01/07/2009
Un petit livre d'Enzesberger sur Chicago (2) Public Relations ? Un job de porte-flingues
Jusqu'en 1920, c'est Jim Colosimo qui, flanqué de son garde du corps sicilien, Johnny Torrio, règne sur la ville. Seulement "Diadmond Jimmy" ne sut pas voir les opportunités qu'ouvrait l'ère de la Prohibition, ce qui agaçait les ambitieux. Le 11 mai 1920, Torrio lui met une balle dans la tête. A cinquante mille dollars la cérémonie, ce fut un bel enterrement.
"Personnalité ayant le sens des affaires, des vues larges, se présentant bien ; capable de prendre des initiatives et de s'y tenir, plein d'idées ; sociable et d'esprit créateur ; habile négociateur, longue expérience de toutes les questions de direction et d'organisation, ayant une bonne connaissance de tous les domaines allant de de la production au marketing" : n'importe quelle annonce de recrutement pour dirigeant rendrait assez hommage aux remarquables qualités entrepreneuriales de Torrio.
Celui que l'on appela bientôt le "Président du Conseil", sans doute un hommage aux vénérables institutions transalpines, s'associa bientôt à une poignée de brasseurs établis pour organiser ce nouveau business. Bref, on mit de l'ordre dans le commerce sauvage des premiers temps. Torrio ne tarda pas à former sa garde rapprochée et recruta notamment Alfonso Caponi, né à Castellamare, près de Rome, d'une famille nombreuse et pauvre, qu'il avait connu à New York, comme assistant puis partenaire, avant d'en faire son successeur.
Hollywood inventa le cinéma, New York la publicité : Chicago lança les Public Relations - un métier, en somme, de gansters. Il importait en effet au premier chef que la firme nouvellement créée pût s'assurer le soutien des autorités locales, en cultivant notamment ses relations avec la police - deux tiers des fonctionnaires de police émargeaient au registre de paye du syndicat, moyennant quoi tout contrôle de police était signalé vingt-quatre heures à l'avance -, ainsi qu'avec les associations d'électeurs de colonies d'immigrants pauvres. A Chicago, une élection, c'était deux cent cinquante mille dollars.
Pour illustrer les méthodes employées par le Syndicat en matière de "campagne électorale", Enzensberger prend l'exemple de la conquête de Cicero, bourgade bourgeoise de 5000 habitants de la banlieue sud-ouest de la ville, qui s'avérait un tantinet réticente à l'emprise de la mafia locale. "Des automobiles occupées par des tueurs, patrouillaient dans les rues de la ville. Les présidents de scrutin furent battus et enlevés et les lieux de vote occupés par des gansters armés. Les votants étaient obligés de glisser leurs bulletins dans les urnes sous la menace d'un pistolet. Les citadins et les assesseurs récalcitrants furent jetés dans des voitures, emmenés à Chicago, où on les tint enfermés jusqu'à la fermeture des lieux de vote. L'opposition téléphona à la police locale pour demander du secours. Soixante-dix policiers prêtèrent serment devant un juge et furent transportés à Cicero. Ils ouvrirent immédiatement le feu sur les sentinelles des gansters. Capone et ses hommes ripostèrent (...) En tout, quatre morts et quarante blessés..."
"... L'ancien conseil municipal fut réélu à une immense majorité. Une enquête judiciaire fut ouverte et se perdit dans le sable. Un an après, Cicero présentait l'aspect d'une ville de chercheurs d'or : publicité lumineuse, tavernes, salles de jeu, centres de paris, courses de chiens, boîtes de nuit. Bientôt, le syndicat reçut de Cicero une recette hebdomadaire de cent mille dollars. L'aimable époque de la persuasion était passée...".
Restait le problème de la concurrence avec les bandes commandées par les Irlandais et les Polonais dans le nord de la ville. Pour faire face, Torrio fit passer les effectifs de ses sections d'assaut à sept cents hommes et en confia le commandement à Capone. Point de départ d'une "hostilité théâtrale qui ne tarda pas à attirer l'attention du monde". "Mais, confesse Enzensberger dans une note qui n'est pas sans rappeler le Gomora de Roberto Saviano, il est facile de retirer à cette renommée son côté magique. La guerre des gangs de Chicago n'est pas autre chose que la continuation de l'affaire avec d'autres moyens (...) (Cette) histoire est aussi pleine d'enseignement et aussi ennuyeuse que celle du secteur de l'alimentation dans n'importe quelle ville de province ; c'est un thème pour dissertations d'économie politique".
23:30 Publié dans Chroniques américaines | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : etats-unis, chicago, roberto saviano, gomorra, al capone, litterature
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