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03/11/2009

Un orage à New York (2) Central Park, ground zero

En fin d'après-midi, le ciel se couvre brutalement d'imposants nuages sombres qui finissent par se rejoindre en un lourd couvercle opaque qui recouvre la ville en aspirant la lumière du jour. Une chaleur tropicale, lourde et grise, s'empare de la vieille cité déglinguée.

Puis, des premiers souffles d'air s'engouffrent par les couloirs qui entaillent le coeur de la ville, faisant légèrement osciller les grands arbres qui s'alignent, en enfilade, le long des rues. Dans les parcs, les arbres font bloc ; à mesure que le vent se lève, ils commencent d'entrer dans la danse. Ce sont d'abord de lentes oscillations saisissant les troncs, qui s'étendent progressivement jusqu'aux sommets et qui donnent bientôt l'impression d'une flotte brinquebalée par de grandes vagues aériennes.

On entend, au loin, le bruit sourd que commencent à faire les éclairs en provenance de la mer, par le sud. A une vitesse que ne laissaient pas deviner ces premiers ébranlements, une série de déflagrations explose littéralement au-dessus - ou au milieu, on ne sait plus très bien - de la ville, produisant un effet similaire à une série d'attaques coordonnées qui viseraient à mettre la ville à genoux.

Les éclairs crèvent la couche noire des nuages et s'abattent sur Manhattan avec une violence inouïe. Plongées dans une obscurité épaisse que les lampadaires ne parviennent plus à dominer, les avenues se voient illuminées par à-coups de lueurs aveuglantes, entre deux périodes d'obscurité lunaire que séparent, chaque fois, une poignée de secondes.

Des masses d'eau compactes tombent soudain sur la ville. Sous le poids de ce déversement, les arbres, qui s'agitaient encore en tous sens quelques minutes auparavant, se recroquevillent comme s'ils tentaient de puiser dans leur sève pétrifiée la ressource d'une résistance incertaine.

Les terrasses sont balayées, les jardins inondés en quelques instants. Les fils, pendus à l'extérieur des brownstones fouettent les façades, décrochent parfois sous le poids de cette attaque en masse. Les gouttières se mettent à dégueuler à gros flots, les jardins, les trottoirs, les avenues... la ville prend l'eau de toutes parts sous le vacarme effrayant que font les escadrons d'éclairs que libère soudain leur plongée sous la voûte.

A Manhattan, dans le Queens ou le Bronx, la ville tient pourtant. On se demande comment tout cela, entre 21h55 et 22h30, n'a pas été emporté par la masse et rayé de la carte. C'est un miracle, mais qui se paie de lourdes pertes.

Le lendemain de ce soir-là, Central Park est un champ de bataille désolé. Sous des vents de plus de 70 miles/heure (près de 115 km/h), une centaine d'arbres sont tombés, fendus à mi-hauteur ou cassés net. Des centaines sont endommagés, beaucoup de hêtres, d'ormes, de châtaigniers dans la zone Nord notamment. "Central Park devastated" titre le New York Times, qui indique que les dégâts causés l'emportent sur la dernière tempête de neige des années 80 ou même sur le cyclone Gloria. Un météorologiste de la base de Long Island du National Weather Service, David Wally, fait du parc le "ground zero" de la tempête.

C'est la plus sévère catastrophe naturelle à New York depuis trente ans.

Dès l'aube, balayeuses, tronçonneuses, broyeuses, équipes d'urgence et camions d'évacuation sont à l'oeuvre. La civilisation tente de reprendre ses droits, la mécanique assourdit la désolation. Elle parvient assez bien, au reste, à circonscrire le désastre. La matière, agglomérée, cristallisée, patinée, a tenu. Pourtant, entre le souvenir du 11 septembre et les scénarios de films catastrophes, sous les assauts combinés, concentrés, du ciel et de la mer, un sombre tressaillement s'est fiché au coeur de la ville.

Commentaires

Superbe texte, je n'ai jamais été à NYC mais j'ai été plongée dans l'ambiance.

Écrit par : Sophie | 10/11/2009

Merci ! En même temps, quand vous y passerez, ce ne serait tout de même pas de chance si vous aviez un temps pareil...

Écrit par : Olivier | 10/11/2009

En 12 jours à NY en juillet, nous avons tout de même vécu une fin de journée de ce type... sans chutes d'arbres à Central Park, il est vrai.

Par ailleurs, félicitations pour les ambiances que vous restituez : après 5 semaines passées cet été entre NY, la Floride, LA, les parcs de l'ouest, SF et 8.000 kms parcourus en voiture (en Floride puis dans l'Ouest), nous retrouvons vraiment ce que l'on a pu vivre et voir dans ce pays.

Vos éclairages sur différents sujets, que seule votre immersion là-bas permet, viennent enrichir notre point de vue... BRAVO!

Écrit par : marie-christine | 12/11/2009

Tiens donc, je suis sûr que la fin de journée dont vous parlez doit être le 26 juillet, vers 18h00... En fait, c'était le lendemain de notre mariage (un avertissement du ciel sans doute, ou alors une bénédiction...) et l'on revenait d'un pique-nique sur Governor Island, juste à temps.

