31/05/2007
Puissance publique vs participation démocratique (sur l'environnement, suite)
Pour tout dire, l'approche américaine de la question environnementale tranche avec une attitude européenne à la fois plus angélique et plus incantatoire, qui peine à faire de ce nouveau paradigme, non une contrainte réglementaire et un handicap compétitif de plus, mais une opportunité nouvelle de créer de l'activité et du progrès.
Il faudra suivre avec attention, à cet égard, la création du nouveau ministère Juppé dont Allègre prétendait récemment que, selon la stratégie qui sera adoptée, elle était susceptible de révéler un gisement potentiel d'un million d'emplois.
Au fond, la différence entre les deux systèmes oppose moins la morale et le business, la quête du sens et la production de cash - le cas Anderson souligne assez combien la dimension éthique reste un puissant vecteur de mobilisation et d'action dans la culture américaine - qu'une capacité inégale à se saisir collectivement d'un grand sujet et à le transformer en marché.
Elle révèle également une approche très différente de l'action publique, souvent aussi réglementaire en Europe qu'elle est partenariale aux Etats-Unis. De fait, l'opposition de l'administration Bush à toute montée en puissance trop rapide de ce thème sur la scène internationale, non seulement présente l'intérêt de protéger les intérêts à court terme de ses entreprises, et notamment de ses majors pétrolières, mais elle permet aussi aux firmes américaines, comme ce fut le cas pour Du Pont de Nemours il y a vingt ans dans le dossier des CFC, de travailler d'arrache-pied pour s'insérer au mieux dans ce nouveau paradigme économique et, le moment venu, en prendre le leadership (voir par ailleurs "La révolution verte est en marche").
De ce point de vue, la réhabilitation de l'action publique "puissance" que tente Nicolas Sarkozy avec la double ambition de mieux protéger les citoyens et de muscler l'industrie française dans la compétition internationale, tout en plaçant la question environnementale au coeur des préoccupations du gouvernement, ne paraît pas a priori sans vertu.
Elle se démarque de l'action publique "participation" qui fut, tout au long de la campagne présidentielle, l'axe de renouveau politique et comme la marque de fabrique de Ségolène Royal. Mais, si la participation fait sans doute beaucoup au renouvellement des formes de la vie démocratique, elle ne fait pas, en soi, une stratégie.
Ce fut sans doute le piège incantatoire dans lequel la candidate socialiste s'est laissée enfermer (et dont sa prise de position sur la Turquie a constitué un révélateur). Ainsi, sur le travail comme sur l'industrie, sur la protection comme sur la croissance, ce ne fut pas le moindre paradoxe idéologique de la dernière campagne présidentielle que d'avoir vu les socialistes pris à contrepied de ce qui aurait pourtant dû fonder leur légitimité et leur positionnement dans le débat, et qui ne fit que les prendre en défaut d'imagination autant que de réalisme.
La puissance contre la participation ? Voire. Une stratégie de puissance gagnante, comme le montre à nouveau l'exemple américain, ne va pas sans une large mobilisation des citoyens certes, mais aussi des entreprises et des salariés. Cela est d'ailleurs notamment le cas pour les questions environnementales compte tenu de la charge émotionnelle et de la portée civique désormais acquises par ces sujets, dont rend d'ailleurs compte la démocratisation significative des enquêtes publiques réalisée au cours de ces vingt dernières années.
En réalité, ce qui paraît disqualifié, ce n'est pas la participation en soi - qui s'impose d'ailleurs aujourd'hui, notamment à travers le web, davantage qu'elle n'est proposée par les responsables politiques -, c'est la participation "miroir" par opposition à une participation "projet" - projet qu'il s'agirait moins, pour chacun, de définir que de compléter, d'énoncer que d'infléchir.
Il s'agissait moins au fond, dans ce débat, de faire de chacun le co-président de la France que de rechercher l'adhésion à un autre avenir collectif, d'alimenter la ferveur démocratique que de reconquérir un peu de puissance publique. Et c'est en quoi, une fois n'est pas coutume, au-delà des rhétoriques de campagne, les slogans des deux candidats ont effectivement porté la différence des approches.
