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23/02/2008

San Francisco (6) Berkeley-Stanford via Palo Alto (introduction à la mécanique des flux)

Le plus direct pour se rendre à Berkeley, d'Oakland, c'est de prendre l'Eastshore Freeway, la 580, qui remonte tout droit vers le nord. Mais l'on peut aussi, des grandes artères de la côte, se laisser glisser vers l'est en empruntant la route 13. Au-delà d'Ashby Avenue, on s'enfonce dans le Claremont Canyon Regional Reserve, et dans les brumes qui, en fin d'année, prennent soudain possession de cette immense zone forestière. Plus au nord encore, la University of California-Berkeley est bordée par le Charles Lee Tilden Regional Park qui se prolonge, bien au-delà, jusqu'au Wildcat Canyon Park, à hauteur de San Pablo entre la Baie et, plus en amont, la zone des grands réservoirs. Accrochée au flanc de ces collines embrumées, Berkeley émerge peu à peu dans la descente. Il faut d'abord passer la zone des sciences dures (un petit côté "Rivières pourpres") - avant de déboucher sur le parc botanique dont l'entrée s'encaisse dans un large virage. Le campus ? On dirait un parc de montagne plutôt, dans lequel seraient disséminés, ça et là, quelques laboratoires perdus et autres salles abandonnées (on est, à ce moment, il est vrai, en fin d'année). Il faut descendre encore, contourner le stade et approcher du centre pour retrouver un air universitaire plus familier. Au-dessus d'un terrain d'entraînement, un magnifique manoir bâti de pierres claires et coiffé d'un toit marqueté de tuiles rouges et noires, dominé plus haut par un donjon ouvert, surgit des bois qui couvrent le flanc de la colline et surplombe toute la vallée. Plus bas, le campus se fond dans la ville ; de grands bâtiments administratifs alternent avec de vieilles baraques en bois avant de se dissoudre, peu à peu, dans la succession des stores qui saturent University Avenue.

En touchant de nouveau la côte, juste au-dessous de Cesar Chavez East Park, reprendre plein sud la 580, puis la 880. Après la Mac Arthur Freeway, on longe Alameda, puis on passe Melrose, San Leandro et Castro Valley jusqu'à Hayward et Fremont le long d'une autoroute déglinguée, à la fois chargée et fluide. On se laisse descendre en vitesse de croisère, comme calés dans une puissante mécanique des flux. L'Amérique ne se repose jamais. Flots de matières commerciales ici, embarqués sur de gros trucks qui foncent droit devant, flux de matière grise de l'autre côté de la rive. La traversée du fond de la baie par le Dumbarton Bridge, juste avant Newark, à une cinquantaine de miles au sud-est de la ville, est irréelle. Berkeley était immergé dans un parc ; depuis cette route qui file juste au-dessus de l'eau, on dirait les abords de Palo Alto noyés dans un vaste marécage. Au-delà de quelques herbes folles, c'est un monde plat, gris, où un ciel de noirceurs concentrées, presque bleutées, semble plonger sous des eaux mortes. Toute la vue sur la baie est prise dans cette lumière épaisse, plombée qui, plus loin, se fond dans la monochromie d'un mauve souris étonnant, clair et sombre en même temps, traversé de la ligne très estompée du rivage. Un Turner sans lumière. Ou un Rothko des jours sombres.

Au bout de la 84, il faut encore prendre une courte boucle par le sud qui traverse la Bayshore Freeway et passer une banlieue latino délabrée. Puis, c'est Palo Alto. Un bourg tout en longueur et en géométrie, dominé par une tour universitaire en béton le long d'une nouvelle University Avenue. Surprise : c'est ici, dans ce lieu totem de la recherche en communication, que, de la boutique Apple un peu plus bas, je repars avec un I-Phone. Terriblement snob, sans doute, mais grisant, comme toujours quand les symboles entrent en résonnance avec la vie. D'autant plus que - seconde divine surprise -, le déjeuner nous emmène chez Rosso & Bianco, le restaurant de Coppola. La pizzetta Bianca (une petite pizza composée de morceaux de prosciutto, de pommes de terre, de ricotta et d'un peu de romarin sur une pâte très fine) est juste comme il faut, les Malfatti alla Nonna (des gnocchis à la ricotta servis avec une sauce à la crème avec des petits pois et des oignons doux), le tout arrosé d'un verre de vin rouge lui aussi de chez Coppola (qui fait ici une production tout à fait honorable), tout cela fait une bonne cuisine napolitaine. Dans un restaurant qu'entre ses banquettes rouges et ses vieux lustres, ses photos d'époque et son bar sombre, on dirait tout droit sorti du Parrain, un jour de règlements de compte entre amis respectables.