Content que vous trouviez ici un peu matière à prolonger vos impressions de voyage. Avez-vous prévu de faire quelque chose en ligne autour de votre périple américain ? - assez impressionnant, je dois dire, en douze jours !

Écrit par : Olivier | 13/11/2009

Cela correspondrait en effet, le 26 juillet... prenez-le comme une bénédiction du ciel... (si vous deviez considérer chaque orage à NY comme une menace...) et tous nos voeux de bonheur!!
Faute de temps, non, je n'ai pas prévu de publier sur internet à propos de ce voyage (12j à NY mais 5 semaines au total... il fallait bien çela, même avec les liaisons avion prises de très bonne heure le matin, voire de nuit).
Nous avons réellement adoré NY, nous y avons ressenti une véritable énergie, du pragmatisme dans l'organisation et les modes de fonctionnement, des gens bcp plus actifs, spontanés et directs... il n'y avait qu'à les voir ensuite conduire et se conduire sur la route, en Floride comme dans l'Ouest... bien loin de nos petites mentalités étriquées, de la mollesse ambiante et des rapports de force permanents... d'ailleurs ma fille de 15 ans, qui vient de voir partir une amie sur SF avec sa famille début novembre, ne rêve que d'y retourner!
Côté culture et shopping, nous avons fait le maximum dans notre temps imparti (MET et son "annexe" Cloisters, MOMA, magnifique Muséum d'histoire naturelle, Guggenheim...), nous avons assisté à une représentation du Fantôme de l'Opéra à Broadway, visité le zoo du Bronx après être passés par Harlem et avoir assisté aux gospels du dimanche matin... nous y avons même trouvé un petit restaurant très sympa (avec déco rappelant la baie de Naples) dans la Little Italy du Bronx où nous avons dîné un soir d'orage (encore un!) le Mario's sur Arthur Av.
Il est vrai que Paris, Londres ou Rome, par exemple, sont aussi de très belles villes, chargées d'histoire et riches de musées et de culture sous toutes formes. La différence réside sans doute dans les caractéristiues initiales de la population qui est arrivée aux US (rien à perdre, tout à gagner... et ne rentraient que ceux "qui étaient en mesure de subvenir à leurs besoins par leur travail" vu sur Ellis Island dans le musée des immigrants) et dans les moyens qui ont dû être mis en oeuvre pour survivre (j'ai été très surprise de constater que les buildings les plus connus ont été construits durant les années noires de la crise de 29!! rien ne les arrêtaient, et surtout pas les mauvaises nouvelles : ils construisaient pour avancer... voire pour se surpasser les uns les autres : c'est une autre émulation que la jalousie et l'envie qui poussent certains à détruire le bien des autres ou à entraver leurs projets!).
Enfin, il y aurait tellement à dire!
Ce voyage en immersion totale nous a permis de prendre la mesure de nos différences et d'apprécier certaines de leurs valeurs qui font cruellement défaut dans notre vieille Europe.
Bonne continuation et au plaisir de vous lire!

Écrit par : marie-christine | 14/11/2009

Eh bien, on dirait que la réponse que je croyais vous avoir faites il y a deux ou trois jours n'est pas passée...

Je vous suis bien volontiers pour l'option bénédiction ! La réalité est que j'adore les orages et je les préfère même violents. Mais enfin celui-là (pas celui de juillet, l'autre) a tout de même réussi à un moment donné à me faire tressaillir lorsqu'il est passé au-dessus de la maison. Il faut dire que j'étais sur la terrasse pour voir ça de près - la vie des grands explorateurs est toujours dangereuse...

Vous avez raison sur New York et les Américains : beaucoup de pragmatisme, d'énergie et d'optimisme. Inversement, des relations chaleureuses mais qui manquent d'implication et des discussions qui manquent souvent de profondeur. L'idéal, ce serait une synthèse franco-américaine !

Si le sujet vous intéresse, jetez un oeil au bouquin de Pascal Baudry : "Français, Américains, l'autre rive" (Pearson). C'est passionnant, non seulement pour mieux entrer dans la culture américaine, mais aussi pour mieux décrypter la nôtre. De très loin, le meilleur livre que j'aie lu sur ces sujets.

En tout cas, votre immersion en Amérique semble avoir été dense et stimulante. Je suis sûr qu'il en ressortira quelque chose, si ce n'est pour vous, du moins pour votre fille, un peu plus tard - who knows ?

Bien à vous,
Olivier

Écrit par : Olivier | 18/11/2009

Merci pour l'info : le livre de Baudry a l'air en effet très intéressant (vu sur internet) et je vais l'acheter pour compléter avantageusement notre compréhension de ce sujet.

Écrit par : marie-christine | 22/11/2009

On en reparle quand vous avez fini, si ça vous amuse de continuer la conversation là-dessus ? Enjoy ! Ici, c'est Thanksgiving, on arrête de lire, et on mange...

Écrit par : Olivier | 24/11/2009

Les commentaires sont fermés.