21/04/2007
Entre la République compassionnelle et la guerre civile : une troisième voie avec Bayrou ?
Bien qu'il soit plutôt mal perçu de ce côté-ci de l'Atlantique (voir par exemple le papier d'Elaine Sciolino, "A Neither/Nor' Candidate for President Alters the French Political Landscape", dans le New York Times du 8 mars), et cela en dépit des attaches familiales qu'il y a conservées, François Bayrou représente, à quelques encablures du premier tour de la présidentielle, une piste intéressante pour le développement d'une sociale-démocratie à la française.
Deux facteurs desservent traditionnellement le camp centriste : la bipolarisation propre au système institutionnel de la Ve République, et l'assimilation de cette sensibilité politique à une sorte de ventre mou conceptuel. D'un côté, un problème d'efficacité politique, de l'autre une faiblesse idéologique. Une analyse qui s'alimente ordinairement du rappel des poisons de la IVe République dans laquelle le système des partis faisait prévaloir les ententes claniques sur l'intérêt de la nation, et qui fut précisément le terreau de la reconstruction gaullienne.
C'était il y a cinquante ans.
Depuis vingt ans pourtant, malgré les progrès indéniables du libéralisme économique et l'essor remarquable des libertés publiques - tous deux d'ailleurs imputables dans une large mesure au premier septennat de François Mitterrand -, l'alternance des deux principales formations politiques n'a guère tenu ses promesses et, sur quelques sujets fondamentaux : les finances publiques, l'éducation et la recherche, le développement des PME, l'emploi des jeunes et des quinquas, l'Europe même en fin de course, notre pays a pris du retard. Le train a à ce point déraillé qu'il a même porté le candidat du Front national au second tour de la dernière élection présidentielle par la consolidation d'un vote aussi protestataire que désabusé.
De sorte que les deux faiblesses identifiées pourraient bien prendre l'allure d'une opportunité historique d'une "nouvelle donne" politique.
Problème électoral ? Le scrutin en décidera, et il est temps, fût-ce au prix d'une crise institutionnelle probable, de tirer des conséquences plus nettes de la juxtaposition des contraires que tentent encore de faire tenir ensemble le PS et l'UMP, en particulier sur la question européenne, notamment au PS.
Qui ne voit que les constructions électorales craquent de toutes parts sous la double exigence du renouveau et de la maturité ?
Quant à la faiblesse idéologique, les surenchères incantatoires et coûteuses ne font pas, ne font plus une politique. La campagne en a donné au reste plus d'une illustration sur le travail ou l'identité nationale : ces repères idéologiques sont, au coeur-même des grandes formations politiques, profondément brouillés. Partant, cette confusion nous commande de nous intéresser davantage à inventer notre avenir qu'à ânonner les grands noms de l'Histoire de France.
Après un départ qui n'était pas sans promesse de renouveau, Ségolène Royal s'est enlisée dans les contradictions internes au PS ; elle a montré une indéniable force de caractère, mais n'a guère su convaincre de sa compétence. Au moins a-t-elle, chemin faisant, et fût-ce en écartant le candidat social-démocrate du PS, fait sauter le verrou qui, jusqu'à présent, empêchait les femmes de prétendre à la magistrature suprême. Il y a là, pour les femmes qui aspirent à monter d'un cran dans l'exercice des responsabilités, un signal encourageant et un marqueur pédagogique.
Nicolas Sarkozy a incontestablement apporté, ces dernières années, un regain de vigueur au débat politique national à travers sa capacité à réinterroger les fondamentaux, sur la sécurité, l'immigration ou l'emploi. Mais il fait encore trop oublier la médiocrité de ses résultats derrière les pompes de sa communication et témoigne, surtout, d'un manque de maîtrise de soi qui, associé à prévisible concentration des pouvoirs en cas de victoire de l'UMP, poserait problème à ce niveau de responsabilité (on lira à ce propos, avec l'intérêt critique de rigueur, l'étonnant compte rendu que consacre Michel Onfray à sa rencontre avec le ministre de l'Intérieur).