Il reste à se laisser glisser au long de l'allée de palmiers de Palm Drive, majestueuse et presque perdue, comme issue d'un rêve d'un autre temps. La même impression domine lorsque l'on pénètre dans l'immense domaine de Stanford. "Les enfants de Californie seront nos enfants" avait dit Leland Stanford le jour de la mort de son fils. Aujourd'hui, l'université est largement ouverte sur le monde. Elle se classe avec une belle régularité parmi les meilleures universités mondiales, en deuxième position avant Berkeley et juste derrière Harvard (je suis pré-inscrit à un programme exécutif dans chacune de ces deux universités, cela valait bien un détour préalable). Ici, églises et chapelles font face aux bibliothèques, de larges salles s'étirent au long des galeries extérieures qui ferment les cloîtres, les allées tantôt passent sous de grands porches, tantôt s'épanouissent en patios verdoyants. A l'entrée, le jardin des Bourgeois de Calais, au milieu du Memorial Court, rappelle, en matière de grandes causes, ce qu'il faut de détermination à l'heure du plus grand effroi. Pas de savoir sans courage.

En aval de San Jose, qui clôt le passage au sud par l'intérieur, on remonte toute la Silicon Valley par la route 101 en passant Redwood, San Mateo et San Bruno, entre la Baie de San Francisco et le Pacifique, qui délimite les terres plus sauvages de l'ouest. L'obscurité enveloppe peu à peu les paysages, la route et les grosses cylindrées qui coupent la nuit à vive allure vers South San Francisco. Tant de lumière derrière une obscurité si épaisse. On est en plein hiver et l'air est si doux. Et puis ce concentré de civilisation flanqué de toutes parts d'espaces abandonnés et perdus... C'est comme un souvenir de Levi-Strauss : de grandes cités qui brandiraient, en vain, leurs efforts contre les démons de l'entropie. Se pourrait-il que notre monde soit si fragile ? Le ronronnement de la Mustang, rassurant au milieu des repères qui s'estompent, berce notre absorption par la ville, une fois que l'on a passé Bayview District et Diamond Heights, en remontant par Potero vers Chinatown et North Beach.

13/02/2008

San Francisco (5) Navigating The Imagination

On accède au Yerna Buena Center for The Arts en traversant les jardins modernes qui dessinent une esplanade étrangement isolée au milieu de South Market, entre une église perdue sur Mission Street et les buildings du Financial District. Autour de la figure du Dalaï Lama, on célèbre dans ce musée alternatif une paix toujours à accomplir ("The Missing Peace") entre les chaussures du Maître et une série de bouteilles d'eau sacrée, sur fond de musique tibétaine...

Plus loin, c'est le Cartoon's Museum et ses vieilles planches où Dracula le dispute à Popeye. La galerie, étriquée, a supplanté le Ansel Adams Center for Photography sans que personne apparemment, chez Galimard, ne s'en avise. La librairie à côté ? Ce sont toujours les mêmes histoires qui oscillent entre la sexualité et la drogue. Elles ne sont aujourd'hui pas plus décalées que provocatrices ; il leur reste pourtant une sorte de poésie irréelle qui aurait résisté à la banalisation de l'époque, quelque chose comme le Grand Meaulnes mis en scène chez les Hippies.

A la sortie, le déjeuner chez Bloomingdale, à la Boulangerie, ne vaut guère mieux. Il y a des jours comme ça - et celui-ci semble impuissant à chasser la masse opaque et grisâtre qui plombe la ville d'une lueur maussade depuis les premières heures du jour.

Mais l'essentiel, ici, se passe au SF Moma où, une fois dépassé la foule qui accourt les jours de pluie, on trouve refuge auprès de quelques oeuvres de haut vol. Un Blanc de Rauschenberg, une femme de De Kooning et surtout un visage scarifié de Dubuffet sont de celles-là. A passer devant un Paysage de Cannes de Beckmann (dont l'expo à Beaubourg, il y a trois ou quatre ans, avait été remarquable), on se dit en revanche que tout artiste, en dépit des nécessités de l'exploration, devrait persister dans son génie propre - et celui du peintre allemand n'a manifestement que peu à voir avec le territoire de Matisse, Cézanne ou Bonnard.

