de nous, son importance a également été mise en évidence lors des primaires démocrates de 1984 à travers l'affrontement entre Gary Hart, qui avait axé sa campagne sur "une nouvelle manière de penser", et Walter Mondale, qui faisait une campagne plus classique. Tous se souviennent encore du fameux : "Where is the beef ?" (où est la viande) finalement lancé par un Mondale excédé par les propos sans substance de son rival, qui commença alors à sombrer après les succès pourtant notables qu'il avait engrangés lors du Super Tuesday.

"Where is the beef ?" C'est la question qu'anticipait les experts de CNN en tentant de préciser la stratégie d'Hilary Clinton avant le débat qui l'opposa, jeudi dernier, à l'Université d'Austin (Texas) à Barak Obama. Battue depuis une dizaine de primaires d'affilée, à cours de ressources, le sénateur de New York est en effet acculé à la victoire dans les toutes prochaines élections qui se tiendront, le 4 mars, dans l'Ohio et le Texas. A l'inverse, parti challenger, le sénateur de l'Illinois est porté par une grande vague qui traverse le pays, attirant les jeunes en masse, remobilisant la communauté afro-américaine et, finalement, gagnant tous les compartiments de la société américaine en empiétant même sur le coeur de cible de sa rivale, les femmes et les classes populaires notamment.

En dépit de quelques affrontements de fond jeudi, en particulier sur la couverture sociale et la politique étrangère, le débat d'Austin n'aura pourtant que peu changé la donne. Affrontements ? Voire. On est frappé par l'élégance et la courtoisie des échanges dans un débat télévisé américain comparé à la bataille rangée que donne généralement à voir, en France, un exercice du même genre. Ici d'ailleurs, on débat côté à côte - parlez-en aux diplomates et aux psychologues : c'est une posture qui implique davantage la coopération que le conflit -, on redouble de précautions oratoires avant d'expliciter un argument agressif contre son adversaire et, in fine, on se déclare honoré de débattre avec lui, on se dit un mot agréable et on se serre la main. Et nous serions, nous, le symbole de la civilisation contre une Amérique primaire ?

Condamnée à attaquer - ce à quoi elle se ne s'est résolue que dans la seconde moitié de l'exercice, poussée par les questions des journalistes -, Hilary Clinton a montré une indéniable pugnacité et une présence percutante, surtout au début. Bien que bousculé de-ci de-là - sur la portée de sa politique sociale, son approche diplomatique ou sa posture politique -, Barack Obama a su à la fois souligner les convergences avec sa rivale, imposer sa hauteur et répondre, lorsque c'était vraiment nécessaire, aux attaques d'Hilary Clinton. Il était en particulier tentant, face à son volontarisme ressassé en matière d'assurance santé, de renvoyer l'ancienne First Lady à son échec cuisant sur le sujet en 1994.

Pourtant, la question revient, lancinante, dans la bouche de nombre de commentateurs : "Where is the beef ?". Où est la substance, quel est le programme d'Obama, que veut-il faire au-delà de ses incantations de pasteur qui électrisent les foules et leur font reprendre en choeur le désormais fameux : "Yes, we can!" ? L'incapacité récente du sénateur démocrate du Texas Kirk Watson sur MSNBC à citer une réalisation concrète à l'actif du sénateur de l'Illinois a naturellement alimenté la polémique. Et voilà que les élites s'agitent de toutes parts, et cela d'autant plus que l'approche du scrutin dans des Etats comme l'Ohio, sinistré sur le plan industriel du fait de l'extension des accords de libre-échange, renforcent les accents populistes des uns et des autres. Ce jeune ambitieux, inspiré mais pressé, serait-il un imposteur ?

Au regard de l'état du pays et du fonctionnement du système institutionnel américain, rien n'est pourtant moins sûr. Avec les dernières élections, l'héritage de Rove, l'influence des néo-conservateurs et la conduite des affaires par Bush Jr, le pays a sans doute rarement été aussi divisé. Comment être en mesure d'entreprendre quoi que ce soit avant de tenter de le réunir au-delà des divisions - politiques, religieuse, sociales - qu'ont entretenu les stratèges ? Or, cette intuition socio-politique, la mécanique institutionnelle la valide : en dehors des crises majeures ou des périodes, très rares, de "united government", impossible de réformer quoi que ce soit à Washington sans un minimum de consensus. Faute de quoi le camp adverse et les lobbies concernés auront tôt fait de dynamiter les projets aussi bien au Congrès que dans les medias, et avec une efficacité redoutable.

