18/11/2009
Maison des morts, mort de l'opéra ?
Avec De la maison des morts (From the House of the Dead), l'opéra de Janacek, Chéreau avait triomphé il y a deux ans à Aix dans une oeuvre qui fut finalement désignée comme le meilleur opéra de l'année. Qu'en serait-il pour sa première au Met ? L'histoire, inspirée de Crimes et châtiments et de l'expérience concentrationnaire de Dostoïevski, raconte la vie dans un camp en Sibérie.
Une histoire ? Plutôt une intrication d'épisodes et de récits en masse dans lesquels se mêlent, entre la cour et le dortoir, l'avidité et l'amour, la violence et le jeu, l'humiliation et l'espoir, la vérité et le délire, la solidarité et la mise à mort. On passe de la dureté de la cour dans laquelle triomphe la loi du plus fort à l'explosion de liberté subversive à laquelle donne lieu le spectacle joué par les détenus, jusqu'à la déréliction mélancolique du dortoir. Les bouffées d'obscénité joyeuse y côtoient une pureté dépouillée.
Il y a bien de l'ennui aussi, mais c'est celui des spectateurs. Le Financial Times a parlé à propos de la mise en scène de Chéreau de "cent minutes d'absolue perfection". Ce doit être de l'humour britannique. A-t-on déjà vu un silence absolu accompagner un rideau tomber à l'entracte ? Bondy, qui revenait sur les huées qui ont accompagné sa mise en scène de Tosca il y a peu, a raison de souligner, dans une conversation récente avec Chéreau, Peter Gelb (le directeur général du Met) et Barlett Scher (le metteur en scène de théâtre), qu'il vaut mieux le tollé au silence : celui-là témoigne, à sa manière, d'une appropriation du spectacle par le public quand celui-ci confine à la mise à mort.
Si le sujet de Chéreau était bien de montrer une sorte de concentré de vie dans un univers carcéral faisant écho à la vie en société, la mise en scène ne manquait pourtant pas d'atouts. Un décor magnifiquement épuré de blocs de béton brut (que l'on doit une fois encore à Richard Peduzzi), un jeu d'ombres et de lumière remarquable signé Bertrand Couderc, des costumes sobres (Caroline de Vivaise) marquant à la fois l'intemporalité et l'universalité du sujet, ainsi qu'une porosité revendiquée entre la société et le camp.
Surtout, non seulement le sujet en lui-même ne manquait pas de puissance sur le thème de l'aliénation et de la douleur, mais Chéreau a su aussi lui donner une dimension audacieuse à travers une orchestration marquée par une grande liberté de ton et de mouvement. En ce sens, De la maison des morts est moins une invitation aux réjouissances ordinaires qu'un appel à participer à une exploration. Après tout, c'est la force des avant-guardes que de savoir simultanément explorer et subvertir en bousculant les marqueurs familiers de la représentation - tralalas attendus, place du spectateur et statut de la notion même de spectacle, sinon de celle de plaisir.
Bref, on aurait aimé aimer. En dépit de l'art maîtrisé de Salonen, le chef d'orchestre finlandais dont c'était aussi une première, si brillant à appréhender les multiples transitions d'une partition dont les variations entre élans et grincements s'apparentent à une recherche de sens mouvante et incertaine, cette tentative manque cruellement de charpente. Que l'explosion de violence qui marque l'acte I et le déchaînement d'obscénités cathartiques qui commandent l'acte II mènent à l'essouflement et au désespoir qui font le troisième et dernier acte, cela peut s'entendre. Mais l'affaire se suit avec beaucoup de difficulté dans un parti pris organique qui, au milieu d'une centaine d'acteurs, affirme le primat du collectif sur l'individu dans un mélange prémédité de cacophonie et de désordre.
In fine, la représentation fut malgré tout acclamée. Mais c'était là sans doute moins le signe d'un quelconque bonheur de la représentation que d'une sorte de rattrapage de la mésentente qu'avait suscitée Tosca et qui avait mis le public new yorkais dans la position peu enviable d'une arrière-garde de l'internationale culturelle. Il y a peu de peuples qui se soucient avec autant d'ardeur de se faire aimer des autres nations et c'est d'ailleurs en quoi nombre d'Américains ont été si malheureux au cours des années Bush. En somme, ce que le public new yorkais aura exprimé dans ce contexte, c'est peut-être moins l'appréciation de la performance de Chéreau que son désir de rehausser sa posture.
23:26 Publié dans Représentations | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : de la maison des morts, metropolitan opera, chéreau, art, culture
Commentaires
Bravo pour ce commentaire, Oliver. Tuvt'y es mis a fond dans le lyrique !
Concernant Janacek, certains de ses opéras comme l'affaire makropoulos sont pour moi au delà de ma limite de l'audible. Trop dur.
Reste que Peter gelb fait de sacres paris en provoquant ainsi le public. Il sera vraiment interessantvde surveiller les réactions du board et des bailleurs de fond. Si tu vois des signes dans la presse, raconte nous ! Ça m'intéresse !
Mille bises a tous les deux
Écrit par : JPh | 18/11/2009
Okay, je regarde. Mais les premiers signes de recherche d'un jeune juriste français passionné d'opéra, ayant déjà donné au moins un concert à Riverside, réalisateur doué et habitant, si possible, rive gauche, sont déjà perceptibles. Après, bon, tu fais ce que tu veux mon grand, mais le terrain est mûr !
Écrit par : Olivier | 18/11/2009
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