L'art de Cornell Joseph exposé ici sous le thème "Navigating the Imagination" peut, de même, laisser assez perplexe. C'est une sorte d'atelier de miniatures bidouillées qui prennent place dans des espèces de maisons de poupées. Une japonaise d'un certain âge, aussi élégante que concentrée, en arrive même à loucher au-dessus de ce curieux cabinet de curiosités.

On s'amuse davantage dans l'espace réservé à la photographie ("Picturing Modernity") - un art dans lequel le Moma de San Francisco a été pionnier. La gueule de Dick Hickock, le meurtrier qui sévit au Kansas dans les années 60, saisi par Richard Aveden en dit presque aussi long que tous les polars de Chester Himes : une vraie banane, un oeil défoncé, bref, une sorte de Rocker-A-Billy qui aurait dégénéré. Pareil pour celle de JR Butler, le président du syndicat des fermiers du Texas vu par Dorothea Lange : des traits secs, un visace émacié avec de grands yeux, et puis une chemise trop grande pour ce type épais comme un haricot mais que l'on sent énergique et déterminé, un vrai concentré de nerfs.

On retrouve aussi, pour ce qui est des contemporains, Jeff Wall, d'ailleurs exposé il y a peu au Wexner Center de Columbus. "Rear 304 E 25th"... etc, est une oeuvre qui semble emblématique du travail de Wall, mettant par le seul jeu d'un détail décalé le cliché en mouvement : subversion d'une photographie qui, bien que débordée par l'histoire, apparaît pourtant plus proche de la représentation que du mouvement, plus étrange que narrative. Plus loin, les réalisations de Nicholas Nixon autour des "Brown Sisters" - photographiées chaque année au même endroit pendant une trentaine d'années - font une oeuvre à part, qui n'est qu'en apparence inéluctable tant chaque cliché, là encore, ouvre l'espace de toutes les narrations, comme si l'avancement vers la mort matérialisé par les clichés ne parvenait pas à épuiser les récits possibles de ces vies, inscrits dans les interstices qui les séparent.

Tout cela est couronné, au dernier étage, de l'exposition consacrée à Olafur Eliasson, "take your Time". Passé sa passerelle kaléidoscopique qui traverse un cercle au-dessus du vide, on est littéralement happé par ses murs de lumière qui, lorsqu'on s'en approche à l'extrême, donnent la sensation exceptionnelle d'entrer dans une autre dimension. Les couleurs varient peu à peu, puis changent et semblent s'emparer de l'espace au point de supprimer chez le spectateur-acteur jusqu'à la perception de son corps. Qui sait ? - Une figure de la béatitude peut-être, comme on l'aurait décrite entre un acide sévère et une farandole inspirée dans les Sixties, sur Haigh Street.

11/02/2008

San Francisco (4) Big Shore (surf, arnaque et vieilles dentelles)

Chez Oxenrose, sur Grove Street, la coiffure rassemble tout ce que le quartier a de branché. Elle est le prétexte, sous les luminaires en forme de pieuvres mixant les reflets des uns et des autres dans d'infinis jeux de miroir, d'un abandon à un moment de luxe où le show le dispute à la relaxation et la musique cool aux bouffées d'un hard rock qui, depuis le bar de la mezzanine, fait trembler les vieilles pierres du salon. A moins que la rythmique endiablée de Mr Scruff ne finisse par hypnotiser l'ambiance.

Prétexte ? On peut du coup prendre la route n°1, sur Big Shore, les cheveux au vent, vers Monterrey et Carmel en longeant le Pacifique vers le Sud. La circulation, déjà légère en sortant de San Francisco, nous laisse presque seuls quelques dizaines de miles plus loin, passé les stations balnéaires proches du côté de Moss Beach, El Granada, et surtout après Half Moon Bay.

Entre les criques esseulées qui viennent se lover sur le rivage, qu'on aperçoit depuis la route à la faveur d'une courbe marquée ou bien d'une descente abrupte, la côte paraît sauvage. Quelques surfeurs disséminés au large. De hautes herbes perdues, balayées par les vents. C'est comme un monde à part, témoin par le vide de l'aspiration des grandes mégalopoles qui polarisent la côte, adossé à la puissance de l'océan auquel il se rattache bien davantage qu'aux terres.