21:26 Publié dans De la démocratie vue d'Amérique | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Sarkozy, Royal, démocratie, politique, presidentielles, France, environnement
29/05/2007
Ray Anderson a-t-il fumé la moquette ? (l'environnement, de la morale au business)
Combien de fois n'a-t-on condamné les Etats-Unis pour ne pas avoir ratifié le Protocole de Kyoto ? Leur opposition actuelle aux projets à l'étude dans le cadre du prochain G8 va dans le même sens, et continue d'irriter les milieux progressistes.
L'on oublie sans doute l'épisode des CFC qui, dans les années 80, révéla pourtant la puissance de la mécanique américaine en ces matières : abstention prudente, voire opposition forte tant que des solutions claires n'ont pas été identifiées, puis engagement très actif dès que le pays - et ses entreprises - sont en ordre de bataille.
La question du réchauffement du climat, et des moyens de le contrecarrer, pourrait bien donner lieu à la mise en oeuvre d'une stratégie similaire. Elle suscite déjà ses premières success stories, qui commencent à occuper l'espace et à préparer les esprits.
Ainsi de Ray Anderson, patron d'Interface, une compagnie spécialisée dans la fabrication des carrés de moquette, et de sa "conversion" à la cause environnementale. A la question d'un commercial sur la stratégie de l'entreprise en la matière, Anderson fit, il y a une dizaine d'années, la réponse défensive que font toutes les entreprises qui n'ont pas bien pris la mesure du sujet : " Eh bien, respectons la loi !".
Avant de se rendre compte, en réfléchissant plus avant à ce mot d'ordre, que son entreprise en réalité "plombait la terre" et qu'il fallait renverser la vapeur. Il faut dire que cette industrie, dont Interface avec plus d'un milliard de dollars de chiffre d'affaires est le leader mondial, est particulièrement consommatrice d'eau et d'énergie. Une position qui associait un révélateur : mieux motiver son équipe, et un déclencheur : éviter, un jour prochain, de finir par se retrouver en prison.
Tout le comité de direction fut alors mis à contribution pour déterminer la date à partir de laquelle l'entreprise dans son ensemble aura atteint un fonctionnement 100% écologique. C'est finalement l'échéance de 2020 qui est retenue, et Interface est aujourd'hui, après une bonne douzaine d'années de travail, presque à mi-chemin : la consommation d'énergie fossile a baissé de 45%. Et les ventes ont progressé, elles, de près de 50%.
"En fait, cette stratégie ne coûte pas, elle paie" martèle Anderson, en termes de loyauté du consommateur, d'esprit d'entreprise, d'engagement des collaborateurs - et de cash : depuis le lancement de l'opération, ce sont ainsi 336 millions de dollars qui ont été économisés par la société georgienne. Un succès qui a même conduit Interface a créer une branche consulting pour vendre sa méthode à d'autres compagnies, et qui fait de son président une sorte d'évangéliste mondial de la cause écologique avec 115 discours prononcés un peu partout dans le monde l'an dernier sur ce thème.
Une stratégie qui pourrait bien, en tout état de cause, préfigurer un revirement puissant des Etats-Unis dans les toutes prochaines années, dont le film d'Al Gore, "An Inconvenient Truth", constituera, rétrospectivement, le marqueur symbolique.
03:54 Publié dans Chroniques américaines | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Etats-Unis, environnement, protocole de Kyoto, Al Gore, énergie
14/05/2007
Penser neuf (petites explications entre amis)
Pour l'occasion, il a tout de même fallu que je repasse voter au pays, heureuse coïncidence. Encore que : je me suis résolu à un vote social-démocrate, sans conviction ni enthousiasme avec, qui plus est, la mauvaise conscience de faire un choix qui ne serait en accord, au fond, ni avec mon attente de changement, ni avec le diagnostic de la situation politique qui s'impose. C'est qu'il y a dans tout vote une dimension affective et culturelle, le tissu des amitiés et le souvenir des engagements, qu'il faut savoir contrebalancer par l'exercice d'une forme de raison politique.