Vos propositions nous font une belle jambe, rétorque en substance Obama à sa rivale, si, insuffisamment bâties sur un élan populaire, elles finissent, comme nombre d'autres idées géniales, au cimetière sur les rives du Potomac. Et mon job, ajoute-t-il, ce n'est pas d'ânonner les propositions incertaines, c'est de réunifier le pays dès aujourd'hui, à travers la campagne. Un pari risqué pour un électeur rationnel, mais une posture qui n'est ni sans fondement au regard du pays et des institutions, ni sans puissance compte tenu des résultats engrangés jusqu'alors : 1351 délégués à Barack Obama contre 1262 à son adversaire - l'investiture nécessitant d'en réunir 2025. Bien sûr, après les tout prochains scrutins, la question des "superdélégués" - ces cadres du parti créés dans les années 80 pour tempérer les ardeurs de la base - restera clé pour une "correction éventuelle" lors de la convention de Denver à l'été. Mais, après OK Corral ici, il est toujours risqué de ne pas se rallier au vainqueur.

08/10/2007

Un tour du monde express (4) Chicago, Denver, Los Angeles: dernière frontière avant le Pacifique

Il est tard déjà et Chicago est bientôt plongé dans la nuit saisissante des Grands Lacs. Entre Midway et Ohare, il faut contourner les immenses parcs à containers en transit qui rappellent, entassés dans la nuit, le rôle de plaque tournante joué par la grande métropole du Midwest, avide de matières premières de toutes sortes, produits agricoles, minerais et métaux, comme une Shanghaï du Nord, continentale et froide.

Plus loin, les ghettos noirs s'ordonnent proprement au long des rangées de pavillons agglutinés des cités du South Side. C'est là, ou plus au sud peut-être, qu'après Columbia, Obama fit ses classes. Des petites filles inventent des jeux sous le regard lointain des mères qui trônent devant les portes ; de jeunes adolescentes qui se prennent pour des femmes embrasent les rues sur leur passage. L'ensemble, un peu déglingué, s'accroche tant bien que mal au bord des autoroutes qui quadrillent la ville.

Brinquebalé dans une navette spéciale qui file à toute allure dans la nuit par Stevenson, Ryan et Kennedy, on perçoit tout de même, de temps à autres, aux péages, ou lorsque deux chauffeurs se côtoient sur la route et s'amusent, fenêtres grandes ouvertes, à faire un bout de route ensemble, cet humour black, toujours prêt à retourner la médiocrité des rôles sociaux en complainte burlesque, entre les signes de connivence et les grands éclats de rire qui fusent, soudain, dans le vent et la nuit.

Après une pause à Columbus, Ohio, en repartant sur Denver, on est frappé par le contraste entre la masse, compacte et géométrique, des cités et l'isolement, l'empreinte modeste sur la terre, de l'habitat dans les campagnes. L'impression aérienne comme une sorte de négatif environnemental du fait sociologique : on a l'impression de locataires au milieu des grands champs. Conservatisme de la terre ? Outre que l'Amérique n'est pas la France, on sent le paradigme s'inverser, comme si cela, la liberté nouvelle de notre regard sur la terre (à laquelle nous a éduqué sans doute de façon décisive Artus Bertrand) nous révélait un bon conservatisme. Après tout, au sens premier, n'est-ce pas ce qui nourrit, entretient... conserve ?

Après les grandes plaines de l'Indiana et de l'Illinois, du Missouri et du Kansas, on bascule enfin sur les Rocheuses, dont les contreforts font comme une imensité de plis, tantôt congestionnés à l'extrême, et tantôt troués de vallées obliques. Parfois, en s'élargissant, les rivières dessinent de grands crépis rougeâtres vers le nord. Au bout, Denver, Colorado, s'étale au pied du massif dont, après un court stop sur la ligne d'United, il faut repartir plus loin encore vers l'ouest.

C'est la Sierra Nevada qu'on traverse cette fois, qui paraît plus inhospitalière. La montagne enveloppe tout. Seules quelques miraculeuses alvéoles subsistent, ici ou là, comme par miracle, telles des oasis dans les jungles que dessinent les bras désordonnés des rivières. Tout cela, au loin, finit par se dissoudre dans une brume crépusculaire. Puis, c'est de nouveau L.A., comme un tapis étoilé à perte de vue entre deux néants, la terre d'un côté, l'océan de l'autre, deux grands blocs compacts plongés dans l'obscurité profonde de l'été qui décroît. Dernière frontière avant le Pacifique.