Passé Santa Cruz, on plonge sur Monterrey Bay. De vastes territoires maraîchers, entretenus par une main-d'oeuvre latino à vil prix, succèdent aux dunes sauvages, verdoyantes au nord, roussies vers le sud. Que Clint en soit le maire n'y change rien : entre son wharf rafistolé en parc à touristes et ses bâtiments insipides, Monterrey est un piège touristique que l'on quitte bien vite pour basculer de l'autre côté, sur Carmel. Là, un bourg immergé sous l'ombre des grands pins californiens mène, en longeant des villas mexicaines d'un autre temps, à une crique lumineuse.

Il est temps de reprendre le chemin du retour. Avec une Mustang sous le pied, sur plus de 400 miles, ne jamais perdre de vue la dernière station, une fois qu'on a repassé Santa Cruz, sur la route de Davenport. Tandis que la nuit tombe, on peut, par miracle, tomber sur une station perdue qui apparaît à peu près en même temps que le fond de la jauge. Mais à Gazos, ce trou perdu, à environ 75 miles au sud de San Fran, on paie le gazoline à prix d'or, tandis que des mémés flingueuses devisent sur la terrasse d'à-côté autour d'un verre de gnôle dans ce coin aussi pourri que glacial. On imagine très bien une winchester à canons sciés scotchée sous la table. Le mieux est de ne pas vérifier et de passer son chemin.

Il finit une heure plus tard, en se laissant dériver sur Junipero Serra et Portola, sur les Twin Peaks. De là, à la tombée de la nuit, la ville apparaît comme un tapis de petites lueurs qui projettent sur les maisons blanchies une pâleur rosée tandis qu'autour d'Union Square, le shopping bat son plein entre les façades imposantes de Macy's et de Tiffany.

Plus tard, on sent bien, sur les hauteurs d'Alamo Square, que le jardin policé bordé d'élégantes villas cache en fait un territoire plus sauvage qui trône au milieu de Western Addition. On se croirait sur une île océanienne, aux senteurs d'eucalyptus si prenantes. Dans cette ville si ouverte sur le monde, c'est peut-être un souvenir du large.

09/02/2008

San Francisco (3) Castro Bomb (Ecce homos)

L’on peut se laisser errer entre les parcs de Mission, en rêvant d’habiter les abords de Dolores Street en face de Mission Dolores Park, au-delà duquel les rues meurent dans des pentes impossibles après la ligne de démarcation que fait une ligne de cable car un peu perdue sur les hauteurs. De l’autre côté, la ville prend une autre coloration : ce n’est plus l’atmosphère européenne et asiatique de la côte, c’est un monde latino et black, une rue plus populaire et des murals plus fervents que ceux que l’on trouve ailleurs dans la ville.

Haight Street, un peu plus au nord, fut, dans les années 60, un haut lieu de l’activisme ; c’est là que naquit le mouvement hippie. Aujourd’hui, cette longue rue fait alterner les maisons chics et des blocks plus bohême, les boutiques à la mode et des territoires plus paisibles. Au beau milieu de la zone, c’est Castro, le fief homosexuel de la ville, qui affiche tout au long de Castro Street son engagement militant et sa sociologie typée – femmes masculines, mecs en cuir avec boucs, etc – à travers une kyrielle de restaurants cosmopolites et de bars interlopes.

Chez Harvey, entre salades mexicaines et burgers maison, on célèbre encore sur les murs le combat de Harvey Milk et de sa bande pour la reconnaissance de l’homosexualité dans les années 70. Premier superviseur (conseiller municipal) gay de San Francisco, Milk finit par être assassiné avec son complice, le maire libéral George Moscone, par un élu réactionnaire, Dan White ; le verdict complaisant dont bénéficia celui-ci - sept ans de prison - mit alors le feu aux poudres dans cette ville pourtant paisible

Cela paraît si loin. L’image ici immortalise le combat, mais elle normalise aussi les mœurs en immergeant l’affichage de la préférence sexuelle au milieu d’une Amérique, libérale certes, mais aussi familiale (cela rappelle de vieilles dames australiennes s’enthousiasmant de bon cœur à Sydney au passage de la Gay Pride sur Oxford Street). Il faut revoir là-dessus "The Times of Harvey Milk" de Rop Epstein, en attendant le film que devrait sortir cette année Gus Von Sant avec Sean Penn, dans le rôle de Milk, et Matt Damon dans celui de Dan White.

C’est un fief démocrate ici. Au Grand Lake, le cinéma qui fait l’angle entre Mac Arthur Boulevard et Lakeshore, à l’entrée d’Oakland, on peut même lire ceci sur l’immense enseigne lumineuse qui barre le carrefour : «Peace on earth can never happen until the Bush administration is removed ». Si le Castro theater, un cinéma des années 20 aux allures de cathédrale mexicaine, est un cinéma engagé, c’est d’abord par sa programmation indépendante. On y donnait ce soir-là avant « Madame Bovary », « The Strange Love of Martha Ivers », un drame d’après-guerre de Lewis Milestone.