C'était bien la peine.
Quel lamentable figure a en effet offert le PS au cours de la soirée, entre les gesticulations ridicules et les coquetteries déplacées de Ségolène Royal, et les armes que l'on commençait à fourbir alentour, sans moyens évidents autres que réthoriques, sur un air de primaires mal digérées. Toujours pas de leader, et encore moins de programme qui tienne la route. La sociale-démocratie à la française en se construira pas de sitôt avec ce PS moribond-là.
De l'autre côté, un leader incontesté, et même légitimé qui, maintenant qu'il a réussi son OPA sur le FN comme jadis Mitterrand sur le PC, en nous débarrassant du même mouvement du problème qui pourrit la vie politique française depuis vingt ans, peut se payer le luxe de l'ouverture, du rassemblement et de la métamorphose annoncée.
La bataille pour le pouvoir exacerbe, son obtention apaise ; elle a soudain donné l'impression, l'autre soir, de pouvoir faire grandir cet homme politique-là, désormais face à la responsabilité d'un parler vrai qui a changé de camp. Et de dessiner le creuset d'une remise à plat des fondements d'un système qui ne marche plus et que, prisonnière de ses bastions sociologiques, la gauche démocratique ne peut remettre en cause.
Le conservatisme a changé de camp.
Il me vient l'idée que Sarkozy pourrait être un Rocard qui aurait réussi - plus ambitieux, plus clair, plus efficace. Plus à droite ? Oui, mais dans le meilleur des cas, le pays se gouverne au centre, le sens et l'art de la réforme en plus.
Il n'y a, au jour d'aujourd'hui, pas de raison de diaboliser le sarkozysme, qui prend l'allure, non sans tenue le soir des résultats, d'une rupture à la française. Si le sujet prioritaire, c'est de débloquer la société et de libérer les énergies, alors Sarkozy est le mieux placé, et le plus talentueux du paysage politique français actuel depuis cinq ans, pour le faire. Le reste est procès en sorcellerie sorti tout droit des officines de l'extrême gauche qui, comme dit Rocard, " se croit radicale alors qu'elle n'est qu'impuissante". Ou risques que les contrepoids naturels de la démocratie devraient pouvoir circonscrire, sous l'influence du Parti démocrate et de l'aile la plus éclairée du PS.
Penser neuf, dans cette affaire, c'est prendre acte que, dans la compétition post-idéologique des années 2000, le sarkozysme comme projet et comme volonté a une ou deux bonnes longueurs d'avance sur l'impuissance socialiste et la "résistance" bayrouiste.
Attendre cinq ans encore ?
Mais nous n'avons déjà que trop pris de retard avec ces dix malheureuses années de chiraquisme. Ce n'est pas d'impuissance démocratique ni même de résistance historique dont nous avons fondamentalement besoin aujourd'hui, mais d'une nouvelle dynamique capable de réouvrir les possibles et de changer la donne d'un vieux pays à bout de souffle.
Dont acte.
16:38 Publié dans De la démocratie vue d'Amérique | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Sarkozy, Royal, PS, Rocard, Bayrou, présidentielles, politique
06/05/2007
768, City Park Avenue (tout apprentissage est un temps de closing)
Depuis bientôt trois mois, j'ai arpenté bien des recoins de Columbus à la recherche d'une maison qui nous permettrait, enfin, de quitter l'appartement transitoire d'Easton et de nous poser quelque part pour démarrer plus entièrement l'aventure.
Incarnation du rêve américain ?
C'est la thèse qu'a soutenue avec passion devant moi, Jenny, la mère de notre agent immobilier, venue en renfort un matin chez Cup O Joe, un coffee shop historique du quartier, alors que, sous l'effet de multiples difficultés juridiques et financières, nous étions à deux doigts de renoncer à cette acquisition, il y a deux semaines de cela, à quelques jours du "closing" - cette cérémonie légale qui matérialise, aux Etats-Unis, l'achat d'un bien immobilier.
