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06/07/2009

Un petit livre d'Enzensberger sur Chicago (4) De la mission sociale du crime organisé

En 1960, l'écrivain britannique, Kenneth Alsop, interrogea des dizaines d'habitants à propos de Capone : il ne s'en trouva qu'un seul pour le condamner. Parmi les témoignages, on relève notamment ceux-ci : "L'organisation de Capone était simplement une sorte de service public à la disposition des clients". Ou encore : "Il a beaucoup fait pour les chômeurs. Il a institué des cuisines populaires où l'on mangeait gratis - ce fut un acte social volontaire du syndicat". Un sociologue ajoute : "Ils ont fait plus de publicité pour la Cadillac en tant que partie intégrante de l'American Way of Life que toute la General Motors...".

Et un professeur de l'université de Chicago conclut : "Capone a été un des bienfaiteurs de notre ville. Je ne le dis pas par admiration pour lui, je me borne à le reconnaître. Le crime organisé n'est possible que quand il répond à une sorte de mission sociale. Les entreprises de Capone correspondaient aux idées légales et morales des habitants. La situation était simplement la suivante : il existait une demande de certains biens et services qui ne pouvait pas être satisfaite dans le cadre de la légalité. C'est à ce moment que Torrio et Capone surgirent et ils ont fait du bon travail".

Enzensberger fait le parallèle avec le nazisme. "Hitler aussi "répondait aux demandes de la population" ; lui aussi "satisfaisait à un désir général" ; lui aussi "s'efforçait de parer aux circonstances". Il était le résultat logique des circonstances où se trouvait l'Allemagne comme Capone l'était de celles de Chicago". La différence étant que, selon lui, le fait n'est pas dissimulé en Amérique, mais honnêtement reconnu et accepté. Et puis, là où les nazis ont été avec peine "rechercher les accessoires de la grande régression dans la boîte à ordures de la Culture", les gansters de Chicago ont donné le jour à leur propre mythe sans le moindre intermédiaire idéologique.

Reste une sorte d'esthétique du gangstérisme, un romantisme de la brutalité, qui fait l'énigme du ganstérisme et son goût "à la fois équivoque et sauvage". D'un côté, une pratique capitaliste relativement sophistiquée ; de l'autre des attitudes archaïques, qui seraient issues d'un passé exotique, précapitaliste, inassimilé. Pologne, Irlande, Sicile, Naples : de fait, nombre de ces gansters sont issus de sociétés à demi coloniales de la vieille Europe du XIXe siècle, dont les "barons de l'alcool" parodient un héritage féodal, qui vient ainsi se superposer au mythe américain pré-colonial de la frontière.

Pour Enzensberger, c'est leur modernisme qui a fait leur succès, leur antiquité qui a fait leur fascination. "Cette ambiguïté, cette contradiction ont été le sol générateur de mythes où s'est épanouie leur existence. Avec le ganster apparaît en même temps la préhistoire et, dans la toute dernière nouveauté, s'insinue le passé barbare". Ce mythe est à la fois abominable et inoffensif. C'est "un sanglant tableau de genre tiré du passé occidental, embrumé comme une radiographie et menteur comme un vieux refrain".

Quant aux gansters d'aujourd'hui, ils ont tiré les leçons de ces erreurs. Ils ne portent pas d'armes, paient leur impôts, évitent tout différend avec l'administration fédérale et investissent avec autant de soin dans le textile que dans la drogue ou la prostitution. "A eux, l'assimilation ne suffit plus, conclut Enzensberger au milieu des années 60, leur mot d'ordre est l'intégration. Ils y ont atteint. Les gansters d'Amérique sont devenus incolores et ennuyeux...".

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Chicago - Ballade, Suhrkamp Verlag, 1964 (titre original : "Politik und Verbrechen") ; Gallimard, 1967 pour la traduction française ; Editions Allia, Paris, 2009. 

 

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