C’était il y a soixante ans et, de l’accident de voiture à la tempête nocturne, du baiser enflammé au meurtre dans les escaliers, tout paraît faux – sauf peut-être une certaine peinture des mœurs, au-delà de l’époque. Si ce cinéma-là ne vieillit pas, c’est que ce qu’il nous dit du Bien et du Mal, des relations entre les hommes et les femmes, de l’amour et de ses épreuves, tout cela fait de lui, au fond, la bible moderne de l’Amérique.

Un bar japonais en face sert un excellent sake, sec comme un alcool de désert, entre des rolls délicieux – sushis au homard ou tempuras d’unagi (les fameuses "Castro Bombs")– que l’on savoure face à la batterie de cuisiniers nippons au milieu d’une rangée de lesbiennes aussi mal attifées qu'attentionnées.

Ville militante ? C’est une base historique indéniable, on le sent bien encore dans les choix éditoraux de City Lights, la librairie nocturne mythique de la ville, sur Broadway, ou dans l’atmosphère de Berkeley, en bas de la colline, une fois qu’on a passé le territoire des sciences dures (toujours un peu à la remorque des combats de l'époque). En même temps, tout ici respire la tolérance.

22/01/2008

San Francisco (2) Mustang Ride

Bullit ou 60 minutes chrono, Steve Mac Queen ou Nicolas Cage ? En Amérique, le mythe finit toujours par porter le mouvement et l’image par l’emporter sur le réel. A l’arrivée, on embarque finalement dans une Ford Mustang, un modèle V8 décapotable bleu nuit, tout neuf, qui n’attendait, que nous, sur le parking d’Oakland Airport, pour faire rugir ses 300 chevaux sur la 880 Nord.

D’Oakland, il suffit en effet de remonter plein nord en prenant toute la zone portuaire, qui encercle la baie, en écharpe avant de s’aligner sur Bay Bridge. Puis de se laisser happer par le flot des voitures, de ce côté-ci vers San Francisco, ou de l’autre côté de la ville, plus à l’ouest, par Golden Gate Bridge, vers Sausalito.

Il y avait les montagnes russes, il y aura les collines californiennes. Toute la puissance du moteur retient la voiture dans les descentes à pic et l’accroche au bitume dans les montées abruptes. Au ralenti, dans les lacets de Nob Hill ou entre les virages en épingle de Lombard Street, le moteur ronronne ; en pleine vitesse, il vrombit tandis que, saisie par l’accélération, la voiture maîtrise alors avec peine un mouvement de chasse par l’arrière. Il arrive même en descendant Cough Street, dans l'alternance des pentes et des replats que, comme dans les films, le monstre finisse par décoller.

Un soleil clair inonde la ville, au beau milieu d’un hiver qui ne semble pas d’ici. Plus tard, depuis la tour du De Young museum, au-dessus du jardin japonais, on voit la ville enveloppée de la belle lumière de la fin d’après-midi à travers de larges vitres voilées. En bas, les figures de fil suspendues, en forme d’arbres symétriques ou d’amphores inversées, de Ruth Asawa prolongent la magie de ce fragile équilibre tandis qu’un triangle végétal encastré dans le bâtiment frissonne au vent du soir d’un mouvement irréel.

Quand le soleil commence à tomber, depuis l’immense Golden Gate Park qui barre tout l’ouest de la ville, il faut remonter Martin Luther King Avenue à toute vitesse pour gagner la côte avant qu’il ne soit trop tard. Là, longer la plage au soleil rasant, puis rejoindre la procession des voitures qui s’arrêtent, plus bas, face au Pacifique jusqu’à ce que le soleil sombre dans les eaux. C’est comme si, ici, la mer se retenait d’attaquer la côte en échange d’un respect de la nature qui transparaît de toutes part dans la ville.

On revient alors vers Oakland en coupant par Sloat et Polavista. Sur le chemin, en bifurquant sur Twin Peaks, on voit San Francisco se couvrir progressivement de mille faibles lueurs, qui semblent n’apparaître que pour rehausser la pâleur rosée soudainement prise par les maisons. Bay Bridge, retour : la Mustang file dans la nuit comme un avion en suspension au-dessus de la baie.