Je crois bien que je me souviendrai longtemps de cette conversation. C'est que ce qui est en cause dans un acte de cette nature, ce n'est pas tant le projet d'achat lui-même (même s'il s'agit bien aussi d'un investissement, et qu'il faut donc traiter en tant que tel), c'est le projet de vie qui le sous-tend.
Au fond, il y a deux façons de courir le monde : le traverser, ou s'y arrêter, le travelling ou le stop. Longtemps, les murs m'ont semblé un obstacle à la mobilité - et, aujourd'hui encore, je considère que ce que nous devons en premier lieu à nos enfants, c'est moins l'héritage d'un patrimoine matériel que la transmission d'une conception de la vie, moins un droit de propriété que le goût de l'exploration, et davantage le sens du mouvement que celui de la rente.
Un peu plus de confiance, un peu moins de suffisance.
Et c'est en quoi, pour une part, je ne me sens pas "conservateur" au sens politique du terme. Je veux dire par là que je ne me sens propriétaire d'à peu près rien, d'un territoire pas plus que d'un statut. Je ne sais si, comme l'énonce la formule célèbre de Proudhon, "la propriété, c'est le vol", mais il me semble que c'est souvent la fatuité et l'ennui.
Une autre dimension, paradoxale, et politique aussi au sens philosophique du rapport à la Cité, de cette acquisition, est que, si elle est un acte individualiste par excellence, elle ne va pas non plus, aux Etats-Unis, sans l'entrée dans une communauté. Aller jusqu'à opposer pour autant la France des propriétaires à l'Amérique de l'accueil serait aussi politiquement excessif que socialement aveugle (il y a malgré tout ici matière à un éclairage anthropologique comparé du rapport à l'immigration qui me semble riche d'enseignement, et sur lequel je reviendrai).
Il n'en reste pas moins que la qualité de l'accueil que nous réservent les gens de German Village - et qui a bien peu à voir aussi bien avec la froideur des villes qu'avec la méfiance des campagnes qui tient souvent lieu chez nous de cérémonie de bienvenue -, est proprement remarquable.
Depuis notre installation en début de semaine au 768 City Park Avenue, dans la maison qu'ont habitée plus de vingt ans Jack et Carolee, c'est à qui vient se présenter, échanger quelques mots, glisser un conseil, proposer ses services dans une relation qui, dépassant à l'évidence les règles élémentaires du bon voisinage, s'inscrit d'emblée dans l'intégration à une communauté, et tisse déjà un réseau de sociabilité et d'entraide.
Cet individualisme-là, qui associe la responsabilité individuelle et le sens de la collectivité et cultive simultanément le goût du progrès personnel et le sens de la relation, me semble une alternative intéressante au débat qui oppose encore bien souvent la France des kolkhose et celle des gentilhommières.
C'est aussi en quoi notre installation à German me semble déjà potentiellement plus riche d'apprentissage que ne l'aurait été la traversée de l'Amérique dans tous les sens.
Je confirme, en passant, que cette phase exploratoire n'aura pas été sans difficultés. C'est l'épreuve obligée de l'immigrant et la ténacité imposée au nomade. S'il m'est arrivé de manquer de ténacité par le passé - par impatience plus que par mollesse -, il y aura dans cette aventure de quoi soigner ce défaut de patience. Les voyages forment peut-être la jeunesse, mais on dirait qu'ils affermissent aussi la maturité.
Tout apprentissage est un temps de clôture, dit Rilke (j'ai longtemps crû que le mot était de Proust, mais ce devait être lié au souvenir de l'attente désespérée de la conclusion de la Recherche). Il est ici, pour l'heure, un temps de closing.
23:36 Publié dans Chroniques américaines | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Etats-Unis, immobilier, rêve américain, politique, voyages