13/11/2010
Révolution pour l'éducation (1) La vision de Robinson
Vient un moment où, sur les vieilles questions, au milieu de débats que l'on sent usés jusqu'à la corde, il faut savoir penser neuf et je m'inquiète que mon pays, dont c'est historiquement la vocation et le génie, la contribution et l'audace, se montre si aveugle, rétrograde et impuissant. Depuis trente ans en France, que s'est-il passé de neuf au plan intellectuel ? Rien, ou presque. On n'en peut plus de ces nouveaux philosophes qui ne sont pas plus nouveaux qu'ils ne sont philosophes. Pour un Debray ou un Attali, quelques bons analystes et des visionnaires inspirés, quelques nouveaux explorateurs, combien de plumitifs et combien de radoteurs ? Regardez la dernière livraison du Débat sur l'avenir du débat intellectuel en France. Ce serait à rire si ce n'était à pleurer.
Or, tandis que Zemmour et Nolleau sont devenus les principaux animateurs de la pensée française contemporaine, à Boston avec Christensen ou à Londres avec Zeldin ou Robinson, des réflexions neuves émergent, illuminent, ouvrent de nouvelles pistes, suscitent des façons différentes de penser et de faire. Prenons l'éducation. Dans une intervention récente intitulée : "Changer le modèle éducatif" (Changing Education Paradigms), Sir Kenneth Robinson montre à la fois l'ampleur de la tâche et la voie d'un changement (dont l'équation ne se résumerait pas à obtenir plus ou moins de tout, partout, pour tous).
L'éducation nous dit Sir Kenneth Robinson est partout l'objet de réformes pour des raisons qui sont à la fois économiques et culturelles. Il s'agit de permettre à chacun de trouver sa place sur le plan économique et à se forger une identité... dans un monde devenu à la fois imprévisible et global. Le problème, souligne Robinson, c'est que le but légitime des études : l'accès à l'emploi, n'est plus garanti. Ce qui renforce la perte d'intérêt des jeunes dans un système conçu à une autre époque pour une autre époque - en gros, les Lumières plus la révolution industrielle. Inconvénient majeur du système : il discrimine entre ceux qui prennent la voie universitaire, considérés comme intelligents et qui trouvent leur place dans l'économie, et les autres, qui font ce qu'ils peuvent. Bilan de ce dualisme ? Privilèges pour quelques uns, exclusion pour le plus grand nombre.
Globalement : le chaos.
Un cas intéressant dans ce contexte est donné par le syndrome d'hyperactivité et d'inattention qui prend, aux Etats-Unis, des proportions inquiétantes. A côté des multiples sollicitations de l'environnement liés à la place des nouveaux médias dans la vie des enfants et des adolescents, la salle de classe apparaît bien ennuyeuse. Un mal que l'on considère comme une épidémie et que l'on médicalise donc à tout va. On abêtit pour remettre dans les rails d'un système à bout de souffle. L'expérience esthétique propre à l'enseignement des arts - nos humanités -, dont la fonction d'éveil et de prise de conscience a été décisive, périclite, tuée par un modèle qui au lieu de réveiller, anesthésie désormais.
Or, aujourd'hui encore, dans ses programmes, son organisation, ses institutions, le modèle éducatif dominant reste profondément calqué sur le mode d'organisation de l'industrie. De la sonnerie aux équipements, des classes spécialisées au regroupement par classes d'âge (s'apparentant à autant de dates de fabrication), l'école, c'est l'usine. L'on pourrait pourtant introduire plus de diversité, faire varier les groupes, réagencer les centres d'intérêt... si l'objet essentiel du système n'était pas la standardisation.
C'est l'inverse qu'il faut faire aujourd'hui, affirme Robinson, en s'appuyant encore sur des études récentes montrant la régression spectaculaire de la créativité chez les jeunes - ou, plus exactement, de ce qu'il nomme la pensée divergente (divergent thinking), en gros la capacité à explorer les idées et les possibilités d'une façon ouverte et non linéaire. Les enfants en bas âge ont cette faculté pour 98 % d'entre eux ; adolescents, ils l'ont perdue pour la plupart. Ils ont été éduqués ! y compris à considérer toute collaboration comme de la triche.
A l'opposé de ce modèle qui détermine encore en profondeur la réalité éducative de la plupart des pays, il est désormais temps d'envisager différemment les capacités humaines, et Robinson indique à cet égard trois voies de recherche et d'expérimentation. Première d'entre elles : casser l'opposition entre ce qui est académique et ce qui ne l'est pas, entre les savoirs théoriques et les enseignements à vocation professionnelle. Deuxième voie : revenir sur l'atomisation du fonctionnement scolaire qui isole toujours davantage l'enfant en remettant le travail en groupe au centre du système. La collaboration, c'est la clé du développement. Enfin, dernier point : il faut revoir de fond en comble non seulement les habitudes qui se sont progressivement imposées, mais plus encore son habitat, davantage conçu pour l'instruction des masses que pour l'éducation des enfants.
Pour un peu, il en irait presque de l'éducation comme il en va des retraites : après une longue étape justifiée, homogène et cohérente de massification de ces grands systèmes sociaux structurants vient une phase qui requiert plus de liberté, plus d'expérimentation, le développement de systèmes à la carte, bref, une approche prenant enfin acte de la disparition du monde qui fut à l'origine du système et qui a aujourd'hui disparu. Ce dont nous avons besoin sur l'éducation aujourd'hui, ce n'est pas fondamentalement d'un budget généreux, c'est d'un regard neuf.
20:26 Publié dans Au fil des événements, De la démocratie vue d'Amérique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : éducation, ken robison, zeldin, christensen, école, zemmour, nolleau
Les commentaires sont fermés.