Entre la Marianne inspirée et le Père fouettard, la démocratie New Look et l'Agité du bocal, la République compassionnelle et la guerre civile - et trois candidats trotskistes, rien de moins, pour compléter cette pittoresque photo de famille, ce qui ne laisse pas d'ébaubir nos amis américains -, il y a place pour un choix différent, qui s'efforcerait de concilier ce qu'il faut d'aventure avec la sagesse qui nous manque.
L'aventure d'un système politique à recomposer sur des bases actualisées, la sagesse d'une approche raisonnable - et d'abord au plan budgétaire. On s'en souvient, l'estimation réalisée par l'Institut de l'entreprise, pour ajustable qu'elle soit, donnait une vision comparative assez claire du sujet, entre des programmes UMP et PS se chiffrant à plus de 60 milliards d'euros - oubliés nos 1200 milliards d'euros de dettes ! -, quand Bayrou ne propose, prudemment, que la moitié de la facture.
Sagesse ? C'est, bien sûr, plutôt de maturité dont il faudrait parler. Soit un peu moins d'idéologie et d'idées toutes faites, et un peu plus de pragmatisme, de capacité à aborder les problèmes avec un oeil neuf, sur un mode factuel et pacifié, en se montrant plus attentif à l'action qu'à l'incantation et davantage guidé par les vertus du consensus que par la recherche de l'affrontement.
Peu importe ici le positionnement forcé d'un Bayrou "anti-système" : il a été une recette opportune pour exister politiquement en desserrant l'étau du choix bipolaire annoncé et, pour cette raison - l'effet de surprise cher à l'électeur contemporain, associé à l'émergence d'une voix différente -, il se traduira par une audience significative.
La maturité, ici, se traduirait par la possibilité de dépasser les passions claniques qui, en fait de politique, n'en finissent pas de traverser notre pays en opposant deux France, qui se neutralisent et s'immobilisent l'une l'autre.
On ne sait si Bayrou parviendra à se hisser au deuxième tour - sait-on jamais. Un score significatif du candidat centriste n'en devrait pas moins avoir pour vertu de faire progresser, à l'image de la situation de la plupart des grands pays européens, la constitution d'une formation sociale-démocrate digne de ce nom - celle-là même qu'appelle Michel Rocard de ses voeux -, acceptant pleinement les règles du marché, affirmant un choix européen clair, décidée à rechercher des régulations économiques plus dynamiques et de nouveaux équilibres sociaux.
En nous épargnant, et la guerre civile, et l'exode entrepreneurial.
Et qui, partant, jetterait les bases attendues d'une situation, relativement inédite dans notre pays, dans laquelle la politique serait moins vouée au déchaînement de passions séculaires qu'attentive à bâtir une culture constructive du compromis politique, dans un espace pacifié - laïque, si l'on veut, au sens civil le plus large de ce mot -, plus soucieux de se redonner des perspectives d'avenir que de ressasser les clivages d'antan.
00:19 Publié dans De la démocratie vue d'Amérique | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : présidentielles, Bayrou, Royal, Sarkozy, politique, Rocard, Europe
Commentaires
Un homme s'est imposé comme la surprise incontestable de la campagne électorale: François Bayrou. Le temps de la "France humaine" et du bus au colza est révolu, place à un homme dont le parti s'émancipe de la droite pour rejoindre (définitivement?) le centre quitte à flirter avec la gauche. Changement de logo, programme plus libéral, campagne plus active, meetings plus nombreux, directrice de campagne (Marielle de Sarnez) donnant une nouvelle impulsion à l'Union pour la Démocratie Française, critique envers un certain nombre de médias en début de campagne: François Bayrou s'impose comme un homme nouveau. C'est ceci qui fait la différence. Aujourd'hui, un certain nombre de Français souhaite faire barrage à Nicolas Sarkozy, sans pour autant renier leurs convictions, ou bien déçus par Ségolène Royal. L'alternative sûre et crédible, c'est françois Bayrou. Ses mesures sont claires et applicables. Sa communication est claire et efficace. Son parti s'emploie à recreuter des soutiens. C'est le seul parti qui m'a tendu la main.
Veil et Giscard rejoignent Sarkozy? Ces légendes historiques méritent mieux que cela.
Écrit par : Franck | 20/04/2007
Les commentaires sont fermés.